"It is not my sword, Montego, but your past that disarmed you."
V for Vendetta constitue indubitablement, l'actuelle meilleure adaptation des ouvrages graphiques du fantasque Alan Moore.
L'auteur n'a pourtant, curieusement, pas souhaité voir son nom figurer
au générique du film alors qu'il apparaît sur ceux du seulement moyen From Hell et du faiblard The League of Extraordinary Gentlemen.
Les artistes sont insaisissables et versatiles ! Nous pouvions,
cependant, nourrir quelques craintes lorsque le nom des parrains du
projet a été connu : les deux "W", Wachowski et Wachowski.
Devions-nous nous attendre à une Matrixiade, tendance Révolutions,
de plus ? Ou laisseraient-ils réellement les coudées franches à leur
assistant-réalisateur préféré, enfin promu directeur pour l'occasion ?
C'est cette dernière hypothèse qui l'a, fort heureusement, emporté, même
si l'influence des deux natifs de Chicago reste sensible. Présenté en
sélection officielle, hors compétition, à Berlin, le film a connu dans
l'ensemble une très honnête carrière commerciale*, un peu décevante en
France où seulement un peu plus d'un demi-million de spectateurs se sont
déplacés en salles. Une séance de rattrapage s'impose pour les autres.
L'Angleterre est soumise depuis quatorze ans au régime dictatorial et policier imposé par Adam Sutler
et son parti unique. Le Haut chancelier, arrivé au pouvoir de manière
démocratique, avait profité d'un contexte international et national
favorable, notamment un effroyable attentat bactériologique qui appelait
une reprise en main énergique d'un pays plongé dans le chaos. Un soir à
Londres, Evey Hammond, modeste employée de la chaîne officielle BTN, brave le couvre-feu pour retrouver son collègue, l'animateur vedette Gordon Deitrich. Elle est interpellée par trois agents du "Doigt",
l'organe de sécurité de l'Etat. Sur le point d'être physiquement
agressée par ces derniers, elle est sauvée grâce à la soudaine et
efficace intervention d'un étrange personnage masqué et armé de dagues.
Celui qui se fait appeler V l'invite à un concert d'un genre spécial : la destruction commémorative et pyrotechnique du Bailey, un monument de la ville.
Puis
l'inconnu, devenu par son coup d'éclat l'ennemi public n°1, réussit à
diffuser un message télévisé dans lequel il déclare vouloir détruire, le
5 novembre de l'année suivante, le Parlement, comme avait tenté de le
faire, en 1605, l'officier catholique Guy Fawkes. Au cours de sa fuite, il est aidé par Evey qu'il doit, pour cette raison, héberger et protéger contre son gré. En attendant de tenir sa promesse terroriste, V entame une campagne d'assassinats dont l'ex-commandant Lewis Prothero est la première victime.
Créée en 1982 et publiée en intégralité par DC Comics en 1988-1989, la bande dessinée écrite par Alan Moore et illustrée par David Lloyd stigmatisait la déviance autoritaire du gouvernement de Margaret Thatcher. La cible du scénario des frères Wachowski est, de toute évidence, la politique menée par George W. Bush et son administration depuis le 11 septembre 2001. Grâce au ciel, la présidence étasunienne ne ressemble pas (encore !) tout à fait au régime décrit dans V for Vendetta, très inspiré** par le national-socialisme allemand et par le 1984 de George Orwell et de Michael Radford (dans lequel John Hurt tenait cette fois le rôle du résistant).
Cette critique fictionnelle n'est d'ailleurs pas l'élément essentiel de
cette adaptation légèrement édulcorée. Le script conserve une bonne
partie de la verve de l'œuvre originelle, notamment au niveau des
dialogues, et James McTeigue réussit à installer une atmosphère à la fois dramatiquement lourde et allègrement plaisante.
Les
oppositions totalitarisme et anarchie, violences officielle et
individuelle sont traitées avec une certaine justesse au cœur de cette
histoire d'une vengeance. Les interprétations sont efficaces, en
particulier celle de Natalie Portman, tout comme la photographie du Britannique Adrian Biddle (Thelma & Louise), décédé peu après, qui marque une rupture visuelle avec les trois opus de Matrix mis en images par Bill Pope. V for Vendetta,
dont on apprécie la fin ouverte, aurait néanmoins probablement gagné à
être un peu plus mordant et débridé. Les producteurs ont peut-être joué
leur rôle de modérateur à l'égard d'un film déjà classé "R" aux Etats-Unis.
___
*132M$ de recettes dont 61M$ à l'étranger pour un budget d'environ 54M$, loin du score des trois opus Matrix mais avec une rentabilité comparable.
** avec un clin d'œil appuyé au Benny Hill Show.
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