jeudi 28 février 2008

Manufacturing Dissent (michael moore : polémique système)


"Il valait mieux pour lui être malin qu'intelligent."

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Comme Roger & Me, Manufacturing Dissent raconte l'histoire d'une entrevue qui n'aura finalement jamais lieu. Avec néanmoins une différence significative : le second est bien un documentaire, le premier... peut-être pas. Chemin faisant, ce qui, en effet, aurait dû prendre la forme d'une classique biographie filmée s'est transformé en portrait particulièrement contrasté du controversé Michael Moore. Le film des Canadiens Debbie Melnyk et Rick Caine essaie également de comprendre comment un réalisateur quadragénaire quasi inconnu jusqu'en 2002, au physique ingrat proche de celui de Roscoe 'Fatty' Arbuckle, est devenu, en l'espace de quelques années, une vedette (oscarisée puis palmée) du cinéma international et l'influente figure de proue d'un genre considéré jusque-là par le plus grand nombre comme relativement mineur*.
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En recueillant de nombreux témoignages divergents d'amis, collaborateurs, journalistes, hommes politiques, critiques ou inconnus et en déroulant le parcours de cet enfant du Michigan, issu d'une famille ouvrière catholique et démocrate installée dans une petite ville cossue, ancien membre de la National Rifle Association (qu'il pourfendra pourtant dans son premier grand succès, Bowling for Columbine), l'image et la personnalité de Michael Moore s'affinent. Ses méthodes de travail, souvent contestées, qui associent, de façon audacieuse ou pernicieuse selon les points de vue, réalité et fiction, politique et divertissement, sont également examinées.
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En le suivant (ou en tentant de le faire) dans certains de ses déplacements publics, notamment aux côtés des opposants à George W. Bush, se révèle progressivement un personnage bien moins sympathique qu'il ne voudrait paraître, sorte de Dr. Mike & Mr. Michael charmeur ou égocentrique, n'hésitant pas à avoir recours à la manipulation et partageant avec son principal adversaire, belliqueux héros de Fahrenheit 9/11, une même vision confuse de la réalité. Après Michael Moore Hates America de Michael Wilson et quelques autres documentaires qui ont, depuis 2004, alimenté la polémique controverse autour de Michael Moore, Manufacturing Dissent (i.e. "la fabrication de la dissidence"**), sans conteste le plus complet et intéressant sur le sujet, prend le Citizen Moore à son propre jeu... mais en respectant les règles !
(voir également News du 22 mai 2004)
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*avec lequel est né le cinéma, et tant pis pour John Grierson, Albert Maysles, Kevin Macdonald, Jean-Michel Carré ou Didier Mauro, pour ne citer que quelques "documentaristes".
**référence à un autre documentaire canadien, Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the media de Mark Achbar et Peter Wintonick produit en 1992, consacré au linguiste Noam Chomsky, à l'activisme politique et la propagande.

mercredi 27 février 2008

Sukkar banat (caramel)


"Tu crois être la seule à mentir ?"

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Produit par Anne-Dominique Toussaint (Le Battement d'ailes du papillon), Sukkar banat est le premier long métrage et second film de la Libanaise Nadine Labaki. Réalisatrice de publicités et de clips, la native d'une petite localité à l'Ouest de Beyrouth* a développé son projet à partir de 2004 au cours des deux sessions annuelles organisées par la Résidence du Festival de Cannes. Logiquement sélectionné à la "Quinzaine des réalisateurs" 2007 et postulant à la "Caméra d'or", le film a également été présenté au Festival de La Rochelle en juillet de la même année. Belle et agréable gourmandise à la saveur légèrement acidulée, Sukkar banat atteint son objectif de séduction mais manque sensiblement d'un peu de longueur en bouche.
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Layale, Nisrine et Rima travaillent ensemble dans le salon de beauté de la première. Chrétienne et la maîtresse d'un homme marié, Rabih Khoury, qu'elle rejoint pour de fugitives rencontres, Layale espère qu'il va quitter sa femme pour elle. Nisrine, musulmane, doit bientôt épouser son fiancé Bassam. La masculine Rima découvre, elle, son attirance pour le charme d'une belle cliente à la longue chevelure brune. Jamale Tarabay, ancienne actrice divorcée et mère de deux enfants, complète cet amical trio lorsqu'elle ne court pas les castings. De l'autre côté de la rue, Rose, une gentille vieille fille retoucheuse de profession, doit s'occuper de sa sœur aînée Lili qui n'a pas toute sa tête. Et puis il y a ce gendarme moustachu qui verbalise avec régularité le véhicule obstinément mal stationné de Layale.
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S'il n'a pas le goût crémeux du caramel écossais, le citronné Sukkar banat, composé en montage alterné, évoque volontiers le tartan du même cru. A l'image de la population de la ville où il est tourné, le film s'organise tel un patchwork de sentiments fédérés par une chaotique mais persistante recherche du bonheur. La structure matriarcale suggérée par le film de Nadine Labaki est-elle une réalité ou le produit d'un fantasme féminin ? Qu'importe, même s'il montre aussi qu'il reste au sexe dit faible à y conquérir certaines libertés que la morale traditionnelle ou religieuse et, peut-être surtout, le regard des autres entravent encore. Original, joué avec beaucoup de naturel par des interprètes novices, réalisé avec un réel sens esthétique, Sukkar banat est une délicieuse friandise qu'il serait dommage de ne pas goûter.
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*d'où est également originaire le dernier président du pays, Emile Lahoud.

Naïs


"Mais puisque je suis heureuse, ce n'est pas une illusion."

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Il existe une évidente et frappante parenté entre certaines des œuvres précédentes(1) de Marcel Pagnol et le méconnu "Naïs Micoulin" d'Emile Zola paru en 1884 (soit entre "La Joie de vivre" et "Germinal" de la série des Rougon-Macquart) à l'origine de cette libre adaptation. Initiateur du projet, Raymond Leboursier, monteur notamment de Jean Dréville ou Marcel L'Herbier et réalisateur d'un premier film avec Raimu et Fernandel, est chargé de sa direction. La production réunit un groupe d'acteurs ayant tous déjà collaboré avec les deux cinéastes auquel s'ajoutent Germaine Kerjean, future pensionnaire de la Comédie Française, et le jeune Niçois Raymond Pellegrin dont la carrière au cinéma avait débuté deux ans auparavant. Naïs est aussi le premier film de Pagnol avec Jacqueline Bouvier, rencontrée en 1938 et qui deviendra sa dernière épouse peu après la fin du tournage.
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Employé dans la fabrique de tuiles de sa petite localité proche de Cassis, Toine est secrètement amoureux de Naïs, la fille unique du veuf Micoulin. Mais il sait que la bosse dont la nature l'a pourvu ne lui permet pas d'espérer être aimé en retour. Son ami Henri Bernier, ingénieur de l'usine, le réconforte en lui racontant les exploits amoureux du duc de Lauzin, bossu comme lui(2). Naïs est allée à Aix apporter chez les Rostaing, propriétaires des terrains donnés en métayage à son père, les primeurs et poissons envoyés chaque mois par ce dernier. Elle y croise leur fils Frédéric, dilettante étudiant en droit préférant secrètement le jeu et la compagnie des femmes. Le jeune homme est aussitôt charmé par la beauté de celle qui n'était encore qu'une adolescente lorsqu'il l'avait embrassée pendant les vacances, trois ans auparavant. Cette rencontre le motive fortement à passer ses prochains congés dans la demeure de ses parents confiée aux Micoulin. Naïs, éprise de Frédéric depuis longtemps, succombe rapidement à ses avances. Une nuit, Toine les surprend enlacés près des ruines du terrain.
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Passade sentimentale, opposition entre la campagne et la ville(3) et entre milieux sociaux, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Il y a effectivement une troublante permanence dans les thèmes traités chez Marcel Pagnol. Naïs se démarque toutefois par au moins deux autres contrastes suggérés par le romancier du XIXe, dont on connaît la fascination pour la forte charge dramatique de l'hérédité. Un conflit de générations, manifeste à la fois chez les Rostaing et les Micoulin, caractérisé par le désir, parfois farouche, d'une permanence chez les parents et le "luxe" d'une certaine fugacité dont se parent les deux jeunes gens. L'importance accordée à l'apparence au détriment de l'essence, motif narratif sur lequel repose le scénario à l'exception de la fin, purement et simplement inversée par rapport à celle de l'ouvrage de Zola. Si la rayonnante interprétation de Jacqueline Bouvier (alternant entre une diction demazisienne ou septentrionale !) ne peut être passée sous silence, c'est encore à celle de Fernandel, dont le personnage inspirera celui de Jean de Florette, que le film doit son intensité et son humanité.
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2. sauf erreur, Antonin Nompar de Caumont, premier duc de Lauzun et favori de Louis XIV, n'était pas cyphotique.
3. au moment où s'amorce l'inexorable exode rural que connaitra la France au cours de la seconde moitié du XXe siècle.