lundi 31 mars 2003

Série noire


"... Nous serons, toi et moi, les plus heureux du monde"

Les films français tirés de polars américains sont rares ; les films français réussis tirés de polars américains le sont encore davantage. Série noire d'Alain Corneau est de ceux-là. Bien sûr, le réalisateur a profondément remanié le livre de Jim Thompson "A Hell of a Woman" (trad. : des cliques et des cloaques), pour l'adapter, avec le concours de l'écrivain et, ici, dialoguiste George Perec, au contexte français. Mais il en a conservé "l'âme".
Autant le dire (ou le redire), le film est littéralement porté par Patrick Dewaere, étourdissant par ses excès et remarquable par sa sensibilité mal cachée. Cet acteur avait, en gestation et avec sa propre personnalité, la puissance d'un Gabin ou d'un Ventura. En minable représentant de commerce déchiré et qui se cherche pour finalement s'égarer progressivement, perdre pied pour sombrer dans un monde illusoire, fantasque, il donne au personnage de "Poupée" une fulgurance de tous les instants. Certains pourraient y voir une faiblesse, celle d'un acteur en constante "représentation". Mais ce serait oublier les codes du polar classique : tout n'est que décor autour du héros (souvent narrateur), y compris ceux qui lui donnent la réplique. De plus, ici, Frank Poupart "se fait, en permanence, son cinéma" (la scène d'ouverture et celle du retour avec le magot sont, de ce point de vue, édifiantes).
Les confrontations avec Bernard Blier sont tout bonnement exquises. Tout les oppose (pas seulement dans le film) et les réunit à la fois : la génération, le tempérament, le jeu dans une complémentarité quasi parfaite. Marie Trintignant, pour son premier film (si l'on ne tient pas compte de ceux tournés avec sa mère, Nadine) joue une adolescente quasi autiste à travers laquelle la frontière entre réalité et fiction, raison et folie devient floue, insaisissable.
Enfin, l'absence de musique écrite pour ce film donne à Série noire un caractère singulier. Alain Corneau a choisi, comme Scorsese dans Mean Streets, de ponctuer son film de chansons d'époque (Dalida, Sheila, Claude François, Lenorman, Boney M) ou du "Moonlight Fiesta" de Duke Ellington. A noter que la phrase de titre, sensée appartenir à la chanson de G. Bécaud "Le jour où la pluie viendra", est une pure invention de Frank Poupart... Un rêve (cauchemar) éveillé.

vendredi 28 mars 2003

A Fish Called Wanda (un poisson nommé wanda)


"A quoi rit l'homme ?"

Comédie délirante sans grande ambition à sa naissance, A Fish Called Wanda est devenu un succès culte et a conservé, malgré les années, la plus grande partie de son efficacité. Charles Crichton (il s'agit de son dernier film) et John Cleese ont trouvé, dans une inspiration britannico-monthy-pythonienne, un équilibre subtil entre action et texte. Il ne s'agit pas de faire du gag de manière débridée, et construire un récit pour le justifier. Ici, à l'inverse, c'est l'histoire elle-même qui est productrice de comique. L'autre atout est la qualité de la distribution et la remarquable complémentarité des caractères. Omniprésente, Jamie Lee Curtis en sympathique séductrice fatale linguistico-érogène (elle n'est pas avare de ses baisers et succombe aisément à l'italien et au russe) y joue l'une de ses meilleures compositions. Kevin Kline, complètement déjanté, en homme de main stupide ("ne me traitez pas de débile!") hyper-actif dopé à la philosophie bouddhico-nietzschéenne et aux hormones mâles mérite amplement son Oscar du meilleur second rôle masculin en 1989. Michael Palin, en bègue défenseur des animaux (et amoureux secret de Wanda ?), est un fidèle souffre-douleur parfait pour donner la réplique aux deux premiers. Sa scène répétitive d'assassinat d'une grand-mère est un modèle d'humour anglais. Enfin John Cleese, en avocat anglais coincé et mal marié, est le contrepoint aristocratique idéal aux malfaiteurs précités.
Aucun doute que cette alchimie puisse fonctionner de longues années encore.


mardi 25 mars 2003

The Vikings (les vikings)


Les hommes du nord et l'invention du compas

C'est l'acteur et producteur Kirk Douglas qui est à l'origine de ce film. Après la lecture du roman d'Edison Marshall, "The Vikings", il fait appel à Richard Fleischer, avec lequel il a tourné 20,000 Leagues Under the Sea, pour le mettre en scène. Celui-ci va alors s'atteler à un travail minutieux de reconstitution historique, étudiant avec un soin maniaque les moeurs et coutumes vikings à l'occasion d'un voyage en Norvège avant de démarrer le tournage.
Le résultat est un film relativement réussi. Peu de réelles surprises, la trame est classique avec l'affrontement de deux "caractères", unis par des liens secrets, pour l'amour d'une belle. Le dynamisme est bien présent, même si le film accuse son âge par des scènes d'exposition sans réel intérêt.
Ernest Borgnine est, comme souvent, très bon et le plus convaincant des acteurs. Son côté "barbare sympa et tonitruant" est un atout majeur du film. Kirk Douglas a choisi de jouer un rôle un peu ingrat, défiguré, violent (mais n'est-ce pas tautologique pour un viking ?), bref peu sympathique mais il l'assume plutôt bien. Le poupin Tony Curtis est peu crédible, mais on peut se dire qu'il tient ses belles manières de sa royale mère. Son épouse hors écran, Janet Leigh, ne joue pas là sa plus grande composition. De belles images agrémentent le paysage. On ne fera probablement pas le voyage très souvent, mais ce film mérite tout de même le détour.
Notons enfin la piètre qualité des sous-titres français. L'ignorance du subjonctif par les Américains ne peut pas leur être reprochée mais traduire par exemple "anchor" par "encre" à plusieurs reprises est assez cocasse.




vendredi 21 mars 2003

Jamiroquai: Live in Verona


Le 8 juin 2002, Jamiroquai se produisait dans les arènes de Vérone (Italie) dans le cadre de sa "Funk Odyssey World Tour 2002". Pour la première fois depuis dix ans, le concert était enregistré pour un transfert en dvd d'une grande qualité.
Malgré une pluie battante, cet excellent chanteur soul/funk et remarquable performer réussissait à métamorphoser cette ambiance pluvieuse en une douc(h)e chaleur tropicale réjouissante.
Jamiroquai s'amuse, il échange avec son public (au point de mobiliser plusieurs fois et stresser le service d'ordre) et celui-ci le lui rend bien. La "pêche" est omniprésente, le groupe est très bon. Le réalisateur a eu un peu la main lourde au moment du montage, mais cela participe aussi à l'énergie produite. Quoi, vous êtes encore là ??

dimanche 16 mars 2003

The Third Man (le troisième homme)


"Tout le monde doit être prudent dans une ville comme celle-ci."

Lumières et ombres

Considéré à juste titre comme un classique du 7e art, The Third Man est un chef-d'œuvre visuel, proche, sur ce plan, du Odd Man Out du même réalisateur. Le film bénéficie, en outre, d'un scénario intéressant et bien construit, tant sur le plan historique que dramatique, d'une jolie distribution et est rythmé par une étonnante musique qui crée spontanément la réminiscence (comme cela fonctionne pour la plupart des classiques).
Fondé sur une histoire, devenue par la suite un roman, de Graham Greene (avec lequel Carol Reed a créé The Fallen Idol), le film se déroule dans le Vienne de l'après-guerre, la ville découpée en zones alliées (américaine, anglaise, française, russe autour d'une zone internationale) portant les cicatrices des combats récents. Joseph Cotten interprète Holly Martins, un modeste écrivain américain qui, venu rendre visite à son meilleur ami, Harry Lime, apprend que ce dernier est récemment décédé à la suite d'un accident. Il arrive, d'ailleurs, juste à temps pour assister à son enterrement. Martins décide alors d'enquêter sur cette mort qui se révèle mystérieuse et, au gré de rencontres, est happé dans un monde inquiétant où passions et trahisons viendront remettre en cause sa propre moralité.
L'utilisation de la ville occupée par les alliés crée une constante sensation de perte, de chaos. La trahison est le thème principal du film : celle de l'amour, celle de l'amitié ou celle de l'éthique social. Ce thème est associé à ceux de la précarité et de l'incommunicabilité (ou l'incompréhension). Chaque personnage est d'abord présenté sous un jour plutôt favorable pour mieux être dévalorisé par la suite. Le film est sans pitié pour ses personnages, aucun ne peut se prévaloir d'un statut de héros. Certains ont vu dans le portrait peu flatteur du personnage principal une réaction face à l'intervention américaine pendant la seconde guerre mondiale, voire une représentation du cinéma hollywoodien.
Vienne apparaît dans le film comme un personnage à part entière, une espèce d'animal blessé qui corrompt les humains, mais préserve dignement sa beauté - son architecture chargée, presque baroque dans ce contexte, notamment. La ville, en partie en ruine, se prête parfaitement à un roman noir et surtout à la sublime photographie en noir et blanc de Robert Krasker. Chaque image joue habilement avec le contraste et les angles (plongée et contre-plongée, diagonales) pour créer une notion de difformité et de beauté ; Vienne sert ainsi de métaphore au personnage d'Harry Lime. L'approche esthétique est tellement poussée que chaque scène pourrait être décomposée en une collection de photos en noir et blanc. Krasker photographie Vienne la nuit et en chasse les ombres et les formes à la manière d'un Brassaï arpentant Paris avec son appareil.
Les comédiens ont tous été méticuleusement choisis, pour leur capacité expressive (soulignée, voire sublimée, par le noir et blanc) et, bien sûr, pour leur qualité. Joseph Cotten, un acteur hitchcockien et wellesien, est parfait en américain falot et bravache, perdant lentement ses illusions. Alida Valli compose un être vulnérable (une actrice tchèque et la maîtresse de Lime), en évitant de développer le glamour d'une couverture de magazine de mode, si courant dans les productions de cette époque. La courte interprétation d'Orson Welles est un pur régal. L'acteur joue, lui aussi, sur les contrastes et crée, avec talent et habileté, un personnage cynique dégageant à la fois fascination et répulsion. D'abord réticent à figurer dans la distribution, Welles imposa si bien son inquiétant personnage qu'on lui prêta longtemps la paternité occulte du film. Il est, en tous cas, l'auteur d'une partie de ses dialogues. Les autres acteurs ou figurants se révèlent également très convaincants.
Sur le plan purement cinématographique, certaines séquences sont restées dans la mémoire collective : celle de la grande roue ou encore celle de la fameuse poursuite dans les égouts, figurant ce monde souterrain qui a fait main basse sur la ville. L'entrée du personnage d'Orson Welles est l'une des plus magistrales de l'histoire du cinéma. Un simple rayon de lumière, quelques notes de musique et un sourire allusif suffisent à troubler et dérouter profondément le spectateur. Sans oublier, bien sûr, la fameuse séquence finale avec son plan immobile «accidentellement long». Anton Karas, que Carol Reed découvrit dans un restaurant viennois, composa une bande originale pour cithare insolite et obsédante qui contribua largement à la renommée de The Third Man et à l'étrangeté de l'ambiance du film.
Le réalisateur a rassemblé pour son film des éléments particulièrement forts (histoire, acteurs, photographie et musique) mais a surtout réussi à créer une osmose entre ces éléments, ce qui explique vraisemblablement son succès et son «classicisme». (Màj le 22 mai 05)