jeudi 30 octobre 2008

Interlude (les amants de salzbourg)


"Ce jour-là j'ai su que si l'on attend, si l'on espère, on obtient ce que l'on veut."

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Nul ne savait en 1957, peut-être pas même lui, que Douglas Sirk allait bientôt mettre un terme à sa carrière hollywoodienne. Mais, bien avant de songer à adapter le pénultième roman de son compatriote Remarque, le cinéaste natif de Hambourg souffre-t-il probablement déjà de son trop long éloignement de la vieille Europe*. Lorsque Universal lui donne à nouveau l'occasion de réaliser le remake très libre d'un film de John Malcolm Stahl (When Tomorrow Comes, 1939), version de Cendrillon modernisée par le célèbre auteur de polars James Mallahan Cain, Sirk part le tourner en Allemagne et en Autriche. June Allyson et Rossano Brazzi (le Bolonais venait de s'illustrer aux côtés de Katharine Hepburn dans un Summertime de David Lean assez similaire) sont choisis pour reprendre respectivement les rôles tenus avant eux par Irene Dunne et le Français Charles Boyer.
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Venue de Washington pour travailler à la mission culturelle du consulat étasunien à Munich, Helen Banning est rapidement l'objet d'une cour discrète mais assidue de la part du jeune docteur Morley Dwyer, un ami de sa famille installée à Philadelphie. Un jour qu'elle accompagne sa supérieure Prue Stubbins dans une salle où un concert va être donné à l'initiative de son département, Helen est amenée à suivre chez lui l'imprévisible chef d'orchestre Tonio Fischer, appelé en plein milieu d'une répétition, pour s'assurer de la tenue effective du spectacle. Elle y est reçue rapidement et sèchement par le musicien, obligeant la comtesse Reinhart, hôte et parente par alliance de Fischer, à excuser ce comportement dû à de graves préoccupations personnelles. Le soir du concert, Fischer, pour se faire pardonner, propose de raccompagner Helen chez elle et se montre très aimable. Celle-ci le croise peu après à l'occasion d'une manifestation organisée au château de Nymphenburg. Fischer est sur le point de partir pour Salzbourg et l'invite se joindre à lui. Il ne rencontre pas de difficulté à vaincre les faibles réticences de la jeune femme sensible à son charme.
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"Je suis l'écrivain américain le plus lu, le plus mal commenté et le moins compris" déclarait volontiers James M. Cain. Ce qui s'avère carrément excessif, pour ne pas dire erroné concernant Double Indemnity, Mildred Pierce ou The Postman Always Rings Twice pourrait ici avoir une certaine justification. Si le drame sentimental de John M. Stahl possédait quelques arguments (pas seulement scénaristiques et sonores !!), Interlude mérite bien pour sa part son intitulé original**. Cette bluette semble presque incongrue dans la filmographie de Douglas Sirk, surtout comparée aux productions qui l'entourent. L'investissement du réalisateur s'avère en effet, de son propre aveu, très en retrait tant sur la plan de l'implication dans le scénario que sur celui de la mise en scène. Méritoire chez un cinéaste moins estimable, par exemple le Britannique Kevin Billington qui, en guise de premier film, réalisera onze ans plus tard un second remake. Pas chez le "maître du mélodrame flamboyant" (appellation décernée en toute modestie par J.M. Cain à ses ouvrages).
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*en 1949, une tentative de retour en Allemagne, en partie motivée par des motifs familiaux, s'était alors soldée par un échec.
**divertissement destiné à faire patienter les spectateurs, courte pièce musicale intercalée entre deux compositions plus importantes.

lundi 27 octobre 2008

There's Always Tomorrow (demain est un autre jour)


"Pourquoi tant exiger sans rien donner en retour ?"

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Sorti seulement deux mois après All That Heaven Allows, There's Always Tomorrow explore une autre facette, assez dissemblable et infiniment moins lyrique, du sentiment amoureux et de la complexe relation de couple(s)... en un mot : du bonheur. Ce second film de Douglas Sirk avec Barbara Stanwyck se présente même comme la figure mélodramatique inverse du précédent film tourné avec l'actrice native de Brooklyn. Adapté d'un roman d'Ursula Parrott déjà porté à l'écran pour Universal par le Britannique Edward Sloman en 1934, il est aussi l'une des moins célébrées de ses productions(1), peut-être en raison de l'inhabituelle simplicité directive et formelle qui le caractérise.
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Los Angeles. Patron d'une prospère entreprise de jouets, Cliff(ord) Groves a organisé, à son insu, la soirée d'anniversaire de son épouse Marion. Son enthousiasme et sa détermination lui ont permis de trouver deux places d'un spectacle musical où il compte l'emmener après un dîner en tête à tête. Mais sa chère et exemplaire moitié doit accompagner leur fille cadette Frankie au ballet dans lequel elle doit se produire. De leur côté, Ellen part dormir chez sa camarade Gloria et l'aîné Vinnie sort avec sa petite-amie Ann. Laissé seul chez lui, Groves tente vainement de se consoler avec le goulasch préparé par la cuisinière Mrs. Rogers lorsque retentit la sonnerie de la porte d'entrée. Venue de New York pour son travail, la styliste Norma Miller Vail rend une visite impromptue à son vieil ami et ex-collègue, perdu de vue depuis vingt ans. Tout à la joie de ces inattendues retrouvailles, Groves propose à Norma de profiter des deux places de théâtre qu'il possède. A l'entracte, Norma convainc Groves de lui faire visiter sa société où ils évoquent de vieux souvenirs. Celui-ci a prévu d'emmener Marion à Palm Valley pour un week end en amoureux. Une entorse à la jambe de Frankie contrarie à nouveau ce projet et contraint Groves à partir seul pour rencontrer Mr. Andrew, un bon client propriétaire d'un grand magasin à San Francisco. Il retrouve Norma qui se repose dans le luxueux hôtel au milieu du désert où il est descendu après qu'elle y ait tenu une importante réunion d'affaires. Ils passent ensemble d'agréables moments avant d'être surpris, sans le savoir, par Vinnie en escapade avec Ann et un couple d'amis.
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Précédé par l'admirable A Letter to Three Wives de Mankiewicz, cet opus de Douglas Sirk renouvelle à sa manière (et en noir et blanc !) la longue tradition du drame conjugal à la sauce hollywoodienne dans laquelle s'inscrit par exemple le Dodsworth de William Wyler**. Fable réaliste et un peu moraliste sur les a priori (idées reçues), le sacrifice, la maturité et, bien sûr, encore le bonheur, There's Always Tomorrow signé par Bernard C. Schoenfeld (Caged) se distingue de la précédente version en particulier par l'élimination de la poignante différence d'âge qui séparait les deux personnages principaux. Sirk et ses fidèles collaborateurs Russell Metty (photographie) et Alexander Golitzen (direction artistique) traduisent avec une remarquable pertinence cette diffuse opposition entre apparences et vérité (allusion est faite à An American Tragedy de Theodore Dreiser) par une brillante alternance d'ombre et de lumière. Le récit n'atteint toutefois sa pleine dimension dramatique et cinématographique que grâce à la magistrale performance de Barbara Stanwyck, éclipsant légèrement celle de son partenaire Fred MacMurray, qu'elle retrouvait pour la quatrième et ultime fois(3), pourtant titulaire du rôle central. Il faut aussi et enfin souligner la solidité du jeu des jeunes acteurs, Pat Crowley ("Golden Globe" du meilleur espoir féminin 1954 pour Forever Female), William Reynolds, second rôle dans Has Anybody Seen My Gal? aux côtés de Gigi Perreau avec lesquels Sirk avait tourné respectivement à une et deux reprises auparavant.
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1. néanmoins programmée dans le cadre de la rétrospective consacrée à Sirk en 2005 par la Cinémathèque française.
2. un sujet particulièrement fertile ensuite en Europe, développé notamment par La Notte d'Antonioni et Scener ur ett äktenskap de Bergman.