samedi 31 mai 2008

Once


"When Your Mind's Made Up."

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Bassiste du groupe rock irlandais The Frames au début des années 1990, John Carney n'imaginait probablement pas voir son cinquième film, le deuxième après On the Edge réalisé en solo, connaître un tel succès et entrer, aux côtés de The Commitments (pour n'en citer qu'un seul), dans le club fermé des meilleurs drames musicaux. Fiction atypique, aux inspirations autobiographiques et connotations documentaires, Once gagne l'estime dont il jouit grâce à la subtile alliance nouée par son scénario entre simplicité et sincérité. "Prix du public" au Sundance Film Festival en janvier 2007, ce "petit film (qui) a enthousiasmé (Steven Spielberg) pour le reste de l'année !" a également vu l'une de ses chansons récompensée lors de la dernière cérémonie des Academy Awards.
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Lorsqu'il n'aide pas son vieux père à réparer des aspirateurs, un (plus tout) jeune homme essaie de gagner un peu d'argent en chantant des chansons dans les rues de Dublin. Il rencontre un jour une fille étrangère, elle aussi employée à de petits boulots, qui semble apprécier ses compositions et... talents de réparateurs ménagers. Accompagnée de son aspirateur en panne, celle-ci l'emmène le lendemain dans la boutique d'instruments où, avec l'autorisation du commerçant, elle a l'habitude de s'exercer au piano à l'heure du déjeuner. L'auteur, interprète et guitariste l'invite alors à l'accompagner sur l'un de ses titres puis chez lui. Quelques jours plus tard, c'est au tour de la jeune femme de le convier dans le modeste appartement qu'elle partage avec sa petite fille Ivonka et sa mère, émigrées comme elle de République tchèque.
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Produit avec un budget extrêmement serré (130 000€), dans l'urgence (dix-sept jours) et en HDV, Once s'apparente davantage à un reportage tourné entre copains qu'à une courante production formatée. A l'effet de surprise initial succède celui du charme irrésistible, sans artifices*, de ce court récit où se croisent le destin de deux êtres, un peu marginaux, que tout rapproche et sépare à la fois. Sans participer directement à la narration comme dans un classique film musical, les chansons en influencent très étroitement le cours et la tonalité. Les (multiples et combinées !) interprétations de Glen Hansard, ex-leader de The Frames, second rôle du film d'Alan Parker cité précédemment et vedette de la scène irlansaise, et de Markéta Irglová, l'une des partenaires de son premier album solo, apportent à Once ce supplément d'âme et d'authenticité vraisemblablement à l'origine de son inattendu mais mérité succès public**.
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*un peu dans la veine de Letter to Brezhnev du Britannique Chris Bernard.
**près de 9,5M$ de recettes au box-office US.

mardi 27 mai 2008

Hangmen Also Die! (les bourreaux meurent aussi)


"Et tu te souviendras de moi. Pas seulement parce que j'ai été ton père, mais parce que je suis mort dans ce glorieux combat."

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Deuxième volet de la trilogie antinazie entamée deux ans plus tôt par Fritz Lang, Hangmen Also Die! constitue l'unique collaboration du cinéaste avec le producteur Arnold Pressburger (The Shanghai Gesture), né comme lui dans l'ancienne Autriche-Hongrie, et le célèbre dramaturge Bertolt Brecht ("Die Dreigroschenoper"), tous trois exilés d'Allemagne dès les années 1930. Si le scénario de Man Hunt (Fox) était adapté d'un ouvrage du romancier britannique Geoffrey Household, celui signé par John Wexley* s'inspire librement de l'assassinat de Reinhard Heydrich en mai 1942, spectaculaire et chanceuse action de la Résistance tchèque également à l'origine du Hitler's Madman de Douglas Sirk.
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Protecteur du reich en Bohême-Moravie, Richard Heydrich, dit 'le Bourreau' gouverne le pays d'une main de fer. Pour augmenter la production des usines d'armement, volontairement ralentie par les ouvriers tchèques, Heydrich en confie le contrôle à la gestapo, chargée d'y mener les opérations de répressions nécessaires. Il est, peu après, victime d'un attentat perpétré par un individu aussitôt poursuivi et recherché par la police. Grâce à une indication sciemment erronée d'une jeune femme, l'homme en question échappe provisoirement à une arrestation. Mais ne parvenant pas à trouver un endroit où se réfugier, il se présente, sous la fausse identité de Karel Vanek, au domicile de son alliée de circonstance. Celle-ci, une future mariée prénommée Mascha, l'accueille en inventant une récente rencontre à un concert. La fille du professeur d'université Stephen Novotny et sa famille sont bientôt contraints, en raison de l'entrée du couvre-feu, de retenir leur inattendu visiteur à dîner puis à passer la nuit chez eux. Le lendemain, la gestapo, ne réussissant à appréhender l'auteur de l'attentat, décide de retenir quatre cents otages, parmi lesquels Stephen Novotny, destinés à être progressivement exécutés afin d'obtenir la dénonciation et l'arrestation du meurtrier d'Heydrich.
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"No surrender", expression finale du chant de résistance qui clôt et aurait dû donner son titre au film, atteste bien de l'objectif politique (propagandiste ?) du film, alerter les Etats-unis sur les dramatiques conséquences de l'invasion de l'Europe par les troupes allemandes. Fritz Lang obtient le concours de Bertolt Brecht et les deux émigrés élaborent un récit à partir d'un événement et d'une situation réels. L'attentat contre Reinhard Heydrich, désigné par Hitler à la tête de la jeune république tchécoslovaque occupée, et la bravoure de la population locale soulignée par le film doivent servir d'exemple, apporter la preuve de l'existence d'une résistance crédible et inciter l'opinion publique américaine à la soutenir. Hangmen Also Die! ne revendique évidemment pas le statut d'œuvre historique. Le régime de terreur (persécutions raciales, exécution massives, notamment des intellectuels) instauré par le proche collaborateur d'Himmler, créateur du service de renseignements nazi et co-artisan de la solution finale, n'y est qu'à peine esquissé. La division de la Résistance tchèque et son rapprochement avec l'U.R.S.S. ne sont pas non plus évoqués. Ce dernier point, à peine implicite, servira d'ailleurs d'argument au H.U.A.C. (House of Un-American Activities Commission) pour inscrire John Wexley et le compositeur allemand exilé Hanns Eisler (collaborateur régulier au théâtre de Brecht et nommé aux "Oscars" pour son score) sur leur funeste liste noire.
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Malgré cette vision un peu naïve et édulcorée** ou les quelques faiblesses narratives du scénario, ce septième film de la période US de Lang ne manque pas d'intérêt. On retrouve notamment dans sa réalisation cet expressionnisme symbolique (importance des ombres, caméra détournée du motif principal de l'action) qui contribuait à la puissance suggestive de M. Vecteur thématique essentiel du film, les individualités positives, et par conséquent les acteurs qui interprètent ces personnages (tels Brian Donlevy et Anna Lee, récente tête d'affiche de How Green Was My Valley, dans leur unique film avec le cinéaste) s'effacent au profit du collectif. Y compris le multi-oscarisé Walter Brennan, qui tenait déjà un second rôle dans Fury. Hans Heinrich von Twardowski, ardent antinazi pourtant souvent choisi pour incarner des officiers du reich qui apparaît brièvement au début de Hangmen Also Die!, figurait également dans la distribution (non créditée) d'Hitler's Madman cité précédemment.
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*co-scénariste de Angels with Dirty Faces et collaborateur d'Anatole Litvak, notamment pour Confessions of a Nazi Spy.
**le film souligne néanmoins la brutalité du nazisme et symptomatise l'opportunisme et la corruption du système.

Le scénario développe deux problématiques essentielles qui se répondent : celle brechtienne du sacrifice (celui des otages au profit de la Résistance/du résistant pour sauver l'un d'entre eux sous la pression de l'héroïne, de l'épicière en faveur de cette dernière) qui place le spectateur, comme les personnages concernés, face à un dilemme cornélien. Celle langienne des apparences et de leur trahison, un des thèmes centraux et récurrents du réalisateur.




lundi 26 mai 2008

Alone


"Regardez attentivement. Qui voyez-vous ?"

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Venant après l'inventif Shutter, récompensé par un "Prix du public" à Gérardmer en 2006 et reçu assez favorablement au point de susciter la production d'un remake US (à l'affiche le mois prochain en France), ce second thriller horrifique du duo thaïlandais Banjong Pisanthanakun-Parkpoom Wongpoom s'aventure dans un sentier narratif emprunté avant lui. Pour cette raison mais également pour d'autres, malgré les quelques prix festivaliers* glanés en territoires Nord-américains et la présence de la séduisante chanteuse Masha Wattanapanich, Alone reste en-decà du précédent.
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Séoul. Des amis attendent Phim Watanakun dans son appartement pour lui fêter, par surprise, son anniversaire. La soirée terminée, Wi, le compagnon de la jeune femme, reçoit un appel téléphonique leur apprenant l'hospitalisation de la mère de Phim, victime d'une attaque cérébrale. Le couple prend l'avion pour se rendre, dans leur pays d'origine, au chevet de la malade inconsciente. Il s'installe alors dans la grande et belle maison familiale de Phim où celle-ci se laisse progressivement gagner par de douloureux souvenirs d'enfance, époque où elle et sa défunte sœur Ploy étaient siamoises. Phim devient bientôt sujette à des visions de plus en plus effrayantes dans lesquelles apparaît souvent Ploy, apparemment déterminée à lui faire du mal. Face à la terreur croissante et au désarroi ressentis par sa compagne qu'il prend pour un trouble mental passager, Wi organise une rencontre entre elle et Danay, un vieil ami psychiatre.
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Pour défendre leur film, Banjong Pisanthanakun et Parkpoom Wongpoom pourraient légitimement avancer la paternité nationale du concept de jumeaux siamois (ou fusionnés), le Siam étant en effet l'ancien nom de la Thaïlande*. Mais ils ne peuvent revendiquer l'originalité de son utilisation au cinéma. Difficile, en effet, de ne pas penser au Sisters de Brian De Palma ou au Dead Ringers de David Cronenberg dont les scénarii mêlaient déjà étroitement gémellité, pathologique ou non, et psychiatrie. Réalisé avec un réel sens esthétique, Alone ne parvient cependant pas à s'extraire du schéma stéréotypé du film d'horreur (asiatique), succession de scènes d'exposition ou d'explication et de plus ou moins brèves séquences d'effroi.
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*et l'adjectif donné la première fois, au XIXe siècle, en référence aux jumeaux Chang et Eng Bunker originaires du pays.
**auxquels on peut ajouter le classique The Dark Mirror de Robert Siodmak ou le confidentiel To Become One et récent Janghwa, Hongryeon.