mercredi 30 juin 2004

13 Rue Madeleine (13, rue madeleine)


"Aucun agent secret ne joue franc jeu... aucun agent vivant."

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Sortis la même année, 13 Rue Madeleine et Kiss of Death, tous deux signés Henry Hathaway, ne se valent pas, loin s'en faut. Si le second est probablement le (ou au moins l'un des) meilleur(s) film(s) du réalisateur, le premier possède une qualité tout juste moyenne. Hathaway, qui avait la réputation de travailler vite et bien, a, visiblement, dû confondre, sur ce film, vitesse et précipitation.
En 1942, le recrutement aux Etats-Unis et la formation d'agents secrets, souvent d'origine étrangère, sont le prélude, pour certains d'entre eux, à la réalisation d'une mission, l'opération 77 (O-77) sur le sol français, en préparatifs au Débarquement. Parmi les vingt-deux candidats à l'O-77, se trouve un espion allemand. Robert Sharkey (James Cagney), le responsable de l'équipe, est chargé de le démasquer et de lui confier de faux renseignements pour détourner l'attention de l'Allemagne sur la Hollande où serait sensé se dérouler la future attaque des forces alliées. Cette première étape accomplie, William O'Connell alias Kuncel (Richard Conte), l'espion en question, Suzanne de Beaumont (Annabella) et Jeff Lassiter (Frank Latimore) sont parachutés en France pour capturer l'ingénieur français désigné par les allemands pour construire un important dépôt d'arme en Normandie. Se sachant découvert, Kuncel provoque la mort de Lassiter et regagne son poste au sein de la Gestapo basée au Havre. Sharkey se propose alors de remplacer l'agent éliminé pour mener à bien l'opération.
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Présenté, dans son préambule, comme un documentaire historique, tourné "sur les lieux même des événements" (une contre-vérité !), sur le rôle essentiel des services secrets pendant la Seconde Guerre Mondiale, 13 Rue Madeleine abandonne rapidement la narration. Il faut dire que le film est déjà passablement bavard, reléguant l'action au second plan et à sa toute dernière partie. Le scénario ne brille pas par sa clarté, l'intrigue est donc un peu confuse. Peu de chose, en définitive, à retenir si ce n'est l'interprétation d'Annabella et la brève apparition de Karl Malden. James Cagney, dans son seul film avec Hathaway, ne crève pas l'écran comme chez Walsh ou Curtiz. Et la photographie est pauvre et maladroite. Un film pour les inconditionnels ou les collectionneurs.
N.B. : le "13 rue Madeleine" est l'adresse du QG de la Gestapo au Havre.



The Gunfighter (la cible humaine)


"On essaie juste de rester vivant."

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Cette œuvre se situe dans la dernière partie du "siècle de cinéma" d'Henry King. Le metteur en scène est un de ces touches à tout de génie d'Hollywood. Du muet en noir et blanc au Cinemascope, du mélodrame au film de guerre ou de pirates, de la comédie, parfois musicale, au western, il n'y a quasiment pas de maillon faible parmi ses plus de cent réalisations. Avant-dernier des westerns de ce sudiste né en Virginie, onze ans après Jesse James (la série s'achèvera avec The Bravados en 1958, toujours avec Gregory Peck) The Gunfighter est l'une des pièces maîtresses de sa filmographie. Un remarquable portrait de "caractère" en évolution, classique et en même temps d'une grande modernité, dont King s'est souvent fait une spécialité.
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Jimmie Ringo (Gregory Peck) est un hors-la-loi repenti et le tireur le plus rapide de l'Ouest. Sa réputation en fait un mythe suscitant curiosité, admiration ou indignation. Il est aussi, en permanence, défié par ceux qui ambitionnent de prendre sa place de meilleur gâchette du pays. Ceux qui, jusqu'à présent, s'y sont essayé ne sont plus là pour témoigner de l'expérience. Ringo tue, dans ces conditions, un adversaire et, bien qu'en situation de légitime défense, est poursuivi par les trois frères du mort, bien décidés à le venger. Après avoir privé ses poursuivants de leur monture au milieu de nulle part, Ringo se rend à Cayenne pour voir Peggy (Helen Westcott), sa compagne et son jeune fils qu'il n'a pas vus depuis longtemps. Le shérif de la ville s'avère être un ancien compagnon d'aventures, Mark Strett (Millard Mitchell). Face au refus de Ringo de quitter la ville sans au moins tenter de voir Peggy, Strett se charge de transmettre la demande à l'intéressée. Celle-ci refuse d'abord, puis, sollicitée à nouveau par Molly (Jean Parker), une chanteuse de bar et une amie du couple, finit par accepter cette brève entrevue. Entre temps, Cayenne est dans tous ses états. Les enfants désertent l'école pour apercevoir la légende vivante, les femmes de la ville manifestent pour réclamer le départ du bandit et un jeune blanc-bec, Hunt Bromley (Skip Homeier), provoque Ringo en duel. De leur côté, les trois poursuivants initiaux, après une longue marche forcée, ont trouvé de nouveaux chevaux et se dirigent vers la ville.
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Incontestablement un très grand film, peut-être moins percutant que le High Noon de Zinnemann de 1952, mais construit à partir d'un scénario classique mais solide*. Comme High Noon, The Gunfighter est un compte à rebours et un rendez-vous avec le destin. Mais, contrairement à lui, sa tonalité est plus grave et sa fin respecte moins les canons habituels imposés par les studios. Belle réflexion sur l'ascension, la célébrité et la chute (dans un domaine qui ne pardonne pas !), le film de King possède une trame à la fois simple et dense. S'y mêlent la tentative (malheureuse) d'inverser le cours de sa vie tout en étant contraint de suivre les règles de celle que l'on veut abandonner, tout simplement pour survivre et l'inconfort d'une position superlative qui relativise les ambitions et illusions qui y ont mené. Parmi les nombreuses scènes fortes qui mettent en relief cette thématique, celle de l'embusqué qui souhaite venger la mort de son fils en tuant un innocent, seulement coupable de sa notoriété, l'amusant échange entre Ringo et les suffragettes de la ville ignorantes de son identité ou encore la brève rencontre au bar avec un jeune éleveur qui ouvre au héros de paisibles et encourageantes perspectives qu'il n'avait pas encore formalisées. Avec, en toile de fond, comme un présage fatidique, la mort de l'ami, l'ancien complice et le compagnon de Molly, Bucky, une fine gâchette lui aussi, abattu dans le dos. Qui mieux que Gregory Peck pouvait incarner ce personnage à la fois héroïque et désabusé qu'est Ringo ? Avec sa moustache de bon père de famille, il est, comme dans la plupart de ses interprétations comparables, formidable de sobriété et de vérité. Il retrouve son très bon partenaire de Twelve O'Clock High, le précédent film de King, Millard Mitchell. Karl Malden, absent des écrans depuis près de trois ans pour cause de théâtre, assure avec talent un second rôle de tenancier du bar, lieu central de l'action.
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*sélectionné aux Academy Awards ("Oscar" attribué aux Anhalt pour Panic in the Streets de Kazan) et aux Writers Guild of America 1951 (meilleur script de western, récompense dévolue aux scénaristes de Broken Arrow de Delmer Daves).

lundi 28 juin 2004

Leave Her to Heaven (péché mortel)


"La vérité est parfois horribe."

Qui pourrait, aujourd'hui, citer de mémoire trois œuvres de John M. Stahl ? Paradoxalement, les remakes de certains de ses films, réalisés par Robert Stevenson et Douglas Sirk, sont moins méconnus. Ce new-yorkais de naissance, un des trente-six cofondateurs de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS), s'est principalement illustré dans le mélodrame au cours de la première moitié du siècle dernier. Back Street, signé en 1932 pour Universal, reste une de ses réalisations majeures. Comme Mankiewicz, Stahl est particulièrement adroit pour mettre en scène les actrices. Dans la décennie 1940, après Maureen O'Hara et Anne Baxter, c'est Gene Tierney qui est au centre de ce Leave Her to Heaven.

L'écrivain Richard "Dick" Harland (Cornel Wilde) rencontre Ellen Berent (Gene Tierney) dans le train qui l'emmène chez les Robie, à Deer Lake (Maine), pour terminer son dernier roman. Ellen, sa mère et sa cousine, adoptée par les Berent, Ruth (Jeanne Crain) y sont également invitées. Toutes les trois doivent répandre les cendres de leur mari ou père sur une des montagnes qu'il affectionnait particulièrement. Richard, dont la ressemblance avec feu M. Berent est frappante, et Ellen, pourtant déjà fiancée à un futur procureur, tombent presque immédiatement amoureux l'un de l'autre et se marient rapidement. Le couple s'installe à Warm Springs (Georgie), à proximité du centre de soins où réside Danny, le jeune frère handicapé de Richard. Le projet du trio de se rendre à "Back of the moon", le chalet que possède les Harland au bord d'un lac, semble faire la joie de tous. Mais, bientôt, l'amour possessif d'Ellen vis-à-vis de son mari la pousse à faire le vide autour de lui : elle se montre désagréable avec le gardien du chalet, l'un des meilleurs amis de Dick, provoque le départ anticipé de sa famille, conviée pour lui faire une surprise et est à l'origine de la noyade de Danny. Pour regagner l'attention de son époux, très affecté par ce décès, elle suit le conseil de Ruth et tombe enceinte. Mais, se sentant lésée par l'intérêt suscité par cette future naissance, elle chute volontairement dans un escalier et perd son enfant. Elle perd aussi définitivement l'amour de Dick, en particulier quand elle lui confirme ce qu'il soupçonnait : le meurtre de Danny. Pour empêcher Ruth de prendre sa place dans le cœur de son mari, elle se suicide au poison, en s'arrangeant pour que sa cousine soit accusée de meurtre.
Tiré d'un roman de Ben Ames Williams auquel on doit, notamment, la base du script du Someone to Remember de Robert Siodmak deux ans plus tôt, Leave Her to Heaven est un drame de la jalousie qui, comme The Walls of Jericho, en 1948, se donne quelques airs de film noir. Il faut, d'ailleurs, bien reconnaître que Gene Tierney n'a jamais été aussi femme fatale, au sens non figuré du terme, que dans ce film. D'une facture classique(1), et tourné dans un Technicolor(2) qui renforce le contraste entre le paradis naturel et l'enfer intérieur, c'est la prestation de l'actrice(3) qui en fait presque tout l'intérêt. Stahl joue avec talent sur l'ambiguïté de son personnage, fabuleuse beauté apparente, trouble névrotique et profonde noirceur cachés(4). Et Tierney, entre Laura de Preminger et Dragonwyck de Mankiewicz, trouve en elle les ressources pour donner à Ellen Berent une authenticité et une identité singulière. Dans le premier de ses trois films tournés avec le réalisateur, Cornel Wilde, dont High Sierra et The Big Combo sont les œuvres les plus réputées, apporte, dans un rôle de victime, un supplément d'âme "noir". Notons enfin la présence de Vincent Price(5) dans le rôle de Russell Quinton, l'ex-fiancé d'Ellen chargé de l'accusation pendant le procès de Ruth.
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1. le film est un long flash back qui se déroule en quatre époques et autant de lieux à partir du récit de l'ami et avocat du personnage principal.

2. Leon Shamroy reçoit l'Oscar de la meilleur photographie en 1946.

3. Rita Hayworth était le premier choix pour le rôle d'Ellen. Celui-ci vaudra à Gene Tierney la seule sélection aux Academy Awards de sa carrière, récompense finalement attribuée à Joan Crawford pour Mildred Pierce.
4. il cache par exemple, symboliquement son beau regard bleu derrière une paire de lunettes noirs dans la scène de la noyade de Danny.
5. dans son troisième film en deux ans avec John M. Stahl, et partenaire de Gene Tierney dans Laura et Dragonwyck.