mardi 29 avril 2003

Signs (signes)


"Les gens sont divisés en deux groupes. Quand ils vivent quelque chose d'heureux, les gens du premier groupe considèrent que c'est plus que de la chance, plus qu'une coïncidence. Ils vivent cela comme un signe, une preuve que Quelqu'un, là-haut, veille sur eux."

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Je ne suis pas un "ardent" admirateur de Shyamalan. J'ai pourtant apprécié ses deux premiers films sans, cependant, crier, comme certains, au génie. Ces derniers se disent déçus par Signs et glosent volontiers sur le caractère quasi miraculeux du premier opus. Je dois, quant à moi, reconnaître que le nouveau film s'inscrit dans une certaine continuité. Continuité dans le genre (psycho-fantastique) et dans le traitement visuel qui est devenu sa marque de fabrique. Au risque de choquer, je dirais que le film de Shyamalan est, par de nombreux aspects, le produit d'une filiation spielbergo-hitchcockienne.
Le choix d'un huis clos extraterrestre peut paraître paradoxal. Il ne l'est pas. Shyamalan a opté pour un thriller qui met l'accent sur l'impact d'un événement et d'une menace fantastiques majeurs sur les contradictions personnelles et les ressentiments muets des membres d'une famille de Pennsylvanie déjà frappée par le malheur.
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La perte de foi du révérend Graham Hess (Mel Gibson) consécutive au décès de son épouse est l'élément déclencheur du déséquilibre qui frappe son foyer. Il se sent seul, livré à lui même dans son désarroi ; il se contente de gérer le quotidien. Il va devoir affronter l'absolue altérité. Son frère, Merill (Joaquin Phoenix), est, contrairement au révérend, un homme d'action un peu simple, refoulé qui entretient des relations ambiguës avec le sexe féminin, peut-être à la suite d'un trauma. Il va se comporter de manière très saine et efficace dans la situation extraordinaire qu'il rencontre. Les enfants, Morgan (Rory Culkins) et Bo (Abigail Breslin), sont, comme d'habitude, hypersensibles, prémonitoires dans ce nouvel environnement.
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Ils sont à la fois rationnels et affectifs, c'est à dire en un mot spirituels. Et ce sont, outre la frousse que procure le film, ces contrastes qui font tout son intérêt. Visuellement, Shyamalan sait ménager ses effets sans appuyer trop le trait. Tout est en suggestions (on n'aperçoit l'alien qu'au bout d'une heure de film), les lumières et les ombres sont remarquablement travaillées. Et puis il y a les "trouvailles" : le récepteur-bébé bien sûr, le livre sur les extraterrestres, les verres d'eau inachevés de Bo, le rôle de la télévision (en particulier le reportage amateur terrifiant au Brésil), la présence (une sorte d'alien avant l'heure) du réalisateur dans le rôle du meurtrier accidentel de Mrs Hess, sans oublier les touches d'humour. La qualité de la composition musicale de James Newton Howard, qui doit beaucoup à Bernard Herrmann, est également un des atouts du film. La seule réserve que je formulerais est l'interprétation un peu ridicule de Mel Gibson dans les scènes d'"émotion".

samedi 26 avril 2003

Rabbit-Proof Fence (le chemin de la liberté)


Génération volée

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Le colonialisme est une vision unilatérale du monde. Il repose sur la certitude de faire le Bien (ou de pseudo bonnes intentions) et justifie toutes les horreurs. Comme celle d'enlever des enfants à leur mère pour les "éduquer".
Commençons par le début : en 1859, un agriculteur du sud de l'Australie, importe 12 lapins de son pays d'origine, l'Angleterre, pour la chasse. En 1931, époque où se déroule les événements authentiques du film Rabbit-Proof Fence , ils sont près d'un milliard. Il faudra introduire volontairement la myxomatose pour en réduire modestement le nombre. On installe alors des clôtures pour éviter qu'ils ne se propagent dans tout le pays, les "Rabbit-Proof Fence" (titre anglais du film)''. C'est le long d'une de ces clôtures que trois fillettes aborigènes vont parcourir près de 2 500 kilomètres pour retrouver leur mère à laquelle elles ont été enlevées.
On assiste donc à leur "capture" pour être "parquées", "éduquées" et destinées à devenir domestiques ou assouvir le "bon plaisir" du Blanc (la majuscule est ironique !). Puis, à l'initiative de la plus âgée, Molly, à leur tentative de retour vers leur foyer véritable, pistées par un "traqueur" lui même aborigène.
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Phillip Noyce, réalisateur australien que l'on connait mieux pour son très efficace thriller Calme blanc ou ses deux opus des aventures de Jack Ryan, Jeux de guerre et Danger immédiat, avait déjà réalisé en 1977 un film d'une heure, Backroads, sur un aborigène et un blanc, traitant des relations interraciales en Australie. Il nous propose, ici, un très joli film, sans mièvrerie ni pathos, adapté de l'ouvrage "Follow the Rabbit-Proof Fence" de Doris Pilkington, la fille de Molly, l'une des héroïnes du film. Le suspens et les émotions sont réels, et l'on partage les conditions de vie de ces trois gamines, Molly, sa soeur Gracie et leur cousine Daisy (14, 8 et 10 ans), seules, affamées et terrifiées mais farouchement déterminées.
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Kenneth Branagh incarne le sinistre et tout puissant "protecteur des aborigènes", Mr Neville avec un cynisme froid qui sied parfaitement au personnage. Le discours sur le colonialisme et le racisme n'est pas, comme souvent, caricatural et la tonalité reste optimiste : Phillip Noyce clôt son film sur les visages ridés et souriants des vraies Molly et Daisy, aujourd'hui âgées de plus de quatre-vingt ans. Mais on frémit d'apprendre que les "établissements" de Mr Neville n'ont fermé qu'en 1967 et de savoir que l'esclavage, qualifié de moderne, n'a toujours pas disparu au XXIe siècle.
Une mention particulière à la très belle et adaptée bande originale signée Peter Gabriel.
A l'heure où les comédies semblent faire le beau temps des box-offices en France ou aux Etats-Unis, il serait dommage de passer à côté d'un film d'une belle authenticité et d'une profonde humanité comme celui-là.

dimanche 20 avril 2003

The Mighty Quinn


Elmer et Bugs Bunny en dreadlocks

Un petit polar en vacances, voilà ce qu'est le film du suisse Carl Schenkel tiré de la nouvelle d'Albert H. Zolatkoff Carr "Finding Maubee". Ce réalisateur de télévision, plus connu (c'est une façon de parler !) pour son Face à face de 1992 avec Christophe Lambert, nous propose en effet ici un petit voyage en Jamaïque, belles images et reggae. La présence bien sympathique de Denzel Washington (c'était bien avant Malcolm X, Much Ado About Nothing ou Philadelphia) et la plastique de Mimi Rogers et des autres personnages féminins sont des accroches efficaces mais pas suffisantes pour faire de ce film une réussite cinématographique. L'histoire est biscornue, elle semble n'être là que comme un prétexte. En réalité, il s'agit d'un album de photos de vacances en images animées. Une des règles d'or des producteurs de cinéma devrait être la question suivante : "les spectateurs prendront-ils autant de plaisir à regarder ce film que nous en avons pris à le tourner ?"

mercredi 16 avril 2003

Khartoum


Vision et vanité

Ouverture
La trame historique du film est celle du siège et du combat de Khartoum entre le 12 mars 1884 et le 26 janvier 1885. Cet événement met aux prises Mohammed Ahmed dit le Mahdi (l'attendu) qui lance une insurrection islamiste au Soudan contre l'occupant égyptien et son allié britannique et Charles George Gordon, Major Général de sa Royale Majesté la Reine Victoria, envoyé par le gouvernement du Premier Ministre William Ewart Gladstone, comme Gouverneur du Soudan, pour une simple mission d'évacuation de la population non autochtone. Le choix de Gordon s'imposait pour trois raisons : il était affectivement lié au Soudan et à Khartoum pour y avoir mené une lutte efficace contre l'esclavagisme qui lui valait une reconnaissance presque frénétique de la part de la population locale ; il avait écrasé la rébellion Taiping en Chine (1864) à la tête de la "Ever Victorious Army", gagnant ainsi le surnom de "le Chinois" ; enfin, il était le seul susceptible d'accepter une mission aussi délicate, militairement et politiquement. Inconvénient majeur pour ses mandants : c'est un homme libre, sans souci de sa hiérarchie, un croyant qui "prend ses ordres auprès de Dieu plutôt que de moi" déclare le Premier Ministre Gladstone.
Nous avons donc affaire à une opposition entre deux hommes de foi, ce qui en fait la particulière richesse psychologique et historique.

Intermède
Khartoum est un film en deux actes (avec entracte donc) qui se situe dans la dernière partie de la carrière de son réalisateur, Basil Dearden. Il vient après Doubles masques et agents doubles (Masquerade - 1965 au générique duquel figure Michel Piccoli) et avant Un Trio d'escrocs de 1968. Basil Dearden est un cinéaste (plus qu'un artiste) de qualité, attaché à la précision narrative et aux aspects techniques plus que stylistiques de ses films. Le soin documentaire (très sensible tout au long du film et en particulier dans l'introduction) est manifeste.
On peut dire, dans cette perspective, que le film est une réussite. L'action, sorte de Fort Alamo à l'anglaise, est bien menée, la distribution est de qualité. Laurence Olivier en fondamentaliste islamiste à l'accent "exotique" est, quoique surprenant, assez convaincant. Choisi, entre autres, pour sa prestation dans Les 55 de Pékin (1963), étrange parallèle avec son futur personnage de Gordon, Charlton Heston tient très correctement son rôle, même si en officier-ingénieur anglais, ce n'est pas le meilleur choix (il reste, malgré ses efforts, trop américain). On lui aurait, peut-être, préféré un Alec Guinness, Rex Harrison ou un Peter O'Toole (trop jeune pour le rôle). D'ailleurs, Khartoum n'a pas le souffle épique et légendaire d'un Lawrence d'Arabie, auquel il est souvent comparé. Les rencontres entre Gordon et Mohammed Ahmed, qui n'ont probablement jamais dû avoir lieu, sont les principaux moments forts du film, tant pour leur portée psychologique que pour la confrontation intéressante entre les deux acteurs.

Musique de clôture
Khartoum est un film très plaisant, et ses plus de deux heures ne sont pas un handicap, au contraire. Mention spéciale à la composition musicale de Frank Cordell, bien mise en valeur et dont le thème est une réelle réussite.