mardi 28 septembre 2004

Chu liu xiang (la complot des clans)


"Rien n'est prévisible."

Tourné la même année que Pai yu lao hu, Chu Liu xiang, du nom de son personnage principal, s'inscrit un peu dans la même veine. Toujours adapté d'une œuvre de Gu Long, le film s'en écarte toutefois par ses tonalités de tragi-comédie, utilisant volontiers des ambiances macabres et fantastiques. L'intrigue perd un peu de sa simplicité et de sa clarté dans le dernier tiers, mais la qualité de mise en scène et l'interprétation des nombreuses vedettes du casting en font un spectacle plus que séduisant.
Les chefs des clans du Sable rouge, de l'Etoile et Zha Mu-he, le roi du désert, sont, coup sur coup, empoisonnés par de l'eau magique. Les femmes du palais de l'Eau magique accusent Chu Liu-xiang (Lung Ti), un maître reconnu des arts martiaux, d'être l'auteur de ces meurtres après leur avoir volé ce précieux liquide. Elles donnent un mois à Xiang pour se disculper en retrouvant le véritable assassin. Xiang se met en chemin et découvre que les victimes avaient, toutes trois, reçu une lettre d'une même superbe femme dont chacun possédait le portrait chez eux. Une sombre affaire de vengeance et de domination du monde des arts martiaux semble être à l'origine de ces forfaits. Mais le chemin sera long et périlleux pour Xiang avant de connaître le fin mot de l'histoire.
Splendide divertissement, visiblement conçu pour être aussi spectaculaire que l'occidental James Bond, Chu Liu xiang surprend par sa vivacité, son rythme haletant, la qualité de la réalisation et son inventivité, la marque de fabrique de Chu Yuan, la beauté visuelle et technique des chorégraphies aériennes dirigées par Chia Tang et son impressionnante distribution. On regrette juste que le scénario pêche par excès de foisonnement, l'imbrication des intrigues secondaires rendant le film moins "lisible" dans sa dernière partie. A noter, enfin, la fugace allusion à l'homosexualité féminine (déjà présente dans Ai nu) et un score dont certaines parties n'auraient pas été déplacées dans une célèbre série britannique. 

Le Cerf-volant


"Elle part sans retour, sinon... elle aura l'Oscar du 'passage'."


Troisième long métrage de fiction de la réalisatrice, Le Cerf-volant parle, comme les précédents, de la guerre. Mais, comme dans Civilisées, sur un ton léger et poétique. Randa Chabal Sabbag avait, avec celui-ci, participé à la renaissance du cinéma libanais à la fin des années 1990, dans le sillage de West Beyrouth de Ziad Doueiri, sélectionné à Cannes, ou Beyrouth fantôme de Ghassan Salhab. Avec ce dernier film, l'ancienne étudiante de l'ENS Louis Lumière fait montre d'une réelle intelligence de composition et d'une maîtrise affirmée dans la mise en scène. Le Cerf-volant a reçu le "Lion d'argent - Grand prix du jury" de la Mostra 2003.
Un village druze, à la frontière entre Israël et le Liban. Ou plutôt "sur" la frontière, coupé en deux par un réseau de mines et de barbelés. Lamia (Flavia Béchara), 16 ans, vit dans la partie libanaise. Elle est promise à Sami (Edmond Haddad), un cousin qui vit de l'autre côté et qu'elle ne connaît presque pas. Depuis son mirador, Youssef (Maher Bsaides), un jeune soldat druze israélien, la regarde et en tombe amoureux. Lamia passe, en robe de marié, du côté israélien. Mais le jeune couple, aux modes de vie très différents, ne s'aime pas. La jeune femme divorcée, malgré son souhait de rester sur place, est contrainte de repasser la frontière, au grand dam de son amoureux.
Le film est une histoire d'un amour impossible vue à travers le regard d'une femme. Autant dire que la gent féminine, et ce n'est pas une critique, est celle qui est la mieux traitée. Courage, vivacité en sont les qualités, humour aussi. Mère, tante, fille, soeur, cousine s'apostrophent d'une moitié de village à l'autre au mégaphone et à la jumelle, hurlant, dans une même phrase, insultes et messages d'amour de manière cocasse. Contemplatif, très photographique sur le plan visuel, Le Cerf-volant n'évite pas les maladresses ou les (fausses ?) naïvetés, utilisant volontiers des allégories démonstratives sur la condition de la femme ou la privation de liberté. Mais l'impression générale qu'il laisse est bonne, grâce notamment à la belle fraîcheur de son interprète principale et à la qualité de la bande musicale, incluant subtilement le "Le vent t'emportera" de Noir désir

Les Grands duels du sport : Real/Barcelone


Dans le cadre de la saison 2004-2005, le duel historique entre les deux prestigieux clubs ibériques s'opère à distance. Si le FC Barcelone, invaincu, est deuxième du championnat après cinq matchs, le champion 2003, le Real Madrid, avec deux défaites, pointe à la huitième position. Et pour couronner ce démarquage sportif, Samuel Eto'o, le camerounais de l'équipe catalane, est, avec cinq buts, en tête du classement des buteurs alors que le madrilène d'adoption David Beckham n'est que douzième avec deux réalisations. Mais, à travers ces deux puissantes formations aux palmarès enviables, ce sont deux villes, deux régions, deux cultures, deux langues et deux nationalismes qui s'opposent depuis 1902, parfois de manière exacerbée comme à l'occasion du transfert du portugais Luis Figo de Barcelone à Madrid en 2000.
C'est d'ailleurs avec cette "affaire" que débute le documentaire. Le film explore, à travers images d'archives (d'origine Gaumont ou Pathé pour la partie historique) et commentaires de témoins privilégiés, les raisons historiques et politiques de cet antagonisme, l'origine des clubs* et leur valeur symbolique respective pendant la Guerre civile, époque qui a scellé, dans la douleur et le sang, leur rivalité. Le rôle des acteurs majeurs et les grandes dates, depuis la Coupe d'Espagne (dite du Caudillo) 1942 remporté par le FC Barcelone, ne sont, bien sûr, pas oubliés : le président Santiago Bernabeu dont l'ambition a été de faire de son club le premier d'Espagne et d'Europe (vainqueur de la première Coupe du continent, "club du siècle", titre décerné par la FIFA) et qui a donné son nom au stade madrilène, Alfredo Di Stefano, enlevé, de manière cavalière, à Barcelone par Madrid pour refaire son retard sportif, Miro Saenz, le père du Camp Nou, initialement prévu pour accueillir cent cinquante mille spectateurs, le fantastique Johan Cruyff, joueur puis entraîneur, qui sort le Barca de sa longue torpeur en 1974, avec notamment, la fameuse victoire 5-0 contre Madrid cette année-là (année qui verra aussi le retour de la monarchie en Espagne et le début de l'ouverture démocratique), la rencontre de 2001 et le but malencontreusement annulé de Rivaldo...
Intéressant document, un peu déséquilibré dans son développement entre histoire et sport, mais qui remet utilement en perspective l'importance, pas seulement sportive, des deux clubs et leur confrontation centenaire. Multiples interventions de Manuel Vasquez Montalban, écrivain, Eduardo Arroyo, peintre, Alfredo Di Stefano, Nacho Arranda, directeur de "Real Madrid TV", Manuel Saucedo, rédacteur en chef de "Marca", Josep Valles (qui narre l'incroyable épisode d'un match de juin 1943), Manolo Sanchis et Josep Guardiola.


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*fondateur suisse pour le FC Barcelone, dont les couleurs sont celles de sa ville natale, Zurich ; commerçants catalans pour le FC Madrid, club agréé par le roi Alphonse XIII, d'où son nom et sa couleur immaculée.

dimanche 26 septembre 2004

Léo, en jouant "Dans la compagnie des hommes"


"Il redoute de ne pas être le maître de ses projets."

Arnaud Desplechin réalise, avec Léo en jouant "Dans la compagnie des hommes", son quatrième long métrage. Metteur en scène littéraire s'il en est, il choisit une pièce d'Edward Bond créée (en français) par Alain Françon en 1992 au Théâtre de la Ville à Paris. Mieux connu en France depuis le Festival d'Avignon de l'été 1994, le dramaturge*, comme dans ses autres œuvres, y développe une cruauté sans égale** dans sa façon de mettre en lumière l'inhumanité de notre société, sa violence, ses failles, ses tares et ses faillites. Présenté en sélection officielle du Festival de Cannes 2003, Léo... a fait l'ouverture de la section Un Certain Regard (en "rough cut", i.e. projeté dans un montage non définitif).
7 février 2001 Paris, France ; Henri Jurrieu (Jean-Paul Roussillon) vient de sauver son entreprise d'armement d'une O.P.A. hostile lancée par Hammer (Wladimir Yordanoff), le patron d'une importante chaîne de distribution alimentaire. Son fils adoptif, Léonard (Sami Bouajila), entretient avec lui des relations complexes, marquées par l'omnipotence paternelle. Léonard se voit proposer par Claude Doniol (Laszlo Szabo), un des proches collaborateurs de son père, de racheter, sans en parler à celui-ci, la société de Willian De Lille (Hippolyte Girardot), alcoolique et joueur notoire, criblée de dettes. D'abord réticent, Léonard, qui n'arrive pas à convaincre son père de le nommer au conseil d'administration, voit dans cette affaire un moyen de réaliser ses ambitions et de montrer ses talents de dirigeant.
Etonnant récit de trahison, de prise et méprise de pouvoir et d'héritage, de recherche d'identité, d'hallucinations et de folie, Léo..., à mi chemin entre cinéma et théâtre, s'intéresse surtout, comme le suggère son titre définitif, au travail de l'acteur. Desplechin et son scénariste, l'ancien critique Nicolas Saada, n'hésitent d'ailleurs pas à ajouter le personnage d'Ophélie (Anna Mouglalis) pour accentuer, si nécessaire, la dimension shakespearienne de l'œuvre. Des séquences de répétition (tournées en vidéo) sont intégrées au montage pour rendre explicite la démarche artistique et montrer le processus de création. Si le projet, dans sa partie formelle, semble plutôt destiné aux spécialistes, la partie fictionnelle du film, aux ambiances nerveuses (filmé caméra à l'épaule), oppressantes et inquiétantes, est remarquablement bien maîtrisée, servie par de solides acteurs de théâtre : Jean-Paul Roussillon(sociétaire honoraire de la Comédie-Française), Wladimir Yordanoff, Bakary Sangare, et Laszlo Szabo, seul rescapé des précédents films de Desplechin. Il faut également noter la jolie prestation d'Hippolyte Girardot, que l'on voit désormais avec joie plus souvent à l'écran. La dernière originalité de l'œuvre est sa bande musicale rock, motif contraponctique qui participe au caractère expérimental du dispositif et ajoute intelligemment un supplément de vertige ou de brouillage dans le message sensitivo-narratif.
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*qui a, notamment, signé le scénario du Walkabout de Nicolas Roeg et les dialogues anglais de Blowup d'Antonioni.
**à la question d'un journaliste de France 2 de l'édition de 13h du journal qui lui demandait en conclusion d'une interview ce qu'il voudrait que l'on écrive sur sa tombe, Edward Bond, avec un étrange sourire, avait répondu: "No parking..." !