Hollywood d'hier et d'aujourd'hui, raconté par William Karel à l'occasion d'un premier voyage à Los Angeles (avec un détour par Las 'Sin City' Vegas).
Celui du cinéma, bien sûr, mais pas seulement ; celui des sunlights et
celui, moins clinquant, des illusions et de la pauvreté. Intéressant et
souvent drôle.
mardi 27 février 2007
Opération Lune
"Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi le président des Etats-Unis n'a pas assisté au lancement d'Apollo XI" ("Mémoires" de Nikita Khrouchtchev)
Ce n'est un secret pour personne, William Karel
aime regarder les dessous, en particulier ceux des Etats-Unis.
L'ex-photographe de plateau ne manque également pas d'humour. Entre le
portrait qu'il a consacré en 1995 à John F. Kennedy ("Les Brûlures de l'Histoire" sur France 3) et ses documentaires sur la CIA et sur George W. Bush, il a l'idée de produire avec Arte un "documenteur"* (vocable inventé par Agnès Varda).
Le choix se porte sur un des événements majeurs de l'Amérique du XXe
siècle, avec bien sûr d'inattendues implications cinématographiques :
les premiers pas de l'homme sur la Lune. Et si les images regardées par
des millions de téléspectateurs le 21 juillet 1969 n'étaient qu'une pure
fiction (comme l'affirmait d'ailleurs à l'époque Jean-Luc Godard), reléguant ou promouvant, au choix, ce fantastique reportage dans la sphère purement artistique aux côtés des œuvres de Jules Verne, Georges Méliès, Fritz Lang ou Hergé ?
Le point de départ de l'enquête résulte d'une autre interrogation. Pour quelles raisons Stanley Kubrick a-t-il pu utiliser pendant le tournage de Barry Lyndon des lentilles (f/0.75) spécialement développées par Zeiss pour la NASA ? Opération Lune
rappelle d'abord la délicate et complexe compétition dans laquelle
étaient engagés les Etats-Unis, après l'échec de Cuba et l'enlisement
vietnamien, et son président Richard Nixon avec l'URSS de Khrouchtchev
pour conquérir le satellite naturel de la Terre. Le documentaire
souligne ensuite l'influence de 2001: A Space Odyssey
puis d'Hollywood pour faire de cette guerre technologique un
divertissement et obtenir ainsi l'approbation de la population pour son
financement. Les témoignages de Christiane Kubrick, la veuve du
cinéaste, d'Henry Kissinger, du chef d'état-major Alexander Haig, des
ex-directeurs de la CIA Vernon Walters et Richard Helms, du secrétaire à
la défense Donald Rumsfeld et d'anciens astronautes valident
progressivement la thèse d'un faux, révélant ses funestes conséquences.
Pendant environ les deux-tiers de son métrage (52 minutes), Opération Lune
demeure assez crédible et l'on se dit qu'une incroyable affaire est sur
le point d'être révélée. Ce sont d'abord les réponses des ex-pontes de
l'Administration US à des questions inaudibles qui sèment le doute, puis
des références nominatives à des films d'Hitchcock notamment (The Man Who Knew Too Much, North by Northwest) révèlent le canular, la démonstration tournant alors au loufoque. L'objectif initial de Karel,
diffuser un documentaire parodique, donc destiné pour l'essentiel à
divertir, sur la réputée sérieuse chaîne franco-allemande, est
parfaitement atteint. Le film, en semblant participer de la Théorie du complot,
montre aussi la capacité de la télévision, média dominant, à manipuler
les faits et à désinformer comme cela a été plusieurs fois mis en
évidence, en particulier depuis l'affaire des charniers de Timisoara, et
l'importance décisive des images pour donner de la substance à un
événement.
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*mockumentary en anglais, terme employé pour la première fois, semble-t-il, par le cinéaste Rob Reiner à propos de This Is Spinal Tap... mais dont Orson Welles aurait pu être le créateur !
Lacombe Lucien
"C'est curieux... Je n'arrive pas à vous détester tout à fait."
Cinq ans après le choc asséné par Le Chagrin et la pitié de Max Ophüls*, à contre-courant d'une vague de fictions faisant toutes l'éloge de la France résistante et triomphante, Louis Malle faisait à son tour, avec Lacombe Lucien,
résonner sa discordance dans le concert des idées reçues sur la période
de l'Occupation. Ce portrait d'un adolescent provincial puise son
inspiration parmi les souvenirs conjugués du cinéaste et de son
co-scénariste, l'écrivain Patrick Modiano, sur cette époque trouble du régime de Vichy. Les deux premiers romans du futur "Prix Goncourt",
dont les parents ont vécu dans une semi-clandestinité entre 1942 et
1944, abordaient d'ailleurs le sujet de la collaboration. Accusé à la
fois par les communistes et les gaullistes d'avoir osé salir la
Résistance en "légitimant un collabo", Malle
s'était défendu en arguant du fait que les Français avaient trop
longtemps été entretenus dans une version officielle et idéalisée de
l'Histoire selon laquelle le pays dans son ensemble s'était opposé à
l'occupant. Salué par la critique ("Prix Méliès" 1974), Lacombe Lucien reçut, en 1975, le "Prix du meilleur film" de la BAFTA et fut sélectionné dans la catégorie "meilleur film étranger" des Golden Globes et des Academy Awards.
Juin
1944, dans une petite préfecture du Sud-Ouest. Pour ne pas retourner
travailler à l'hospice, dans lequel il fait partie du personnel
d'entretien, après cinq jours de vacances, Lucien Lacombe voudrait rester, en vain, dans la ferme de M. Laborie, l'exploitant qui employait son père, prisonnier en Allemagne, et devenu l'amant de sa mère Thérèse. Il tente alors d'entrer dans le maquis en sollicitant l'instituteur Peyssac, l'anonyme principal animateur, mais celui-ci le juge trop jeune et refuse. Lacombe
reprend en vélo la route de la ville où il arrive après le couvre-feu à
cause d'une crevaison. Il échappe de justesse à une patrouille de
soldats allemands mais, remarqué par un milicien, il est emmené de force
à l'"Hôtel des Grottes", le quartier général de la police "gestapiste" française. Tonin et Jean-Bernard, les responsables, le prennent en sympathie, le font boire et Lacombe en arrive à dénoncer Peyssac, alias 'le lieutenant Voltaire', dans la conversation. Tonin lui propose de les rejoindre et Lacombe participe à une première opération chez un partisan non actif de la Résistance. Au cours d'une visite chez le tailleur Juif Albert Horn, une relation de Jean-Bernard qui a réalisé pour lui son premier costume, Lacombe rencontre France, la fille de ce dernier, laquelle devient rapidement l'objet d'une cour très pressante.
Contrairement à ce laisserait à penser le revirement de position du journal "Le Monde"** au moment de sa sortie, Lacombe Lucien ne souffre d'aucune ambiguïté morale. Louis Malle laisse le spectateur élaborer sa réflexion et formuler son propre jugement, mais, dès la courte (deux minutes)
scène d'ouverture du film, il ne fait pas de doute qu'il n'a lui-même
pas beaucoup de sympathie pour son personnage principal. Sans être
totalement antipathique (la réplique en exergue en témoigne), Lucien Lacombe
est un individu ordinaire en errance, à la recherche d'une raison
d'être et d'une identité qui ne soit pas seulement administrative, comme
le suggère finement le titre. Brutal, transgressif, sans véritable
moralité, cet animal prédateur et solitaire devient un
collaborateur par hasard plus que par dépit ou par opportunisme.
S'interrogeant sur la banalité du mal, Hannah Arendt avait eu cette
remarquable formule qui décrit parfaitement le film et son "héros" : "c'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal". Lacombe
ne développe aucune véritable malignité, il n'a simplement pas de
substance, pas de conscience. Ce vide terrifiant le conduit, sans
transition, de l'innocence au crime, de la déférence à la profanation.
L'intrigue
est solide et la progression dramatique parfaitement maîtrisée. La mise
en scène des personnages et des atmosphères, sobre et méticuleuse,
profite d'une évidente économie de moyens et des talents conjugués
d'acteurs expérimentés, de débutants et de non-professionnels. Le
Suédois Holger Löwenadler, un des interprètes favoris de Gustaf Molander, est remarquable dans son magnifique rôle-contrepoint au personnage central. Pour sa première apparition au cinéma, Aurore Clément offre une prestation toute en suggestion et en délicatesse. Enfin Pierre Blaise, choisi pour sa ressemblance avec Charles Le Clainche, l'interprète de l'ex-collaborateur François Jost d'Un Condamné à mort s'est échappé de Robert Bresson,
malgré ses réticences à faire l'acteur, est d'une grande justesse et
contribue, par son naturel, au réalisme et à la qualité du film.
___
*dont l'impact en France fut différé de deux ans, le film, refusé
par la télévision pour laquelle il avait été produit, n'y fut diffusé
qu'en 1971.
**après avoir qualifié le film de "chef-d'œuvre", le quotidien
dirigé par Jacques Fauvet dénonçait quelques semaines plus tard un film
"dangereux".
jeudi 22 février 2007
Voksne mennesker (dark horse)
"... Mélangée à un quelque chose de vulnérable et de poétique..."
Lorsque l'on évoque le cinéma danois, les cinéphiles affranchis citent aussitôt Carl Theodor Dreyer, Gabriel Axel, Lars von Trier, Bille August, Erik Clausen ou encore Thomas Vinterberg*. Né à Paris de parents islandais, Dagur Kári, formé à la Danske Filmskole, appartient à la nouvelle génération des réalisateurs nordiques. Voksne Mennesker,
son deuxième long métrage, revendique assez nettement cette singularité
qui caractérise le plus souvent les productions de cette région du
monde. Présentée dans la section cannoise "Un Certain regard"
en 2005, cette comédie dramatique offre une inattendue et réjouissante
équipée hors des pistes convenues fréquentés par la plupart des
productions actuelles.
Daniel Clausen
est poursuivi par ses créanciers, en particulier son logeur et
l'administration des amendes automobiles. Le jeune homme, éternel
adolescent, gagne très modestement sa vie en réalisant des tags, cadeaux
offerts à de jeunes femmes par leur petit ami respectif. Un matin, Daniel rencontre Franc(esca)
et reconduit chez elle la jolie vendeuse de boulangerie, sujette à un
mauvais trip dû à des amphétamines. Bien qu'elle soit convoitée par 'Papy', le rondouillard ami de Daniel, opérateur dans un centre d'étude du sommeil et souhaitant ardemment devenir arbitre de football, Franc devient l'amante du graffeur.
Surprenant, pour ne pas dire déconcertant, et décalé, Voksne Mennesker
n'est ni un drame social, ni une comédie légère... mais un peu des deux
à la fois, avec un mouvement allant d'ailleurs de l'autre à l'un. Le
personnage de Daniel vient en quelque sorte prolonger celui de Nói
du précédent film, jouets tous les deux du destin et de l'ironie.
Certains dialogues ou situations, à l'humour absurde, font mouche, Dagur Kári choisissant une composition (y compris musicale !) volontairement déstructurée, succession de dix (douze ?) saynètes traversées par un thème essentiel, celui du désordre et de l'irresponsabilité (et leur concept antinomique).
Le noir et blanc de l'image** renforce le contraste binaire dans lequel
va s'immiscer un dégradé de sentiments contradictoires, parfois
obsédants, et nostalgiques où se perdent les protagonistes de ce conte
moderne.
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*par ordre d'apparition à l'écran.
**un seul et bref plan en couleur apparaît dans le film.
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