lundi 28 avril 2008

Michael Clayton


"... On ne peut même pas se dévoiler. On ne sait jamais. Chaque interlocuteur peut être un ennemi mortel."

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Nous connaissions finalement assez peu le scénariste Tony Gilroy, pourtant actif depuis le début des années 1990 et la modeste comédie romantique The Cutting Edge, avant qu'il ne réalise ce premier film. Adaptateur (Dolores Claiborne, The Devil's Advocate...) surtout connu pour sa participation à la trilogie Jason Bourne, le pote de Steven Soderbergh dévoile avec ce premier film un pan de son univers narratif personnel. Présenté à la 64e Mostra de Venise puis successivement aux festivals de Deauville et Toronto, Michael Clayton était sélectionné dans sept catégories (dont trois d'interprétation) des Academy Awards 2008* et permettait à la Britannique Tilda Swinton d'obtenir son premier "Oscar".
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Muni du seul titre de conseiller spécial (placements et legs) au sein de l'important cabinet d'avocats new-yorkais Kenner, Bach & Ledeen, le quarantenaire Michael Raymond Clayton est surtout chargé par ses patrons de gérer certaines situations délicates de leurs clients. Ce fils et frère de policiers doit cette nuit-là quitter précipitamment une partie de cartes clandestine pour s'occuper d'un anodin accident de la circulation. Sur la route de retour au lever du jour à travers la campagne, Clayton s'arrête soudainement et s'éloigne de son véhicule pour approcher et observer trois superbes chevaux en liberté avant d'être stupéfait par l'inexpliquée explosion de sa luxueuse limousine étrangère.
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Quatre jours plus tôt, le père divorcé du jeune Henry apprenait qu'il avait une semaine pour trouver le moyen de couvrir le lourd passif consécutif à la faillite du bar qu'il a tenté d'ouvrir avec son frère Timmy. Il devait également résoudre une autre épineuse affaire, celui du strip-tease en pleine déposition judiciaire à Milwaukee de son collègue et ami Arthur Edens, préposé à la défense des intérêts de la société agro-chimique U/North contre laquelle une plainte collective a été formée six ans auparavant. Cette crise inattendue coïncidait avec le remplacement de Don Jeffries, entré au conseil d'administration, par sa collaboratrice Karen Crowder à la tête du département juridique de U/North.
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Tony Gilroy possède indubitablement des qualités de raconteur d'histoire, probable héritage génétique légué par son dramaturge et cinéaste de père**, doublé d'un étonnant talent de directeur d'acteurs. L'intéressante et élégante structure du scénario élaborée en flash-back (dont l'apparente complexité peut, au départ, faire craindre au spectateur de rater une marche !) sait capter notre attention par ses sous-intrigues, la progressive révélation de certains détails concernant les personnages principaux et la discrète mais persistante évocation d'un univers mythique (mystique) et onirique jusqu'à la divulgation-résolution finale. Michael Clayton rappelle évidemment The Firm de Sydney Pollack, d'autant que ce dernier tient un rôle secondaire dans le plus récent des deux films, mais lui est à plusieurs titres supérieur. La narration, développée à partir des thèmes de la délivrance, de la rechute et de la duplicité (le titre de la prochaine production de Gilroy), repose essentiellement sur le jeu des interprètes, celui bien sûr solide de George Clooney ou de Tom Wilkinson, mais aussi de Tilda Swinton, dont le personnage bien plus subtil trouble davantage que celui tenu par Holly Hunter, et sur les étranges atmosphères créées par le directeur de la photographie Robert Elswit.
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*ainsi qu'aux "Golden Globes" et BAFTA Awards notamment, Gilroy étant également retenu à la fois par les Directors Guild et Writers Guild of America.
**Frank D. Gilroy, auteur récompensé en 1964 par le "Prix Pulitzer" pour la pièce The Subject Was Roses et, sept ans plus tard, par un "Ours d'argent" berlinois grâce à Desperate Characters avec Shirley MacLaine.




lundi 7 avril 2008

Erosu purasu Gyakusatsu (eros + massacre)


"L'amour ? La révolution ?"

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Considéré par Yoshishige Yoshida lui-même comme son film le plus ambitieux, Erosu purasu Gyakusatsu surprend et subjugue à la fois par ses audaces narratives et par ses qualités esthétiques. Librement inspirée par l'assassinat de l'anarchiste Sakae Osugi, de sa compagne féministe Noe Ito ainsi que du neveu âgé de six ans du premier par le lieutenant Masahiko Amakasu(1), cette nouvelle production indépendante se situe en effet à la charnière de l'histoire, de la philosophie politique et de l'art plastique. Co-écrit par Masahiro Yamada avec lequel Yoshida a déjà travaillé à deux reprises, le scénario se plaît également à croiser les époques et des destins avant tout de femmes.
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Eiko Sokutai, jeune étudiante à la faculté de design de Tokyo spécialisée dans l'esthétique de l'information, interroge Mako, âgée alors de sept ans lors du meurtre de sa mère Noe Itô intervenu peu après le grand tremblement de terre de 1923(2). Epouse de Jun Tsuji, la jeune rédactrice en chef de la revue "Seitô" et militante de l'émancipation de la femme était devenue en 1916 la seconde maîtresse de l'anarchiste Sakae Osugi, marié à Yasuko Hori et amant de la brillante angliciste et journaliste au "Tônichi" Itsuko Masaoka. Cinquante-trois ans plus tard, Eiko, soupçonnée de se livrer à la prostitution, et son ami Wada s'interrogent sur la signification des théories libertaires d'Osugi.
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En intitulant son ouvrage consacré à Noe Ito "Bi wa rantyo ni ari" (litt. la beauté est dans la confusion), l'auteure Jakucho Setochi traduisait bien, dès 1966, le contexte dans lequel se noue le drame en question mais aussi l'esprit du film qui le relate. La mutation, l'effervescence et finalement le désordre caractérisant la brève ère Taisho trouvent un pertinent écho dans la révolte et les antagonismes que connaît le Japon à la fin des années 1960. Un rapprochement opéré, avec un savant mélange antonionien de classicisme et d'avant-gardisme, par Erosu purasu Gyakusatsu autour de la libération des mœurs, en particulier des relations conjugales et sexuelles, et de la femme sur fond d'amour et de mort(3). La philosophie de Max Stirner, élève de G.W.F. Hegel, violemment critiquée par Karl Marx, notamment son analyse des différentes formes de soumission de l'individu, influence de manière explicite le scénario. Y cohabitent une subversion passive ou inactive, tantôt nostalgique (symbolisée par Jun Tsuji) ou prétendument révolutionnaire (Sakae Osugi), alternative dans laquelle Wada sert de médiateur. Mais aussi et surtout des personnages finement contrastés de femmes. L'approche initiale de documentaire place également le spectateur, à l'intérieur et en dehors du récit, dans une étrange situation de déséquilibre, impression renforcée par la splendide photographie, elle aussi très tranchée, parfois presque éthérée de Motokichi Hasegawa.
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1. personnage interprété par Ryuichi Sakamoto dans The Last Emperor de Bernardo Bertolucci.
2. au milieu des ruines duquel Kurosawa enfant suivait son frère aîné.
3. célèbre dialectique éros et thanatos, ce dernier résultant selon Hésiope d'une primordiale immaculée conception, dont s'inspire manifestement le titre.

samedi 5 avril 2008

The Last Legion (la dernière légion)


"Un tranchant pour défendre, l'autre pour défaire."

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Depuis l'an de grâce 2000 et un certain Gladiator, l'épopée antico-héroïque (parfois joliment dénommée le "Sword-and-Sandal" par nos amis anglo-saxons)' paraît avoir repris du poil de la bête. Plusieurs films* ont en effet ensuite tenté de connaître une réussite identique, sans toutefois y parvenir. L'un des derniers représentants du genre en date, The Last Legion, semble ne pas avoir obtenu le succès espéré par ses promoteurs Dino De Laurentiis et Tarak Ben Ammar. Tourné entre août et novembre 2005 avec un budget significatif (environ 67M$) et une distribution a priori attractive, cette co-production européenne, sortie près de deux ans plus tard seulement, n'est parvenue à couvrir qu'un peu plus du tiers de son coût au terme de sa carrière en salles. Pas foncièrement déplaisant, ce premier film de cinéma de Doug Lefler manque pourtant de tranchant... entre les scènes de combat.
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Rome en 460. Aurelianus Caïus Antonius, le commandant de la garde impériale, a été invité à assister au prochain sacre du nouveau César. Dans la tente qu'il occupe, il découvre un jeune garçon qu'il prend pour un voleur visiblement intéressé par son glaive. Celui-ci ne doit qu'à la soudaine intervention d'un sage, doté de talents de magicien, de ne pas être amputé de l'un de ses bras. L'enfant n'est autre que Romulus Augustus, le futur empereur romain, et son sauveur, Ambrosinus son précepteur. Ensemble, ils assistent secrètement à la visite rendue par Odoacre à Oreste, le père de Romulus, et à un sénateur. Venu réclamer la récompense, un tiers de l'Italie, de son décisif soutien à Rome pendant la précédente décennie, le général goth n'obtient bien sûr pas satisfaction. La nuit même du couronnement de Romulus, les troupes germaines attaquent la résidence impériale et Wulfila, bras droit d'Odoacre, enlève le jeune César après avoir tué ses parents. Survivant du combat, Aurelius part à sa recherche accompagné de trois de ses soldats et d'un mystérieux guerrier appartenant à la garde de l'ambassadeur de l'empereur d'Orient.
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Jeune public, n'imaginez pas que ce film puisse vous autoriser à faire l'impasse sur certains de vos cours d'histoire romaine. Ses vertus pédagogiques sont quasiment nulles tant les erreurs, omissions ou déformations historiques y sont nombreuses**. Ce n'est, de toute évidence, pas l'objectif de The Last Legion dont la vocation essentielle consiste plutôt à divertir. Et même si la trilogie The Lord of the Rings distille son influence à la marge, l'action prime assez nettement sur la dimension aventurière ou l'ambition de refondation d'un célèbre mythe breton. Le scénario, tiré du roman paru en 2002 de Valerio Massimo Manfredi et formaté par un quatuor où l'on retrouve quelques vieilles connaissances***, reste très convenu et, malgré les jolis décors naturels, assez plat. La réalisation de Doug Lefler, cantonné jusque là au petit écran et aux secondes équipes, ne parvient pas non plus à apporter un semblant de relief et à gérer convenablement la continuité du récit entre et parfois à l'intérieur des scènes d'action.
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*Troy, Alexander, King Arthur, Kingdom of Heaven dans lequel jouaient également Kevin McKidd, Iain Glen et Alexander Siddig, 300 ou la série TV Rome.
**Julius Nepos, le prédécesseur toujours vivant du jeune César, n'est par exemple jamais cité. Odoacre était Skire et non Goth ; les événements se déroulent en 476 et non 460, à Ravenne et non à Rome. Il est enfin peu probable que Romulus Augustulus se soit rendu dans la Grande-Bretagne et l'Ecosse médiévales.
***notamment Peter Rader (Waterworld) et les frères Butterworth (Birthday Girl).