"Je leur appartiens."
Trois mois seulement après Rokudenashi, le public japonais pouvait découvrir une nouvelle production de Yoshishige Yoshida. Quoique assez différent du précédent, Chi wa kawaiteru
interroge pourtant encore la société nippone, plus particulièrement sur
le rôle grandissant qu'y prenaient alors la presse et le marketing dans
la (l'in)formation de l'opinion. Tout en renouvelant et en
renforçant, au prix certes de quelques incohérences narratives, les
arguments sociaux et moraux déjà énoncés, le cinéaste ajoute à son
scénario une indubitable dimension politique, ou du moins collective,
absente du premier film.
Dans
un geste désespéré pour convaincre la direction de son entreprise de
renoncer au plan de licenciement massif annoncé aux salariés, Takashi Kiguchi tente de se suicider. Mais l'intervention de son collègue Kanai
détourne le pistolet et l'insignifiant employé, seulement blessé, est
hospitalisé pendant une dizaine de jours. Les journaux s'emparent du
fait divers, soulignant la totale et surprenante abnégation à l'origine
du geste de l'individu. Chargée de publicité à la Shôwa Seimi, une
compagnie d'assurance-vie, Nonaka obtient de ses supérieurs l'autorisation de lancer une campagne mettant Kiguchi
en vedette. D'abord très réticent, celui-ci accepte finalement cette
proposition et devient rapidement populaire. Le siège social de son
nouvel employeur arbore bientôt un immense panneau photographique le
représentant un pistolet à la tempe tandis que les souscriptions de
polices dépassent rapidement les prévisions. Harada, un peu scrupuleux paparazzi du "Japon Hebdo" et ancien amant de Nonaka, veut lui mettre un terme à ce qu'il croit être une supercherie. Contre l'avis et les engagements pris son agent, Kiguchi décide d'honorer l'invitation de prendre la parole au cours d'un meeting du Mouvement pacifiste ouvrier.
Même si leurs implications et tonalités les distinguent, difficile de ne pas spontanément rapprocher Meet John Doe, le premier film indépendant de Frank Capra, de Chi wa kawaiteru.
Presse, chômage, mensonge, manipulation n'alimentent-ils pas les deux
scénarii en question ? Mais là où l'amer conte de fée faisait surgir un
fictif puis éphémère héros, sorte de caisse de résonance de la
démocratie étasunienne, la chronique dramatique de Kijû Yoshida
met en scène un personnage réel qui n'échappe jamais à son rôle choisi
de victime sacrificielle. Cette réalité n'empêche d'ailleurs pas de
laisser planer un doute, dès et à cause de la scène d'ouverture, sur les
véritables motivations et la sincérité du geste initial du très humble Kiguchi. Si les media et les entreprises ne sont évidemment pas épargnés par le film, Chi wa kawaiteru
suscite surtout l'effroi par la corruption morale quasi généralisée et
l'instrumentalisation de toutes les relations, y compris par le sexe,
qu'il nous montre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire