mardi 31 mai 2005

Jarre in China


"... Et cette place qui vous appartient."

Jean-Michel Jarre

Un mot unique pourrait définir Jean-Michel Jarre. "Oxygène", le titre de son disque paru en 1976 est, en effet, aussi connu, peut-être plus, que la fameuse réplique d'Arletty, "Atmosphère, atmosphère... est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?", dans Hôtel du nord. L'existence de celui que l'on considère souvent, à tort ou à raison (le britannique Mike Oldfield l'a précédé de trois ans), comme le pionnier de la musique électronique européenne n'a pourtant pas débuté à cette date. Fils du célèbre compositeur Maurice Jarre (Lawrence of Arabia, Doctor Zhivago...), ce lyonnais et ancien élève du Conservatoire de Paris se lance dans la musique expérimentale en rejoignant, en cette agitée année 1968, le Groupement de Recherche Musicale de Pierre Schaeffer. Trois ans plus tard, il sort un disque, "La Cage", qui comporte ses premières ouvres électro-acoustiques. La même année, il reçoit commande d'une partition pour le ballet "AOR" de la part de l'Opéra de Paris ; pour la première dans l'histoire de l'institution fondée par l'empereur Napoléon III, une musique électro-acoustique est jouée au palais Garnier.
En 1972, Jarre écrit la musique du film Les Granges brûlées de Jean Chapot avec Alain Delon. Il enregistre aussi son deuxième album, "Deserted Palace". A partir de l'année suivante, il compose pour différents artistes de variété, Christophe, Françoise Hardy, Gérard Lenorman ou encore Patrick Juvet, signant ainsi la musique de quelques tubes de ces années-là.
Ce n'est qu'au terme de ce parcours initiatique qu'apparaîtra le fameux "Oxygène", apportant à son auteur notoriété internationale, honneur (Grand Prix du Disque de l'Académie Charles Cros), richesse (le disque occupe rapidement et durablement les premières places des ventes et les classements de disques) et... famille (son premier enfant naît la même année) ! Certains des thèmes de l'album seront utilisés par des films ou séries, notamment pour le générique de la version allemande de Space: 1999. En 1978 sort "Equinoxe", globalement moins intéressant que son prédécesseur. L'année suivante, Jarre entre dans le "Guinness des Records" pour l'organisation du concert parisien de la Place de la Concorde le 14 juillet 1979 ayant attiré un million de spectateurs. Ce spectacle marque le coup d'envoi d'une série de concerts internationaux de même ampleur.
Après la sortie de son troisième disque, "Les Chants magnétiques", le compositeur et musicien part en Chine pour y donner cinq concerts, un événement exceptionnel puisque, jamais auparavant, un artiste occidental n'avait, depuis la mort de Mao, joué dans ce pays. Pour témoigner de cette expérience, un double album, "Les Concerts en Chine", paraît en 1982. Il sera suivi par "Musiques pour supermarché", disque édité en un seul exemplaire et vendu aux enchères pour aider de jeunes artistes, puis par l'étonnant "Zoolook", plusieurs fois récompensé.
En 1986, Jean-Michel Jarre poursuit, aux Etats-Unis, son expérience des spectacles gigantesques. Le 5 avril, il donne, en plein centre de Houston, devant un million et demi de texans (pour le cent cinquantième anniversaire du Texas et les vingt-cinq ans de la N.A.S.A.) un concert au dispositif impressionnant, lumières, lasers, feux d'artifice, écran de 7 800 mètres carrés et, bien sûr, un équipement de sonorisation particulièrement sophistiqué. Six mois plus tard précisément, Jarre réunit huit cent mille lyonnais à l'occasion da la visite de Jean-Paul II. Un nouvel album, "Rendez-vous", conclut une année décidément active. Il est dédié à l'astronaute américain Ron Mc Nair qui devait enregistrer pour le disque un air de saxophone depuis l'espace mais qui disparut dans l'explosion de la navette Challenger le 28 janvier.
La fin des années 1990 est ponctuée par plusieurs albums ("Houston-Lyon/Villes en concert", "Révolution"), de deux concerts donnés sur les docks de Londres (dont des extraits fgurent sur le disque "Jarre Live"). A l'aube de la décennie suivante, il rend hommage au commandant Cousteau avec "En attendant Cousteau" enregistré à Trinidad et se produit sous l'Arche de la Défense devant plus de deux millions de spectateurs. A l'occasion de la sortie, en 1993, de "Chronologie", Jean-Michel Jarre se lance dans sa première tournée européenne puis retourne, l'année suivante, en Chine. En 1997, il participe aux célébrations du 850ème anniversaire de Moscou, participation pour laquelle il est entouré et accompagné des danseurs du Bolchoï et du violoncelliste Mistlav Rostropovitch. En juillet 1998, il crée un spectacle pour la fin de la Coupe du Monde de football, puis, à l'occasion du changement de millénaire, donne au Caire "Les douze rêves du soleil" auquel il convie quelques mille artistes (danseurs, chanteurs et musiciens).
"Metamorphose", "Geometry of Love" et "Aero", (Anthology of Electronic Revisited Originals, le premier sur un support DVD audio et en Surround 5.1)" paraissent au début des années 2000, avant un nouveau concert organisé dans la capitale chinoise.

In China

Cette superproduction musicale du 10 octobre 2004, retransmise en direct par la chaîne généraliste chinoise CCTV1, est le résultat du travail d'un perfectionniste. Rodé par les expériences préalables identiques, rien n'est laissé au hasard, et ce soucis de maîtrise presque absolue ajoute une certaine froideur à un style musical qui n'en est déjà pas dépourvu. Mais force est de reconnaître que ce concert de Pékin est l'un de ceux dont on se souvient quand on y a assisté et qui laisse une forte impression chez ceux, y compris les simples curieux, qui en bénéficient grâce à la vidéo.
La partie musicale est, bien entendu, très soignée, diffusée en 5.1 pour apporter le relief sonore requis par la musique de l'artiste. Une place significative a été accordée à la musique traditionnelle chinoise et ses apports n'ont rien d'artificiel. On sait que, sur ce plan, le compositeur apprécie les mélanges ethniques et quelques uns de ses disques en témoignent. Au niveau visuel, classicisme et innovation se conjuguent pour cette rencontre, quasi officielle, France-Chine concoctée par M. l'ambassadeur de l'UNESCO Jarre. Classicisme des représentations ou symboliques culturelles, innovation par l'usage de structures gonflables à travers lesquelles elles apparaissent.
L'essentiel du concert se déroule devant les portes de la Cité interdite et se conclut par cinq titres (soit un peu plus de vingt minutes) joués sur la Place Tian'Anmen. Comparativement, et malgré le décor naturel du site, cette seconde partie s'apparente presque, au niveau de son dispositif, à une prestation sérieuse dans le cadre de la "Fête de la musique". Les aspects politiques et historiques, incontestables (choix d'artistes engagés pour l'accompagner, devise républicaine et petites phrases) apparaissent toutefois subalternes.

Distribution musicale :
Francis Rimbert
Patrick Rondat
Claude Samard (coordination musicale)
Orchestre symphonique de Pékin
Orchestre national de Chine
Chœur national de l'opéra de Pékin
Cheng Lin
Lin Yuan
Wang Feng
You Hong Fei
Yang Shi Yi

Les titres :

DVD 1 - intégralité du concert "Cité interdite"
1. Forbidden City
2. Aero
3. Oxygène 2
4. Oxygène 4
5. Geometry of Love
6. Petit orchestre sous la pluie
7. Equinoxe 4
8. Voyage à Pékin
9. Chronology 6
10. Theremin Memorie
11. Zoolookologie
12. Aerozone
13. Aerology
14. Chronology 3
15. Vivaldi - "L'hiver"
16. Jonques de pêcheurs au crépuscule
17. Rendez-vous 4
18. Souvenir de Chine
19. Rendez-vous 2

DVD 2 - intégralité du concert "Place Tian'Anmen"
1. Arrivée
2. Aerology (remix)
3. La foule (hommage à E. Piaf - interprété en chinois par Cheng Lin)
4. Tian'Anmen
5. Oxygène 13

samedi 28 mai 2005

Dans un grand vent de fleurs


"Les fleurs, ça n'attend pas."

Cette série en sept épisodes (de cent minutes), diffusée pour la première fois le 16 septembre 1996 sur France 2, s'inscrit dans la grande tradition des feuilletons à thématique familiale de la télévision française. Il s'agit, pour l'heure, de la seule adaptation d'un roman, paru en 1991, de Janine Montupet, écrivain français installé aux Etats-Unis auquel on doit plusieurs ouvrages romantiques, tels "La Dentellière d'Alençon" ou "Un Goût de bonheur et de miel sauvage". Comme ces derniers, Dans un grand vent de fleurs développe une histoire d'amour et de familles sur fond de métier. Comme dans '"Quatre saisons parmi les fleurs", il prend pour cadre la Provence et ses cultures. Réalisée avec classicisme par le président du jury "Télépolar" du Festival de Cognac 2004, Gérard Vergez, un solide artisan du petit écran, cette série a connue un joli succès public, puisque suivie par près de sept millions de téléspectateurs.
1973, dans la campagne calabraise. Sorenza Salvoni a six ans lorsque Flora et Francesco, ses parents, décident de quitter leur Italie pour émigrer à Grasse. Francesco est jardinier et Flora sait cueillir les fleurs. Ils ont, tous deux, transmis leur passion à leur fille. Ils s'installent sur un terrain baptisé la "Croix de lumière" où ils espèrent récolter un jasmin d'excellente qualité. Mais Flora, enceinte, meurt brutalement et Francesco, recherché par les gendarmes, abandonne Sorenza en lui lancant ces derniers et étranges mots, "je ne suis pas ton père." Treize ans plus tard, la petite fille est devenue une jeune femme courageuse et déterminée. Elle travaille le jour à la "Croix de lumière", à présent la propriété horticole de Bertrand Marli et, le soir, comme serveuse dans le bar-restaurant "Chez Felix". Elle vit chez les sœurs Beauval, deux vieilles filles chez lesquelles elle a été placée par l'orphelinat et qu'elle considère comme ses grands-mères. Sorenza fait bientôt la connaissance de Guillaume Garlande, le fils du plus grand parfumeur de Grasse récemment revenu d'Inde. Même si elle fait mine, au début, de le toiser, c'est le coup de foudre immédiat entre les deux jeunes gens. Troublée par le mystère de ses origines, malaise ravivé par l'annonce du décès de Francesco, Sorenza décide de mener une enquête pour retrouver la trace de son vrai père. Le point de départ est un bijou offert par son amant à sa mère. Alors qu'elle croit tenir une piste, Sorenza apprend le prochain départ, pour deux ans, de Guillaume en Indonésie...
Tiens, une production dirigée par Gérard Vergez sans Christophe Malavoy et sans la musique de Michel Portal ! Dans un grand vent de fleurs est une courte saga honnête et consensuelle. Amours mélodramatiques, rebondissements multiples et secret(s) de famille font, en effet, habituellement la joie du public aux heures de grandes écoutes. Dans la lignée du Château des oliviers et avant Méditerranée et Garonne, cette série, peu riche en intrigues secondaires, fait la part belle à deux grandes familles, la française Garlande et l'italienne Di Luca (la série a été diffusée sur la RAI) et à leurs rapprochements, matrimonial et économique (ou inversement). La mise en scène est conventionnelle, parfois maladroite, mais c'est souvent ce qui fait le charme des téléfilms. La distribution est dominée par une jeune débutante dans un rôle important et plutôt exposé, Rosemarie La Vaullée, que l'on a, depuis, souvent vue ou aperçue à la télévision. Bruno Wolkowitch incarne un Guillaume Garlande sympathique mais sans relief particulier. Lui, sa partenaire et le réalisateur se retrouveront dans la série policière P.J.. Quelques seconds rôles sont tenus par des valeurs sures, Marina Vlady, Bernard Verley et Ginette Garcin qui, outre son personnage d'Honorade Beauval, est chargée de narrer le rappel des épisodes précédents en début de feuilleton.

jeudi 26 mai 2005

Yi yi



"Papa, on a le droit de savoir que la moitié de la vérité ?"

Yi yi pourrait être l'une des réponses résumées à la question : "pourquoi aimez-vous le cinéma asiatique ? Le film bénéficie, il est vrai pour ceux qui l'on vu, de l'excellente impression laissée par le chef-d'œuvre d'Edward Yang, Guling Jie Shaonian Sha Ren Shijian. Mais, même considéré isolément, il constitue l'un des films majeurs de cette année 2000, proche, conceptuellement plus qu'esthétiquement, du Hua yang nian hua de Wong Kar-wai avec lequel il était en compétition au Festival de Cannes. Le jury présidé par Luc Besson a distingué l'acteur principal de ce dernier et décerné au premier un "Prix de la mise en scène" à la saveur palmée. La production hong-kongaise prenait toutefois, l'année suivante, une modeste revanche en remportant, face à son rival taïwanais, le "César" du meilleur film étranger. Mais, l'un comme l'autre n'ont pas besoin de statuettes ou de mentions pour exister, plaire, ravir ou subjuguer leur public. "Leur" car il s'agit d'œuvres exigeantes, pour lesquelles l'attention et la patience (Yi yi dure environ 165 minutes) sont des vertus essentielles. Mais celles-ci sont alors largement récompensées.
Le jour ("de toutes les chances") du mariage de son beau-frère, NJ Jian connaît deux événements qui vont bouleverser son existence. Il rencontre fortuitement A-Sui, son amour d'enfance qu'il n'a pas vue depuis plus de vingt ans. Elle est à présent mariée à un grand assureur sino-américain et vit aux Etats-Unis. Un peu plus tard, la mère de Min-Min, son épouse, est victime d'une attaque en leur absence et est hospitalisée d'urgence. Elle regagne cependant bientôt, toujours dans le coma, sa chambre au domicile de sa fille où ses enfants et petits-enfants son chargés de lui parler pour entretenir ses capacités sensorielles. Pendant que Min-Min s'effondre nerveusement et part se ressourcer dans un monastère bouddhiste, que Ting-Ting, sa fille, noue une relation d'amitié avec Lili, une nouvelle voisine aux amours désordonnés, que Yang-Yang, son jeune fils de huit ans, découvre la face cachée du monde, NJ négocie avec le japonais Ota, le créateur de logiciels de jeux novateurs susceptible de sauver l'entreprise informatique dont il est l'associé et le directeur général. Il profite de son voyage à Tokyo pour revoir plus longuement A-Sui, également en déplacement dans la capitale nippone.
Le thème majeur de Yi yi (qui signifie "Un un", Yi étant la première unité signifiante du dictionnaire chinois) est probablement la génération. Le film ne suit-il pas (dans l'un des cas, le verbe n'est pas vraiment adapté) le parcours de quatre représentants, appartenant à la même famille (deuxième sens du mot), d'autant de génération. Et la sexualité (troisième et dernière définition) n'est-elle pas au cœur des événements qui les touchent ? Dans une société taïwanaise occidentalisée, urbanisée (le bruit de la ville est très présent sur la bande son) et en crise, devenant, en quelque sorte, un modèle universel, Edward Yang saisit, avec intelligence et simplicité, les espoirs, les hésitations et les malaises de ses personnages et de notre civilisation planétaire. A travers cette peinture délicate, sensible, les crises économique et de société que l'on présente souvent comme des faits générateurs deviennent, de manière évidente, la projection, aux sens platonicien et freudien du terme, d'une crise essentiellement humaine. Et pour échapper à cette réalité faite de vrais doutes et de fausses certitudes, pour éviter de dresser un bilan sincère, d'accepter sa culpabilité et d'exclure, dans une vision peut-être pessimiste, la possibilité d'une seconde chance, comme le fait le personnage principal du film, la tentation n'est-elle pas de se réfugier dans un monde virtuel ? Deux séquences du film soulignent, avec un humour noir, ce danger, en particulier celle où des images d'échographie pré-natale sont sonorisées par une présentation de logiciel de jeu. Pas une scène, pas un plan inutile, une gageure pour un métrage de près de trois heures, des transition parfois sèches, comme s'il s'agissait d'un documentaire, et de très bons acteurs. Yi yi est un film remarquable parce qu'au delà de la seule émotion, il parvient, sans artifice, à mettre en vibration notre corde sensible.