vendredi 6 mai 2005

Vipère au poing


"La haine, encore plus que l'amour, ça occupe."

Le premier roman d'Hervé Bazin, publié en 1948, est incontestablement un grand classique de la littérature française moderne, lu par plusieurs générations d'écoliers. Etrangement, le premier volet de la trilogie (complété par "La Mort du petit cheval" et "Le Cri de la chouette") largement autobiographique n'avait pourtant été porté à l'écran, le petit, qu'à l'aube des années 1970, par Pierre Cardinal avec une épatante Alice Sapritch dans le rôle féminin principal. L'adaptation pour le cinéma confiée à Philippe de Broca, si elle n'est pas appelée à devenir la référence, n'en constitue pas moins un film plaisant, notamment grâce à la tonalité insolite donnée à l'œuvre et à l'interprétation de quelques uns de ses acteurs.
Jean, dit 'Brasse-Bouillon', est élevé avec son grand frère Ferdinand, alias Fredie et surnommé 'Chiffe', dans la propriété bretonne de "La Belle Angerie" par Marie Rézeau, leur grand-mère paternelle. Quand celle-ci meurt, Jacques et Paule Rézeau reviennent d'Indochine avec Marcel, leur petit frère né à l'étranger, rapidement rebaptisé 'Cropette', pour s'installer dans la maison familiale. Immédiatement, la mère modifie les règles de vie de ses enfants dans le sens d'une stricte sévérité qui tourne parfois à de la pure cruauté. Pour ceux-ci, c'est le début du cauchemar ; ils n'ont presque plus le droit de s'amuser, sont empêchés d'aller au collège pour des raisons prétendument budgétaires et passent leur journée entre études avec un prêtre précepteur et brimades. Leur père n'apprécie pas l'éducation que sa femme veut leur donner, mais il est trop lâche pour s'y opposer. Jean ne supporte pas la situation et développe alors vis-à-vis de sa mère, qu'il appelle en secret 'Folcoche', une haine vivace.
Les producteurs de cette seconde version de Vipère au poing ont pris un certain risque en proposant au réalisateur du Diable par la queue la direction d'un authentique drame familial. Certes, le film perd manifestement en inquiétude et en noirceur. Philippe de Broca propose une vision très libre, certains diront infidèle, du roman, finalement plus proche du Château de ma mère de Pagnol que de l'ouvrage originel. Si la narration, en flash-back et voix off, est respectée, le scénario raccourcit considérablement l'intrigue (elle passe de dix à un an) au risque de rendre certains situations incongrues, comme par exemple l'attirance précoce de Jean pour la gent féminine. On ne sait pas, non plus, pourquoi Jacques Rézeau devient ici un vieil adolescent oisif et entomologiste alors qu'il était professeur de droit international dans le roman. Globalement, le récit y est moins complexe, en particulier sur le plan psychologique, que dans l'ouvrage et dans le téléfilm de Pierre Cardinal*. Mais il gagne en vivacité et en légèreté, condition sine qua non aujourd'hui pour attirer le public, notamment le jeune. Plus qu'aux prestations de Jules Sitruk et Catherine Frot, laquelle emprunte beaucoup de ses "effets" au cinéma muet, c'est à celle de Jacques Villeret que le film doit une bonne part de son intérêt.
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*ceux qui sont intéressés par le thème de l'enfance martyrisée se tourneront vers le film canadien de Luc Dionne, Aurore... s'il est distribué de ce côté de l'Atlantique !

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