vendredi 28 juin 2013

Alexander (alexandre)

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"A dreamer, after all."

Je m'étais, jusque-là, toujours refusé à voir cet ambitieux (pompeux ?) biopic1 consacré à l'une des plus célèbres figures de l'histoire antique. D'abord et a priori en raison de la déroutante trajectoire suivie (à partir d'U Turn) par . Ensuite, et de manière probablement moins consciente, à cause du souvenir de la décevante tentative de  d'en porter (en 1956 avec  dans le rôle-titre) le récit au cinéma. A la tête d'un substantiel budget (155M$2le plus important de sa carrière) apporté par des producteurs européens et la Warner, le cinéaste entreprend une vaste et longue3 fresque dans laquelle le mythe l'emporte souvent sur l'historicité. Le scénario co-signé avec Christopher Kyle (collaborateur, auparavant, de ) et  (Nochnoy dozor, adaptatrice de Shutter Island) se fonde présumément sur la chronique de Ptolémée Ier brûlée lors de l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie. L'ampleur des moyens engagés n'échappe pas, tout au long du métrage, aux spectateurs. En particulier pendant la spectaculaire reconstitution des batailles de Gaugamèles et de l'Indus qui jalonnent la narration. Le portrait dressé du roi de Macédoine et grand conquérant, fragmenté pas uniquement par le recours à de multiples flashback, relève moins de la géostratégie que de la psychologie. La relation, fondamentale, avec sa mère Olympias (qui tente de le convaincre qu'il est un demi-dieu voué à un grand destin) ; celle, complexe et conflictuelle, avec son (officieux) père monarque Philippe II, avec sa garde (très) rapprochée façonnent l'image sans doute illusoire d'un personnage ambigu, tourmenté, politiquement précurseur (respect et alliance avec les assujettis, archétype du souverain universel). L'idée la plus séduisante sur le plan conceptuel illustrée par le film restant celle d'un empire en permanent mouvement, en errance utopique sous la conduite d'un explorateur aristotélicien des confins. Le distingué casting constitué (4, , ...) se révèle dans l'ensemble moins décisif qu'attendu.
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1. nommée dans six catégories des Razzie Awards 2005.
2. amorti grâce aux recettes internationales (133M$ contre seulement 34M$ aux Etats-Unis).
3. plus de 3h30 pour la version dite "Revisited".
4. le projet prévoyait de confier le rôle principal à Tom Cruise, à Heath Ledger ou à Russell Crowe.


jeudi 27 juin 2013

A Good Day to Die Hard (die hard : belle journée pour mourir)

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"Killing bad guys! That's your thing!"


Prolongeant une trilogie relativement cohérente et, dans l'ensemble, plutôt réussie, Live Free or Die Hard avait marqué une évidente rupture. Des changements majeurs, d'époque d'abord (douze ans séparent le quatrième volet du précédent), de génération de réalisateurs ( succédait à ) ensuite, expliquaient en partie cette radicale inflexion. Elle se caractérisait aussi par un net affaiblissement significatif de la qualité du scénario mais aussi une certaine tentation à la surenchère... destructrice. Cela reste vrai pour ce cinquième épisode de la franchise. Le script de  (auteur de Thursday récompensé à Cognac) développe une narration aux enjeux d'abord informes puis assez insipides. Unique véritable originalité : le déplacement du terrain d'action à l'étranger1 ; évidemment pas n'importe où, dans la capitale historique de l'ancien (et toujours ?!) principal antagoniste des Etats-Unis. L'Irlandais 2 (qui dirigeait son quatrième long métrage, cinq ans après  Max Payne) s'inscrit dans la conformité, sans doute restrictive, définie pour la franchise par le studio de production, articulée autour de scènes "d'accrochage" (en particulier la spectaculaire séquence de poursuite urbaine) tout à la fois efficaces, excessives et faiblement réalistes. L'implication mécanique et sans réelle conviction de , associé ici à l'Australien  (Jack Reacher) et à l'Allemand  (Das Leben der Anderen) peu probants, nous pousse une nouvelle fois à suggérer la mise en retraite de John McClane3.
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1. jusque-là toujours national : Los Angeles (Die Hard), Washington (Die Hard 2Live Free or Die Hard) et New York (With a Vengeance).
2. remplaçant de Noam Murro et retenu parmi les autres pressentis Joe CornishJustin Lin et Nicolas Winding Refn.
3. d'autant que les recettes US (67,3M$) de A Good Day to Die Hard n'ont pas couvert le budget d'environ 92M$ (contre 134,5M$ et 110M$ pour la précédente production).


mercredi 26 juin 2013

Seven Psychopaths (7 psychopathes)

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"- It doesn't make any sense!"
"- Too bad!"

Nous étions plusieurs à nous demander comment (ou, pour le dire autrement, attendre au tournant !)  allait faire son retour après l'original et étonnant In Bruges. Autant l'affirmer d'emblée, ce second long métrage du cinéaste londonien ne se montre pas à la hauteur des espoirs nourris pendant quatre ans. Espèce de piteux polar imbriqué (puisque le scénario recours au procédé de la mise en abyme) dans un film foutraque, parfois amusant mais surtout dérangéSeven Psychopaths* déçoit donc (davantage que ne l'avait fait, dans une veine comparable, You Kill Me de l'Etasunien ) par son caractère trop absurde, fruste, quasi incontrôlé. Cela malgré un casting intéressant puisque fringuent (et flinguent !) presque sans retenue  (Confessions of a Dangerous Mind),  et  (auxquels se joignent notamment, pour des apparitions, Harry Dean Stanton et Tom Waits).
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*présenté en première au TIFF où il a succédé à The Raid au palmarès du  "Prix du public" section "Midnight Madness".


mardi 25 juin 2013

Blancanieves

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Audacieuse et très adroite réécriture du célèbre conte des frères Grimm doublée d'une surprenante transposition sévillano-toromachique, Blancanieves exerce une étrange fascination à la fois belle et morbide. Pour son second long métrage (développé depuis le début des années 2000), le Basque  a fait, avec talent et malice, le choix du rétro (i.e. cinéma muet/n&b - en fait couleur désaturée - qui a récemment connu quelques succès). Intelligemment scénarisé, s'inscrivant avec originalité dans la tradition narrative et artistique ibérique, souvent splendide sur le plan (photo)graphique, ce drame funeste emporte définitivement l'adhésion grâce à sa distribution, en particulier féminine. Son interprétation de la cruelle Encarna a d'ailleurs valu à la Madrilène  un justifié second "Goya". Les prestations de la toujours formidable , de  (récompensée à trois reprises, succédant notamment à María León dans la catégorie "révélation" de l'Académie du cinéma espagnol) et de la jeune  apportent beaucoup de caractère à Blancanieves*, meilleure (et de loin) des trois adaptations du conte grimmien sorties l'année dernière**.
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*présenté en première au TIFF et candidat officiel de l'Espagne pour les 85e Academy Awards, le film a obtenu de nombreuses récompenses parmi lesquelles 10 "Goya" (sur 18 nominations).
**Mirror Mirror et Snow White and the Huntsman.



mercredi 19 juin 2013

Jagten (la chasse)

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"L'Hallali", tel aurait pu s'intituler en français, pour mieux en traduire la substance et l'esprit, cet impressionnant film. Second film* du Danois  présenté au Festival de CannesJagten relate avec beaucoup de simplicité et de force les dramatiques conséquences d'une faussement "innocente" allégation de pédophilie. Le scénario original signé avec  (déjà co-adaptateur de Submarino, le précédent film de ) fait évidemment penser aux Risques du métier porté à l'écran en 1967 par . Mais il s'en différencie par plusieurs aspects, en particulier l'âge de l'accusatrice et le contexte relationnel. Divorcé, douloureusement séparé de son fils adolescent, Lucas a toutefois l'espoir de redonner une cohérence à son existence. Il va être brutalement confronté à un morcellement radical, trahi par une fillette (jouée par la bien convaincante novice ) un peu délaissée par ses parents dont il est lui-même proche.  met très intelligemment en scène l'emprise de la fatalité, celle du bonheur qui s'obstine à fuir, de l'agressive diffamation fondée sur le principe de l'incontestable vérité enfantine. La remarquable interprétation de , récompensée par le jury cannois présidé par Nanni Moretti, constitue assurément et enfin l'atout décisif de Jagten.
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*Festen y avait reçu, ex-æquo, le "Prix du jury" en 1998.


Bermuda-Dreieck Nordsee (le triangle de l'apocalypse)

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Pas très confiant dans le futur de l'humanité,  ? Le réalisateur étasunien, sous la houlette de différents promoteurs, semble destiné à illustrer, pour la télévision, ses (invraisemblables) périls. Après la menace constituée par la destruction terroriste d'un accélérateur de particules géant et avant celle vécue par un petit groupe de survivants au fléau ayant transformé ses compatriotes en zombies, c'est à un désastre industrio-écologique (les conséquences de l'enfouissement sous-marin d'oxyde de carbone) qu'il s'est en effet attelé. Imaginé par le producteur allemand  (Dresden), Bermuda-Dreieck Nordsee*, énième resucée du cinéma catastrophe et authentique naufrage filmique, échoue dans tous les compartiments impliqués (scénario, effets spéciaux, réalisation, prestation des acteurs...). Dans un registre comparable, Haeundae des Sud-coréens  et  avait au moins "l'insigne" avantage... d'être parfois drôle !
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*le saviez-vous, la Mer du Nord (quelque part au large de Brême) possèderait, comme les Bermudes, un mystérieux, peut-être même mythologique triangle ?


Miles Davis with Quincy Jones & The Gil Evans Orchestra: Live at Montreux 1991


L'ultime concert de Miles Davis au Montreux Jazz Festival est programmé le 8 juillet 1991, soit précisément dix-huit ans après sa toute première apparition sur la scène suisse. En 1973, le musicien venait de sortir l'électro-acoustique et percussif "On the Corner" avec lequel il espérait séduire un jeune public afro-étasunien alors plus attiré par le rock et le funk. Il ne reviendra sur les bords du lac Léman qu'onze ans plus tard, devenant ensuite l'un des invités réguliers de Claude Nobs*.
Quincy Jones, coproducteur à l'occasion du 25e anniversaire du festival, propose à Miles de reprendre des compositions** arrangées par Gil Evans (disparu en mars 1988). L'accompagnement est assuré par un big band constitué par le Gil Evans Orchestra, le George Gruntz Concert Jazz Band et quelques autres instrumentistes placés sous la direction de 'Q'.
Certes inégal, ce concert suscite néanmoins une authentique sympathie pour plusieurs raisons. Il s'agit d'abord, aussi étrange que cela puisse paraître, de l'unique collaboration entre Quincy et Miles, deux formidables et novateurs musiciens qui ont su remodeler le jazz. Le set comporte ensuite des épisodes d'une intensité, d'une gravité significatives, soulignant par contraste l'aimable complicité dont font preuve Miles et son cadet, souriant et admiratif, Wallace Roney (trompettiste d'Art Blakey et de Tony Williams notamment, ici co-soliste avec le saxophoniste-alto Kenny Garrett recruté par Miles à la fin des années 1980). Enfin Miles, bien qu'affaibli (il décèdera moins de trois mois plus tard), se montre à la hauteur de son inégalée et idiosyncrasique réputation. Un inventeur toujours (im)pertinent (voir également The Miles Davis Story).

Les titres :
introduction de Claude Nobs et Quincy Jones
1. Boplicity
2. Maids Of Cadiz
3. The Duke
4. My Ship
5. Miles Ahead
6. Blues For Pablo
7. Orgone
8. Gone, Gone, Gone
9. Summertime
10. Here Come De Honey Man
11. The Pan Piper
12. Solea

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*le fondateur-directeur du festival appellera d'ailleurs l'une de ses salles le  "Miles Davis Hall" renommée en 2013 "Le Lab".
**qui figurent dans les albums "Birth of the Cool" (1949), "Miles Ahead" (1957), "Porgy and Bess" (1958) et "Sketches of Spain" (1960).

lundi 17 juin 2013

The Birds (les oiseaux)

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Trois ans.  n'était, jusque-là, jamais resté aussi longtemps éloigné des écrans. The Birds, dont les droits ont initialement été acquis pour la série télévisée hebdomadaire Alfred Hitchcock Presents, marque un nouveau tournant dans sa trajectoire de réalisateur. Plus que le retour dans le giron d'Universal, c'est le choix même du récit, son caractère sensiblement fantastique (eschatologique ?) qui déroutent les habitués du cinéaste. Celui-ci avait déjà adapté deux romans de . Le premier (sans mention de l'auteur)Jamaica Inn, avec lequel il avait clos sa première période britannique ; le deuxième, Rebecca, dès son arrivée aux Etats-Unis. La nouvelle (publiée en 1952 dans une revue féminine) de  avait une dimension métaphorique*. Le scénario élaboré par l'écrivain de polars  alias Ed McBain (Blackboard JungleStrangers When We Meet, Tengoku to jigoku tiré de "King's Ransom") incorpore l'intriguant élément surnaturel de l'histoire originelle à une bluette assez quelconque. A l'exception des nombreux effets spéciaux "plumés", la production apparaît en-deçà du niveau auquel  nous avait accoutumés. Et si la blonde **, découverte par le réalisateur dans une publicité télévisée et sensée reprendre auprès de lui la place laissée vacante par , semble à son aise en coquette distante et sophistiquée, le reste du casting, ,  (retenu en raison de l'indisponibilité de Farley Granger) et même  à l'intense regard, déçoit un peu.
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*la guerre et, plus précisément, les attaques de Londres par la Luftwaffe pendant la Seconde guerre mondiale.
**co-attributaire, avec la Suisse Ursula Andress et l'Allemande Elke Sommer, du "Golden Globe" 1964 du meilleur espoir féminin.




dimanche 16 juin 2013

Psycho (psychose)

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"... I think that we're all in our private traps, clamped in them, and none of us can ever get out..."


S'il avait certainement la conviction d'avoir produit un très bon film,  n'imaginait sans doute pas le phénoménal et durable impact que produirait Psycho. La rupture catégorielle et formelle avec les précédentes réalisations, Vertigo et North by Northwest (pour ne citer que les deux dernières), est d'ailleurs considérable. L'adaptation par Joseph Stefano, scénariste alors méconnu, du sixième roman de 1 paru en 1959 tient en effet du thriller criminel mais aussi, unique occurrence dans la filmographie du cinéaste, horrifique2. Le noir et blanc, choisi pour plusieurs motifs3, et l'emploi d'acteurs principaux non hitchcockiens contribuent également de manière significative à cette forte impression de discontinuité, voire même d'altérité.
Mon premier visionnage de Psycho, une projection nocturne à la cinémathèque du Trocadéro, remonte à 1971 ou 1972. Un authentique choc ; je me souviens avoir été particulièrement marqué par l'étrange scène finale, par le jeu subtil, l'incroyable regard d'. Les multiples autres ont ensuite mis en évidence la redoutable maitrise narrative et "opératoire" d'. Celle d'ancrer le récit dans un réalisme minutieux (Phoenix - Arizona, vendredi 11 décembre, 14h43), dans un contexte presque trivial perturbé par la dépendance, la contingence, la perte et la folie (passagère ou pathologique)Avec le recul, le rôle respectif joué les "figures" antagonistes du film relève d'une provocante ironie. L'ordre (la loi à travers un représentant, l'agent de patrouille, saisissante apparition au réveil du deuxième et dernier jour) à la fois dans la persistance de la transgression et l'effroyable sort subi par Marion Crane4. La confusion, incarnée par Norman Bates, dans la prise de conscience par celle-ci de son inconséquent forfait.
Que dire, sans les affaiblir par le verbe, des singulières atmosphères créées par le producteur-réalisateur avec ses collaborateurs, du souci maniaque des détails, de l'importance des dialogues (souvent inconsistants ou inexistants dans la plupart des films de genre), de l'inoubliable, désormais mythique scène de la douche, indissociable de l'inouïe et stridente partition inventée par le génial Bernard Herrmann (encore une fois auteur d'une bande originale - à cordes - superlative), de la séquence, en plongée et déséquilibre, du meurtre du détective Milton Arbogast (joué par ) ? Comment enfin ne pas louer les interprétations du prodigieux , vulnérable et inquiétant, et de 5 dont le personnage (le plus saillant de sa carrière débutée treize ans plus tôt) disparaît pourtant au cours de la première partie du film ? Entré au National Film Registry en 1992, Psycho peut être, sans hésitation, qualifié d'œuvre primordiale en raison de l'influence qu'il continue d'exercer sur le cinéma et, plus généralement, sur la culture populaire.
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1. correspondant épistolaire, à l'âge de 15 ans, d'H.P. Lovecraft et écrivain souvent inspiré par des tueurs en série.
2. The Birds ne peut, raisonnablement, être classé dans ce genre.
3. atténuer visuellement les séquences sanglantes, réduire le coût de production (de son dernier film pour la Paramount), "s'étalonner" vis-à-vis des médiocres séries B à succès également tournées en N&B et en référence aux Diaboliques d'.
4. "There are plenty of motels in this area. You should've... I mean, just to be safe."
5. Eva Marie Saint, Lee Remick, Angie Dickinson, Piper Laurie, Martha Hyer, Hope Lange, Shirley Jones et Lana Turner ont été pressenties pour le rôle qui valut à  sa seule récompense majeure, le "Golden Globe" 1961 de la meilleure actrice de soutien.



Rear Window (fenêtre sur cour)

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"Tell me exactly what you saw and what you think it means."

Premier des neuf films pour lesquels  venait de s'engager avec la ParamountRear Window est rapidement devenu l'une des œuvres emblématiques de cette fructueuse décennie 1950 et, plus généralement, de la carrière du génial cinéaste. Si le meurtre d'une conjointe y sert à nouveau1 de principal ressort narratif, la courte histoire du romancier new-yorkais  (Phantom Lady, The Window, La Mariée était en noir) permettait également à  de renouer avec le huis clos2Pour la première de ses quatre collaborations consécutives avec le maître du thriller, la seule d'entre elles nommée aux Academy Awards, l'ex-journaliste devenu scénariste  façonne Lisa, l'amante du personnage central, à l'image de sa propre épouse, mannequin de couturiers.
Le déroulement des faits, en particulier l'opportunité de mise en évidence du crime naissent d'une conjonction de circonstances. Immobilisé chez lui en raison d'une jambe gauche cassée lors d'un reportage, le photographe L.B. 'Jeff' Jefferies passe le plus clair de son temps à observer les résidents d'appartements dont les fenêtres, le plus souvent ouvertes en raison de la forte chaleur estivale, donnent toutes dans la même cour. Frustration et curiosité naturelle (professionnelle) le conduisent à ce bien innocent voyeurisme. Une pratique inconvenante (présumée indécente3) qui suscite néanmoins un léger sentiment de culpabilité stigmatisé par les désapprobations de Stella, l'infirmière engagée par la compagnie d'assurance pour lui prodiguer des soins. Miss Torso ne cherche visiblement pas à dissimuler sa plastique de jeune et jolie ballerine, ni la présence de ses empressés courtisans. Les cérémonies illusoires, attentes et désespoirs de la mûre célibataire Miss 'Lonelyhearts' interpellent discrètement. Une galerie de portraits fugaces complétée par un compositeur méconnu, une potière amateur, un vieux couple avec chien ayant provisoirement déplacé leur chambre à coucher sur le balcon (de secours) et de jeunes mariés en interminable nuit de noces.
Et puis, il y a Mr. & Mrs. ThorwaldEmma, malade (fictive ?) alitée et rêche ; Lars, vendeur itinérant et probablement infidèle. Une nuit, Mrs. Thorwald disparaît sans raison apparente. Puis 'Jeff' assiste à une étrange série de déplacements effectués par Lars, valise à la main et sous une pluie battante. Une suite d'événements qui éveille aussitôt le soupçon de meurtre conjugal. Encore faut-il en apporter la preuve mais aussi et surtout convaincre un proche valide de croire sa conjecture et de l'aider. C'est à ce stade que le récit recourt à l'intrigue secondaire, relationnelle ou sentimentale, ajoutée à l'histoire originelle. Jusque-là réticent à épouser Lisa en raison de leurs présupposées différences sociales (existentielles), l'aventurier 'Jeff' découvre à cette occasion l'aptitude de la sophistiquée jeune femme à se mettre en danger pour lui apporter un élément décisif de corroboration. Qu'elle puisse être à la fois une femme "parfaite" (dans une vision sans doute un peu machiste du terme) et courageuse. Plus intrépide qu'il ne s'y attendait ; qu'il ne l'aurait, peut-être, lui-même été.
Parmi les riches idées de la production, outre le vaste décor presque clos et le choix d'un bande-son diégétique, celle de réunir  et , couple encore inédit, presque insolite quoique solide et plaisant. Le Canadien , le futur Perry Mason et Ironside des séries télévisées, obtient son plus mémorable second rôle face notamment à  (comédienne plusieurs ois nommée aux "Oscars"). Rear Window a été ajouté au National Film Registry en 1997.
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1. comme dans Strangers on a Train ou le tout récent Dial M for Murder.
2. espace formel (ici paradoxal puisque surtout orienté vers l'extérieur) qui conditionnait déjà les dissemblables Lifeboat et Rope.
3. surtout lorsque, pour cela, 'Jeff' se sert (à partir de la 40e minute) d'une paire de jumelles puis d'un téléobjectif de 400mm.