mardi 31 mars 2015

Broken Arrow (la flèche brisée)

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"... I will try the way of peace."

Considéré par les historiens du cinéma comme l'une des premières productions hollywoodiennes d'Après-guerre (Devil's Doorway d'Anthony Mann, sorti un mois plus tard, en fait également partie) présentant les Indiens de façon plus équilibrée, positive que précédemment, Broken Arrow relate la rencontre entre Tom Jeffords, alors responsable du service de distribution du courrier, et le chef Apache Chiricahua Cochise. Le respect réciproque puis l'amitié entretenue par les deux hommes ont rendu possible la signature du traité de paix de 1872 entre les autochtones du Sud de l'Arizona et le gouvernement du président Ulysse S. Grant. Un récit adapté de l'ouvrage à succès "Blood Brother" (1947) d'Elliott Arnold par le blacklisté Albert Maltz (sous le prête-nom de Michael Blankfort). Julian Blaustein (l'ex-collaborateur de David O. Selznick venait d'entrer à la Fox) choisit  pour diriger le premier long métrage qu'il produit. Le scénariste passé à la réalisation en 1943 a déjà tourné neuf films, mais il s'agit de son premier western. Secondé par le vétéran Ernest Palmer (chef-op. notamment de Murnau et Borzage, dont l'expérience du genre était presque aussi réduite), le natif san-franciscain confirme les bonnes dispositions montrées pour Pride of the Marines ou Dark Passage.
Malgré quelques erreurs historiques ou factuelles, Broken Arrow possède les atouts qui lui permettent de figurer encore aujourd'hui parmi les westerns majeurs, voire incontournables. La présentation de quelques rites de la tradition amérindienne, l'union conjugale d'un allochtone avec une indigène singularise le film tout en amplifiant son propos pacifique et fraternel. Premier authentique western de *, il met en valeur les nuances et finesses interprétatives de l'acteur oscarisé neuf ans plus tôt. Nommé lors de la 23e cérémonie des Academy Awards, son partenaire  se vit par la suite offrir de nombreux rôles d'Indien. Belle prestation de l'adolescente (15 ans au moment du tournage)  dans son troisième rôle crédité.  et  réaliseront pour Universal deux films connexes dans lesquels  reprend son personnage de Cochise, le premier The Battle at Apache Pass (1952), sorte de prequel de Broken Arrow, le second  Taza, Son of Cochise (1954) avec  dans le rôle-titre. De son côté, la Fox produira entre 1956 et 1960 une série télévisée dérivée du film avec  en Tom Jeffords et  en Cochise.
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*produit après Broken ArrowWinchester '73 a été exploité en salles un peu avant.






lundi 30 mars 2015

Thirteen Women (hypnose)

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"It was written for them... as it is for all of us."

Décrié au moment de sa sortie, ce court drame criminel souffre en outre aujourd'hui des effets souvent nuisibles du temps. Librement adapté1 du roman éponyme paru en 1930 sous la plume de l'ancien acteur devenu écrivain  (Call Her Savage)Thirteen Women tente de nous entraîner dans une sombre, présumément mystérieuse histoire dans laquelle les prétendus pouvoirs de persuasion et de divination astrologique se mettent au service d'une vengeance féminine. Et nous ne la suivons pas ! L'invraisemblance des situations, le caractère trop artificiel de cette intrigue et des raisons (révélées tardivement) de son amorçage sont à vrai dire atterrants. La réalisation et l'interprétation des acteurs desservent le film, contribuant aussi à sa désuétude. A quelques rares exceptions près (dont un surprenant demi-tour automobile), le statisme et une certaine uniformité le caractérisent. Une relative constante, il est vrai, de la plupart des productions de 2 au cours de sa première période RKO (1930-1934).
Le casting, pour l'essentiel féminin, lasse rapidement par le manque de conviction et un jeu très apprêté. L'opposition contrastée entre 3, ici assez fade, et l'étrange  (actrices principales du treizain annoncé aux côtés de , le détective Sam Spade de la première adaptation de The Maltese Falcon) apporte néanmoins un vague relief à ce drame peu captivant.  ou  (unique film de la jeune comédienne galloise au destin funeste) ne faisant qu'apparaitre, parfois de façon plutôt brève. Les scènes avec  et Betty Furness ont elles été coupées au montage au profit de celles d' (en remerciement du succès obtenu par Back Street, sorti un peu plus tôt la même année). Une modeste curiosité... parfaitement dispensable !
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1. par le duo de circonstance constitué du dramaturge  et du romancier Samuel Ornitz (l'un des Hollywood Ten en 1950).
2. le Parisien émigré aux Etats-Unis en 1915, d'abord comédien-metteur en scène puis réalisateur sous contrats successifs avec tous les grands studios hollywoodiens hormis la Warner, reste surtout connu pour ses westerns de série B parmi lesquels la quinzaine d'épisodes de la série TV The Lone Ranger qu'il a dirigés.

3 future partenaire de Cary Grant dans la comédie sentimentale The Awful Truth et de Charles Boyer dans le drame romantique Love Affair




vendredi 27 mars 2015

Il mio nome è Nessuno (mon nom est personne)

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"Tu crede ancora alle favole, vero ?"

Le western a-t-il, au cours des années 1970, encore quelque chose à nous raconter ? Au début de cette décennie,  a achevé son formidable cycle de cinq films du genre avec le déton(n)ant Giù la testa. C'est lui qui lance l'idée de ce Il mio nome è Nessuno, attrapée au vol par , son collaborateur sur les deux premiers volets de la "Trilogie du dollar". Le natif des Abruzzes, qui avait débuté sa carrière de réalisateur avec trois westerns et venait de diriger ,  et  dans l'assez quelconque Una Ragione per vivere e una per morire, trouvait ainsi l'opportunité d'associer son nom à une production plus significative.
Mais revenons à la question initiale. Aux Etats-Unis comme en Italie, le western a perdu ses principaux repères fondateurs. Soldier Blue et Little Big Man ont contribué à inverser le point de vue traditionnel, Jeremiah Johnson a opéré un retour solitaire à la nature. Au sud des Alpes, ce sont (paradoxalement ?) le comique ou la violence explicite qui servent de matériaux privilégiés aux scénarii. En 1973, Clint Eastwood réalise son deuxième film, High Plains Drifter, dans lequel son personnage anonyme ('The Stranger') estompe délibérément la ligne de séparation entre le bien et le mal. Au même moment, le projet de  développé par Fulvio Morsella* et Ernesto Gastaldi fait de la narration elle-même le sujet d'Il mio nome è Nessuno. Ainsi, le jeune, talentueux et fantasque 'Nessuno' (désignation "ulyssienne" pleine de fausse humilité dont les dialogues se servent copieusement) s'évertue-t-il à faire entrer dans l'histoire son héros d'enfance, le tireur émérite Jack Beauregard... qui a des préoccupations plus concrètes et n'en demande pas tant.
Déstructuré, parfois loufoque, Il mio nome è Nessuno réjouit néanmoins le cinéphile ne se laissant pas aisément rebuter par un récit un peu excentrique, aux enjeux volontiers flous. Le film semble d'ailleurs puiser son inspiration dans l'imaginaire infantile et le dessin animé. Une tonalité formidablement appuyée par les compositions allusives et parodiques d'Ennio Morricone, parmi les plus inventives, mémorables du génial musicien. Le véritable tour de force des promoteurs de cette fable aura enfin été de convaincre l'excellent  (interprète du cruel Frank de C'era una volta il West) d'y participer dans un face à face contrasté avec , titulaire du rôle-titre dans le récent diptyque  Trinità.
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*le beau-frère de , co-scénariste de Per qualche dollaro in più, encadrait également cette co-production germano-franco-italienne.




Panic in the Streets (panique dans la rue)

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"... What did Kochak bring in?"

Thriller tendu, fiévreux, Panic in the Streets (au titre un peu fallacieux) affichait en 19501 son originalité. Et même si nous sommes désormais accoutumés (parfois jusqu'à l'infestation !) aux films prenant une épidémie, voire une pandémie pour fondement de leur scénario (le plus souvent anticipateur et/ou horrifique), il a conservé l'essentiel de sa percutante efficacité. Imaginée par l'ex-journaliste Edward Anhalt et son épouse Edna, récompensés par l'"Oscar" du meilleur scénario (dans la catégorie "Motion Picture Story", l'une des trois alors en vigueur) 1951, cette enquête menée conjointement par la police de La Nouvelle-Orléans et un médecin-officier des services de santé publique sort assez résolument des cadres conventionnels du polar criminel. Le meurtre nocturne d'un étranger entré clandestinement aux Etats-Unis à bord d'un cargo n'aurait vraisemblablement pas déclenché une opération d'une telle envergure s'il n'avait donné lieu à un diagnostic de risque sanitaire grave.
Une course contre la montre s'engage donc, d'abord pour identifier le pestiféré abattu, puis pour retrouver et vacciner les individus infectés par le bacille, parmi lesquels l'assassin et ses complices. Plus complexe et hasardeuse, l'investigation de terrain réclamée et obtenue par le lt.-cmdr. Clinton 'Clint' Reed2 suscite la méprise (intéressante sur le plan narratif) du tueur, persuadé que la massive mobilisation de policiers ne peut s'expliquer qu'en raison de l'existence d'un pactole laissé par la victime et secrètement récupéré par l'un de ses comparses. Le scénario co-signé par Daniel Fuchs et Richard Murphy (avec les contributions non créditées de John Lee Mahin et Philip Yordan) nous introduit également, à deux reprises, dans l'environnement familial de Reed, caractérisé par une profonde affection malgré ses faibles ressources financières, manière de souligner l'authentique dévouement du fonctionnaire à sa mission de sauvegarde. Je conteste la prétendue dimension métaphorique3 du récit ; le maccarthysme ébauchait alors à peine sa quête répressive, aucun des différents éléments scénaristiques ne venant réellement appuyer cette interprétation.
Trouver , en général davantage préoccupé par des thématiques socio-psychologiques, à la direction du film constitue en soi une petite surprise. Associé pour la deuxième fois au talentueux et polyvalent cinématographe Joseph MacDonald, le cinéaste d'origine grecque (réalisateur trois ans auparavant du polar judiciaire Boomerang déjà pour la Fox) se montre aussi adroit à réaliser les scènes d'action (recourant parfois au plan-séquence) que celles plus intimistes. La qualité du casting donne à Panic in the Streets une bonne partie de son cachet. A l'affiche un peu plus tôt de Night and the City conforte ici, aux côtés de  et  (dont la jeune carrière va ensuite se poursuivre surtout à la télévision), son standing d'icône hollywoodienne. Il est, en outre, amusant de relever l'informel passage de témoin de l'interprète découvert et aussitôt célébré grâce à son rôle de tueur psychopathe Tommy Udo dans Kiss of Death à , dans sa toute première apparition au cinéma également en meurtrier névrosé. La belle prestation de , camarade de  au théâtre, doit enfin être soulignée.
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1. Sunset BlvdDeadly Is the Female et D.O.A. (autre compte à rebours fatal mais personnel) sont quelques uns des polars sortis cette année.
2. contre l'avis de l'inspecteur Tom Warren, partisan de l'information du public par voie de presse susceptible de provoquer la fuite des coupables et la propagation de l'épidémie.
2. la peste, représentation symbolique du communisme.