jeudi 22 novembre 2012

Blow Out


"You think anybody is going to believe that?"

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Vrai thriller, bien qu'il soit le moins hitchcockien des trois films de Brian De Palma produits par George Litto, Blow Out expose d'emblée ses claires orientations. L'éclectique cinéphilie du réalisateur, son goût pour la technique et pour un voyeurisme certain, perceptibles dès le début de sa carrière, n'ont échappé à personne. Ils prennent ici un tour nouveau, déterminant sur le plan narratif. L'intention de De Palma, véritable gageure, est simple : transposer sur le plan sonore le concept à l'origine de l'énigmatique Blowup, la première œuvre anglo-saxonne de Michelangelo Antonioni. En dépit de ses évidentes qualités et de moyens significatifs(1), l'audience de Blow Out est restée très en deçà de celle connue par Dressed to Kill l'année précédente. Il reste toutefois l'une des productions les plus intéressantes(2) de cette période, arrivée à son terme, du cinéaste.
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Sonoriste pour de très mauvais films, Jack Terry part une nuit à la chasse aux sons en dehors de la ville. Sa présence inexpliquée sur une passerelle surplombant un cours d'eau gêne un couple enlacé, moins la faune, batraciens ou rapaces nocturnes, qui fréquente le site choisi. Des crissements de pneus attirent l'attention de Terry, ponctués par une forte détonation. Le conducteur perd aussitôt le contrôle de son véhicule qui percute la barrière et bascule dans la rivière. Terry descend sur la berge, ne remarquant pas un homme dissimulé sous le pont qui s'esquive, puis plonge pour secours aux occupants de l'automobile. La passagère, bloquée à l'intérieur presque empli d'eau, l'implore ; le chauffeur est mort sur le coup. A l'aide d'une pierre, Terry parvient à briser une vitre, sauvant la jeune femme inconsciente. Aux urgences de l'hôpital, il relate les faits à l'inspecteur chargé de l'interroger, affirmant avoir entendu une détonation avant l'éclatement du pneumatique et détenir un enregistrement de l'accident. Questionné par Terry sur les raisons de l'inhabituelle agitation, un policier lui révèle l'identité de la victime de l'accident, le gouverneur George McRyan, favori des sondages pour les primaires face président sortant. Un ami et proche collaborateur du défunt convainc confidentiellement Terry, pour éviter un scandale, de ne pas évoquer la présence de la passagère. Dans le motel où il a emmené la rescapée Sally, Terry écoute plusieurs fois la séquence de l'éclatement du pneu. Il devient alors évident qu'il a été provoqué par le tir d'une arme à feu. Au même moment, un individu remplace la roue du véhicule-pièce à conviction.
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"It's a very good scream!" Une ironique lecture au second degré pourrait aisément faire croire que la presque quasi totalité du métrage consiste en la découverte d'un son idoine. A la différence de Dressed to Kill, Blow Out ne se soumet pas explicitement à des consignes et "je(ux)" cinématographiques. Ce qui n'exclut pas pour autant une astucieuse interaction entre récit (autour des thèmes de la vérité - et son éventuel "éclatement" -, du complot et du rôle des médias) et forme. La contribution du directeur de la photographie Vilmos Zsigmond se révèle d'ailleurs essentielle(4). La première partie, à bien des égards brillante, suscite un réel enthousiasme, en particulier la séquence de reconstitution mentale des événements à partir de l'enregistrement sonore. La seconde, un peu confuse et laborieuse, est en revanche moins convaincante à l'exception de quelques fugitifs épisodes ; une impression accentuée par les prestations un peu insipides de John Travolta(5) et de Nancy Allen.
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1. un budget presque multiplié par trois comparé celui de Dressed to Kill.
2. 12M$ de recettes seulement contre près de 32M$.
4. l'influence visuelle (notamment les colorations rougeâtres) du Peeping Tom de Michael Powell est assez patente.
5. second choix de De Palma après Al Pacino (futur interprète de Scarface) indisponible. Le second rôle et partenaire de Nancy Allen dans Carrie, vedette des chorégraphiques Saturday Night Fever et de Grease, souffrait d'insomnie pendant le tournage, possible explication à sa relative apathie.

mercredi 21 novembre 2012

Darling (darling chérie)


"I always feel as if there's one more corner to turn, and I'll be there."

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Histoire de femme imaginée par trois hommes, Darling se démarque sensiblement des deux précédents films de John Schlesinger. Tour à tour comédie de mœurs et satire sociale, il préfigure assez bien les transformations (en particulier celles issues de la deuxième vague féministe) en gestation au cours des années 1960 au sein de la société occidentale(1). Ce caractère précurseur et original explique d'ailleurs son explicite citation, parmi quelques autres productions britanniques de cette époque, dans le documentaire étasunien A Decade Under the Influence relatif à la décennie suivante. Présenté en première au 4e Festival de Moscou (avant de sortir aux Etats-Unis puis en Grande-Bretagne), Darling a été successivement récompensé par quatre BAFTA(2) et trois "Oscars"(3) en mars-avril 1966.
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Une jeune femme relate, dans le cadre d'une série d'émissions intitulée "Ideal Woman", son existence. Au centre des attentions dès six ans, Diana Scott avait à vingt ans été choisie dans la rue pour répondre à quelques questions du journaliste de télévision Robert Gold. Celui-ci l'avait ensuite invitée à voir le programme avant sa diffusion, leur ludique amitié et complicité intellectuelle évoluant peu après vers une relation amoureuse. Epouse du gentil mais immature Tony, Diana était donc devenue l'amante de Robert, marié à Estelle la mère de ses deux enfants, à l'occasion d'un déplacement pour un entretien avec l'écrivain Southgate. L'un et l'autre avait ensuite quitté son conjoint pour emménager dans un appartement londonien. Gagné par la routine, le couple adultère vivait également ses premières crises, de jalousie notamment, Diana reprochant à Robert de passer trop de temps avec ses enfants et, par conséquent, son épouse. Elle avait pourtant repoussé la proposition de mariage de son compagnon. La nouvelle ambassadrice de la marque Honeyglow avait néanmoins trouvé opportun de devenir la maitresse de son mentor, le mondain et narcissique Miles Brand, éminence grise de l'homme d'affaires Charles Glass et influent dans le showbiz.
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Portrait contrastée d'une séduisante arriviste (sorte de courtisane égarée dans la deuxième moitié du XXe siècle) ou d'une illusionnée en quête presque désespérée du bonheur ? Difficile de trancher radicalement. Le script de Frederic Raphael(4) ne manque en effet pas de contradictoires, impudiques voire provocatrices énergies. Le titre même(5), la séquence du générique(6) ou le sujet abordé(7) lors du tout premier échange entre Diana et Robert ne sont, à ce propos, évidemment pas anodins, fondant d'emblée le récit sur le paradoxe. Plus cérébral, sophistiqué et artistiquement ambitieux que le godardien Masculin, féminin auquel il fait penser, cette troisième collaboration entre Joseph Janni et John Schlesinger traduit remarquablement bien les motifs et limites de la (subversive ?) contestation contemporaine du modèle relationnel classique au profit d'un obstiné (et illusoire ?) hédonisme. Autour de la "merveilleuse, absolument adorable"(8) Julie Christie, trois (quatre !) hommes entretiennent une distanciée rivalité. En premier lieu les distingués Dirk Bogarde (Victim, The Servant) et Laurence Harvey (Room at the Top, The Manchurian Candidate) réunis pour cette unique occasion. Notons enfin la qualité de la photographie de Kenneth Higgins, chef-op. sur Terminus, à l'œuvre après deux films tournés par Denys N. Coop.
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1. en 1965, date de la réforme des régimes matrimoniaux en France, les femmes peuvent enfin prendre un emploi sans autorisation préalable de leur mari et disposent désormais librement de leurs biens propres.
2. meilleurs acteur (Dirk Bogarde), actrice, décors et scénario britanniques sur six nominations (film et photographie N&B).
3. meilleurs scénario original, actrice principale et costumes (N&B) sur cinq nominations (film et réalisateur). 4. scénariste de Two for the Road, adaptateur de Far from the Madding Crowd du même Schlesinger et de Eyes Wide Shut.
5. "Darling" peut traduire soit de l'affection, réelle ou simulée, soit de l'amour ; le terme signifie aussi une préférence. C'est aussi le titre d'un roman porté à l'écran par Christine Carrière avec Marina Foïs dans le rôle-titre.
6. une affiche annonçant "Ideal Woman" recouvre un appel au secours humanitaire du peuple africain.
7. le conformisme.
8. ... enchanting, sexy, alive, vibrant, astute, clever and knowledgeable" selon Laurence Harvey.