mardi 30 août 2011

Prime Cut (carnage)


"No, you wallow in your own soil."

 - film - 20202_5
De manière sans doute plus prononcée et significative encore que le cinéma dans son ensemble, le polar et le thriller criminel mutent assez radicalement (par énergique bousculade des codes) avec l'entrée dans la décennie 1970. The French Connection de William Friedkin ou Dirty Harry de Don Siegel constituent des archétypes de cette évolution(1). Produit par Joe Wizan (Jeremiah Johnson) à partir d'un scénario de Robert Dillon(2), Prime Cut contribue à sa façon au mouvement excentrique amorcé par le genre. Cette deuxième échappée hors du cadre télévisuel pour le réalisateur Michael Ritchie(3) met en avant un certain nombre de particularités, parmi lesquelles l'unique confrontation entre Lee Marvin et Gene Hackman, qui le rendent à bien des égards incomparable.
 - film - 20202_8
Patron d'un gang irlandais de Chicago, Jake sollicite dans un bar l'intervention de son ancien collaborateur Nicholas 'Nick' Devlin. Celui-là vient en effet de perdre successivement trois de ses hommes chargés de récupérer auprès de Mary Ann un demi-million de dollars. Murphy, le dernier d'entre eux, lui a été réexpédié par la poste sous la forme d'un chapelet de saucisses. Nick finit par accepter de prendre la route pour Kansas City en compagnie de Shay, vieux camarade d'opérations, ainsi que de trois autres hommes de main plus jeunes, Delaney, O'Brien et Shaughnessy mis à sa disposition par Jake. Arrivé au petit matin, Nick rend aussitôt une visite impromptue et musclée à Weenie, contremaître de l'usine de transformation de viande appartenant à son frère Mary Ann, dans le taudis à enseigne d'hôtel où il réside. Un peu plus tard, il s'invite avec ses compagnons dans la propriété de ce dernier. Une réception y est organisée au cours de laquelle de jeunes femmes droguées et nues, placées à l'intérieur d'enclos, doivent être mises en vente. Interrompu pendant son déjeuner, Mary Ann tente de raisonner puis d'amadouer Nick, lui proposant de lui remettre la somme due le lendemain à la foire de Jayhawker. A titre d'acompte, Nick emmène un des articles du jour, Poppy, qui lui a supplié son aide.
 - film - 20202_16
Primaire (sans réelle connotation péjorative) plus que bestial, Prime Cut invente en déplaçant (concrètement, le trajet dure près d'une minute trente à l'écran) son décor de la ville, cadre habituel du polar, vers l'authentique et reculée campagne étasunienne. La confrontation entre l'urbain 'Nick' Devlin et le rural, charcutier (et équivoque ?) Mary Ann(4) n'est d'ailleurs pas uniquement formelle puisque deux "conceptions" de l'être humain s'y opposent fugitivement. Le scénario développe sa bizarrerie dès la séquence d'ouverture-générique, la mécanique tenant au cours du métrage une place importante. Très dissemblable au contemporain et terne Un Homme est mort de Jacques Deray, moins incisif que Charley Varrick de Don Siegel, Prime Cut cultive sa singularité grâce aussi à la présence, aux côtés du duo Marvin-Hackman, d'Angel Tompkins (ancien mannequin déjà remarqué dans la comédie I Love My Wife) et de la Texane (et strasberguienne !) Sissy Spacek en gracile et dénudée Poppy, sa première prestation créditée.
___
1. Dog Day Afternoon de Lumet viendra ensuite lui donner une nouvelle et différente impulsion.
2. notamment co-scénariste du X de Roger Corman puis de French Connection II de Frankenheimer également avec Gene Hackman.
3. auquel on doit aussi The Candidate, sorti la même année, la comédie The Bad News Bears ainsi que le téléfilm The Positively True Adventures of the Alleged Texas Cheerleader-Murdering Mom (avec Holly Hunter) plusieurs fois primé.
4. clin d'œil au personnage interprété par Dawn Wells dans le sitcom Gilligan's Island ?

mercredi 24 août 2011

Gattaca (bienvenue à gattaca)


 - film - 250_11
Pour me remettre du visionnage d'In Time, il fallait au moins revenir à ce Gattaca. Existe-t-il un autre drame/polar d'anticipation, produit en cette fin de XXe siècle, si incroyablement audacieux, aussi insolemment distingué ? Le revoir à plus de dix ans d'intervalle confirme toutes les qualités de ce premier film et scénario (très) original de Niccol (qui s'est "égaré" depuis !). La réponse à la question doit être négative. Brillantissime !

mardi 23 août 2011

Puzzle of a Downfall Child (portrait d'une enfant déchue)


"... Living in a state of grace, with someone."

 - film - 22442_7
Comme son collègue William Klein(1), le photographe Jerry Schatzberg choisit le domaine qu'il connait alors le mieux pour sujet de son premier film. Mais contrairement à lui, son aîné également new-yorkais opte pour un drame, à très nettes connotations psychologiques, conçu à partir d'une série d'interviews de l'un des mannequins vedettes des années 1950, la superbe Anne St. Marie(2). Soutenu par le couple Paul Newman-Joanne Woodward et aidé par un contexte favorisant les nouveaux cinéastes auprès des studios, Schatzberg peut ainsi offrir le rôle principal de Puzzle of a Downfall Child à sa compagne, la comédienne Faye Dunaway, déjà remarquée dans Bonnie and Clyde (ainsi que, dans une moindre mesure, pour sa prestation de soutien dans Hurry Sundown) et The Thomas Crown Affair.
 - film - 22442_13
Retirée sur une île, dans une maison de bois au bord de l'océan, pour peindre et écrire, le mannequin Lou Andreas Sand relate les moments importants de et autour de sa carrière à son vieil ami photographe Aaron Reinhardt, matériau destiné à la production d'un film. Suivie régulièrement par un psychiatre, Lou née Emily Versene déplore sa forme physique, son inertie et sa profonde solitude. Elle se remémore son arrivée à New York, sa première et pénible prise de vues avec le détestable Alex Falco, un nom placé en tête de la liste des personnes avec lesquelles elle ne voulait plus travailler, pour la couverture du numéro de juillet 1954 de la revue "Vogue". Séance pendant laquelle elle avait fait la connaissance d'Aaron, assistant de Falco. Elle avait peu après accepté de poser presque gracieusement pour celui-là, puis collaboré avec la célèbre Pauline Galba. Chez cette dernière, Lou avait ensuite rencontré Mark, le séduisant directeur artistique de l'agence de publicité Temple & Horn.
 - film - 22442_27
Caractérisé par le télescopage d'événements diffus, le scénario non-linéaire de Puzzle of a Downfall Child renforce puissamment la sensation, l'impression de fragmentation (ou d'énigme, de perplexité, de mystification...) en germe dans le titre. Avec ce premier et longtemps unique scénario signé par lui, Jerry Schatzberg ambitionne d'aller au-delà du simple récit d'une cover-girl poussée prématurément à une retraite dépressive. D'explorer quelques pistes susceptibles de cerner un personnage complexe et solitaire, obsédé par la perfection, la capture et l'abandon, (possiblement ?) aussi enclin à l'invention, voire au fantasme parfois délirant(3). Une équivoque narration en flash-back imbriqués dans laquelle Schatzberg souligne la duplicité des relations amicales et amoureuses, la vacuité des sentiments. Belle interprétation contrastée, à dominante mélancolique, de Faye Dunaway(4), aux côtés de laquelle se distingue Viveca Lindfors(5), les hommes, dont Barry Morse et Roy Scheider, tenant des rôles plus secondaires.
___
1. dont la première fiction, après plusieurs documentaires, est la comédie satirique française Qui êtes-vous, Polly Maggoo ?.
2. moins connue cependant que la Suédoise Lisa Fonssagrives ou que la Texane Dorian Leigh (sœur aînée du modèle et actrice Suzy Parker). Anne St. Marie fut notamment photographiée par Klein sur le Queensboro Bridge (NYC) pour l'édition de juillet 1959 du magazine "Vogue".
3. probable justification de l'emploi de Faye Dunaway pour prêter également ses traits à l'adolescente Emily.
4. nommée aux 28e "Golden Globes" dont les membres lui ont préféré Ali MacGraw dans Love Story.
5. Suédoise engagée en 1946 par la Warner dans l'espoir de devenir la nouvelle Greta Garbo ou Ingrid Bergman, vue entre autres chez William Dieterle, Fritz Lang et Joseph Losey.