lundi 29 septembre 2008

Rendition (détention secrète)


"Tu l'as connu. Il n'a pas changé."

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La politique sécuritaire mise en place par les gouvernements étasuniens et renforcée après le funeste "9/11" a, si l'on peut dire, redonné un incontestable coup de fouet au thriller politique. Rendition participe en bonne place au renouveau de ce genre qui avait contribué à l'éclat des carrières de John Frankenheimer, Costa-Gavras, Fred Zinnemann ou encore plus récemment Oliver Stone. A l'heure où la motivation commerciale et l'approche marketing l'emportent assez nettement sur l'engagement citoyen, il faut saluer le courage et le talent de Stephen Gaghan (Syriana), d'auteurs de documentaires critiques* et, donc, du Sud-africain Gavin Hood qui, avant ce premier film produit aux Etats-Unis, s'était déjà illustré il y a trois ans avec Tsotsi. Présenté en première au Toronto Film Festival, Rendition n'a pourtant, malgré ses évidentes qualités, pas attiré les foules lors de son exploitation en France.
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Anwar El-Ibrahimi, un ingénieur chimiste américain d'origine égyptienne, quitte la conférence à laquelle il a participé à Cape Town (Afrique du sud) pour retrouver à Chicago son épouse enceinte Isabella et son jeune fils Jeremy. Au même moment, quelque part dans la capitale d'un pays d'Afrique du nord, l'analyste de la CIA Douglas Freeman accompagne William Dixon nouvellement nommé pour lui présenter son contact local, Abasi Fawal, le chef de la police secrète. Bloqués dans leur véhicule par un accident de l'autre côte de la place où doit se tenir le rendez-vous, les deux hommes assistent à une très violente explosion déclenchée par un terroriste dont Fawal était la cible.
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Dixon succombe à sa blessure, Freeman est presque indemne mais profondément choqué. Informée de l'attentat, Corrine Whitman, haut responsable de la CIA, donne son accord pour une discrète interpellation d'El-Ibrahimi, soupçonné de contacts terroristes, pendant sa correspondance à Washington. D'abord questionné sur place par Lee Mayer, le patron de Freeman, El-Ibrahimi rejoint bientôt les geôles de Fawal pour y subir un traitement et des interrogatoires plus sévères. De son côté, Isabella part pour Washington demander l'aide d'un ancien ami de campus, Alan Smith, aujourd'hui proche collaborateur du sénateur Hawkins.
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Assez dissemblable et bien supérieur au récent et presque homonyme drame du Britannique Jim Threapleton avec Andy Serkis, Rendition apporte un éclairage intéressant et plutôt efficace sur le thème des arrestations arbitraires. Une pratique ancienne et très répandue qui, n'en déplaise aux naïfs et aux profanes en histoire, n'a jamais été l'apanage des seuls régimes autoritaires ou totalitaires. Utilisée ponctuellement par l'administration Reagan à partir de 1987 puis validée et encadrée en 1995 par une directive Clinton, elle serait devenue une mesure préventive presque usuelle, parfois assortie de torture, à la suite des attentats terroristes de septembre 2001. Le scénario de Kelly Sane s'inspire d'ailleurs d'un cas réel** pour illustrer les dialectiques intérêt national/droit individuel et justice/loi d'exception. Mais c'est surtout l'intelligente construction narrative, plurielle et déchronologique, qui apporte sa force au film, s'appuyant sur une évidente (mais non ostensible) qualité de réalisation, notamment visuelle, de Gavin Hood, sur la saisissante et progressive tension créée au cours du dernier quart d'heure et sur un casting sobre et distingué, en particulier Jake Gyllenhaal dans un rôle d'anti-Bourne nuancé.
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**celui d'un citoyen allemand né au Koweït de parents libanais détenu pendant plus de trois semaines par la CIA en 2004 rapporté deux ans plus tard par le "Washington Post". Le film présente également des similitudes avec celui d'un ingénieur télécom syriano-canadien en 2002.




The Island of Dr. Moreau (l'île du docteur moreau)


"What, in the name of God, are you doing here?"

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Publié en 1896*, "The Island of Doctor Moreau" devait posséder une résonance singulière dans l'œuvre de l'ancien élève en biologie (en particulier d'un cours d'anatomie comparée professé par l'évolutionniste Thomas Henry Huxley, grand-père de l'écrivain) Herbert George Wells. Cette fiction contemporaine et scienti-fantastique, aux thématiques encore assez actuelles, inspira pourtant cinq productions étasuniennes** en majorité plutôt quelconques. L'adaptation signée par le duo Al Ramrus-John Herman Shaner, à l'origine l'année suivante du Goin' South de Jack Nicholson, échappe lui de justesse aux griffes du jugement public et critique. La mutation de ce roman en film serait-il "congénitalement" impossible ?
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Fin du XIXe siècle. Epuisés par dix-sept jours et nuits passés à bord d'une chaloupe, Andrew Braddock et Charlie, seuls rescapés du naufrage du "Lady Vain", accoste sur une terre sauvage et inconnue. Alors que son compagnon d'infortune est parti chercher de l'eau, Charlie est capturé par deux créatures. En tentant d'échapper à une silhouette qu'il croit menaçante, Braddock tombe peu après dans un piège au pied d'une palissade. Lorsqu'il sort enfin de son long évanouissement, l'officier mécanicien trouve à son chevet un individu appelé Montgomery, bientôt suivi par le dr Moreau, le propriétaire installé sur l'île depuis onze ans.
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Avant le dîner, Braddock fait la connaissance de Maria, la jeune et jolie protégée du biologiste très tôt critiqué par l'académie de médecine et ses collègues pour ses recherches sur la croissance cellulaire. Le lendemain, en tentant de rattraper le jeune guépard de Maria, Braddock aperçoit M'Ling, le domestique au visage grossier, s'abreuvant à un ruisseau comme le font les animaux. Après avoir une nouvelle fois été poursuivi dans la forêt, Braddock profite de l'absence de Moreau et Montgomery pour pénétrer dans le bâtiment qui fait face à la résidence. Derrière une première salle abritant des animaux sauvages en cages, le marin britannique découvre le laboratoire du maître des lieux.
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Comparée à la version la plus récente placée, par défaut, sous la conduite de John Frankenheimer, celle de Don Taylor, bien que dotée d'un budget près de sept fois inférieur, pourrait passer pour un très bon film. En réalité, The Island of Dr. Moreau se montre faiblement inspiré, un peu poussif et sans éclat, même en faisant abstraction de la modeste qualité des effets visuels. Les ressorts à la fois dramatiques et éthiques (rôle et étendue de la science, animalité et humanité...) sur lesquels repose le scénario ne parviennent pas à propulser ce récit au niveau attendu. Et le casting, réunissant notamment pour la première et unique fois Burt Lancaster et Michael York, ainsi que l'à-peine décorative Barbara Carrera dans l'un de ses premiers rôles "significatifs", peine à convaincre vraiment. Des têtes d'affiches qui ne réussissent en tous cas pas à faire oublier celles de l'adaptation réalisée par Erle C. Kenton : Charles Laughton, Richard Arlen et la blonde Leila Hyams. Ce sont d'ailleurs les apparitions de Nigel Davenport que Lancaster retrouvera peu après dans Zulu Dawn ou de Richard Basehart, presque méconnaissable sous son masque dans un rôle tenu avant lui par Bela Lugosi, qui apportent en définitive du relief à ce "sauvage" mais peu mordant collectif.
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*c'est à dire à un an d'intervalle entre "The Time Machine" et "The Invisible Man".