vendredi 28 novembre 2008

Peter Ibbetson


"Nous faisons le même rêve comme nous l'avons déjà fait."

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Seconde adaptation* du roman éponyme signé en 1891 par George du Maurier (sensiblement moins connu et réputé que sa petite-fille Daphne, auteur notamment de Rebecca), Peter Ibbetson apparaît comme une œuvre singulière dans la carrière d'Henry Hathaway, réalisateur de polars, de films d'aventure ou de drames plus conventionnels. C'est d'ailleurs pour cette raison, c'est à dire ses spécificités narratives et artistiques, qu'il fut tant apprécié par le mouvement surréaliste, alors sur le déclin. Etrange, voire pour certains paradoxal ou antagoniste, Peter Ibbetson ne livre pas toutes ses richesses et subtilités dès le premier visionnage.
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Le jeune Pierre 'Gogo' Pasquier vit à Paris avec sa mère, veuve et malade. Lorsque celle-ci décède brutalement, il est confié à son oncle le colonel Forsythe qui, en l'emmenant à Londres, le sépare contre son gré de sa chère amie et voisine Mimsey Dorian à laquelle il doit son surnom. Rebaptisé Peter Ibbetson par son parent, l'orphelin, devenu le collaborateur le plus apprécié du cabinet d'architectes Slade, ne parvient pas à oublier son amour d'enfance. Après un voyage à Paris lui donnant l'occasion de retourner dans la maison familiale désormais abandonnée, Ibbetson est envoyé par son patron dans le Yorkshire pour diriger la rénovation des écuries du duc de Towers. Lorsqu'il rencontre Mary, l'épouse de celui-ci, il éprouve une inattendue sérénité, ne sachant pas encore qu'il s'agit de celle qu'il n'a jamais cessé d'aimer.
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Avec l'onirisme surnaturel s'invitant au détour d'un drame initialement léger, où l'amour ultime expérimente la démesure, Peter Ibbetson s'inscrit très nettement dans la tradition du romantic fantasy à laquelle appartiennent également Seventh Heaven, film muet de Frank Borzage ou, après lui, Pandora and the Flying Dutchman d'Albert Lewin. Le talent d'Henry Hathaway, réalisateur sérieux (et communément) réaliste, consiste ici à détourner ce mélodrame, passant soudainement du littéral au symbolique, du possible écueil de la grandiloquence et du déclamatoire. En particulier, la dernière partie du film ne prend toute sa dimension lyrique et évocatrice que parce qu'il a mis en scène avec rigueur celle qui l'ouvre et dont elle est l'écho direct. Pour son troisième rôle sous la direction d'Hathaway, évidemment très différent de celui tenu dans The Lives of a Bengal Lancer sorti quelques mois plus tôt, Gary Cooper offre une interprétation intéressante et rare aux côtés d'une Ann Harding au charme insolite.
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*après celle de 1921 réalisée pour Famous Players-Lasky, ancêtre de la Paramount, par George Fitzmaurice avec Wallace Reid et Elsie Ferguson dans les rôles principaux.

lundi 24 novembre 2008

Die Abenteuer des Prinzen Achmed (les aventures du prince ahmed)


"... Devant celui qui détient la lampe merveilleuse d'Aladin."

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Dix-huit ans après Fantasmagorie du Français Emile Courtet dit Cohl, onze avant Snow White produit par Walt Disney, l'Allemande Lotte Reiniger signe avec son septième film, Die Abenteuer des Prinzen Achmed, l'un des tout premiers longs métrages d'animation de l'histoire du cinéma. Secondée par Walter Ruttmann, Berthold Bartosch et son époux Carl Koch, l'ancienne comédienne imagine une fable orientale et romantique et la met en scène en utilisant la technique du papier découpé, inspirée du vieil art chinois du jiezhi. Présentée en projection privée en mai 1926 au terme d'une production d'environ trois ans, cette œuvre connaissait grâce à Jean Renoir, deux mois plus tard, sa première publique à la Comédie des Champs-Elysées en présence de René Clair et de Louis Jouvet.
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Un mage africain, monté sur le cheval volant qu'il a suscité grâce ses pouvoirs, se présente à la fête anniversaire du calife. Ce dernier désire acquérir le fabuleux équidé mais, face au refus des croissantes sommes d'argent proposées au sorcier, il doit se résoudre à lui offrir l'un des trésors de son royaume. Le mage choisit Dinarzade, la propre fille du souverain. La jolie princesse s'oppose à ce sort inattendu et contraint, résistance soutenue par son frère Ahmed. L'éconduit invite alors ce dernier à chevaucher la fantastique monture en omettant de lui montrer la manière d'inverser son ascension. Lorsque le prince la découvre enfin, il est extrêmement loin de chez lui et atterrit sur l'archipel enchanté de Wak-Wak. Sur la seconde île découverte, il tombe sous le charme de Pari Banu, la reine des démons et l'enlève contre son gré. L'équipage arrivé dans l'empire de Chine, le prince parvient à convaincre Pari Banu, malgré la menace de représailles que fait peser sur eux les sujets démoniaques de celle-ci, de l'accompagner dans son pays. Pendant ce temps le mage, emprisonné par le calife, se libère de ses chaînes et part à la recherche de son cheval.
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C'est évidemment davantage le caractère historique* et le colossal travail collectif d'artisanat réalisé pour ce Die Abenteuer des Prinzen Achmed qui impressionnent aujourd'hui que le récit en cinq actes**, poétique mais un peu désuet qu'il développe. Les emprunts au recueil persan "Les Mille et une nuits" se croisent et se complètent toutefois dans une envolée narrative assez débridée, teintée à la fois de candeur et de lyrisme. La richesse graphique issue principalement de l'utilisation de silhouettes surprend également, une technique d'animation qui influencera ou que reprendront ensuite, moyennant parfois quelques évolutions, Paul Grimault, René Laloux ou encore Michel Ocelot notamment. Il faut enfin souligner la qualité de la partition composée par Wolfgang Zeller, plus tard collaborateur de Carl Theodor Dreyer, Georg Wilhelm Pabst et Jacques Feyder entre autres.
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*deuxième long métrage d'animation, le premier étant le film argentin, aujourd'hui perdu, El Apóstol de Quirino Cristiani.
**Acte I : Les pouvoirs du mage africain - Acte II : L'histoire du prince Ahmed - Acte III : Aventure en Chine - Acte IV : Aladin et la lampe merveilleuse - Acte V : La bataille des démons de Wak-Wak.




mercredi 19 novembre 2008

El Espíritu de la colmena (l'esprit de la ruche)


"Que vois-tu dans la profondeur de l'obscurité qui te fasse trembler ?"

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Premier long métrage du Basque Víctor Erice, dont la carrière cinématographique avait pourtant débuté douze ans plus tôt, El Espíritu de la colmena est une œuvre forte et unique, à nulle autre pareille. Signée à quatre mains avec le futur célèbre critique du quotidien "El País" Ángel Fernández-Santos, cette histoire écrite pendant la lente agonie du franquisme intrigue et fascine tour à tour par son énigmatique simplicité et sa poétique singulière de l'enfance. Successeur du téléfilm The Glass House de Tom Gries au palmarès du Festival de San Sebastián, récompensé par le "Concha de Oro" 1973, le film d'Erice demeure aujourd'hui encore l'une des meilleures productions du cinéma espagnol ayant, plus largement, ouvert la voie à une certaine conception de la fiction hispanique.
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1940, quelque part en Castille. Pendant que leur mère Teresa rédige une lettre à son amant mobilisé qu'elle ira ensuite poster à la gare et que leur père Fernando s'occupe de ses ruches, Ana et sa sœur aînée Isabel sont allées à la séance de cinéma itinérant organisée dans leur village d'Hoyuelos. Une fois couchée, la plus jeune interroge à nouveau sa sœur sur la raison de la mort du Monstre de Frankenstein et de sa victime, la fillette Maria. Isabel lui répond qu'il s'agit d'un film et, par conséquent, qu'ils ne le sont pas vraiment, ajoutant qu'elle a vu le premier et parlé à l'esprit qui l'habite non loin du village. Le lendemain, après la classe, Ana et Isabel se rendent ensemble dans une vieille bâtisse abandonnée et isolée au milieu de la plaine à côté de laquelle se trouve un puits. Puis la première y retourne seule et découvre à proximité une empreinte de chaussure environ deux fois plus grande que son propre pied.
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Formidable El Espíritu de la colmena, étrange quoique paisible parabole esquissée à partir de la plus essentielle des scènes du classique de l'horreur réalisé plus de quarante ans auparavant par James Whale. Le film de Víctor Erice est probablement l'un des premiers à être authentiquement construit du point de vue d'un enfant. La perte de l'innocence, la brutale confrontation avec l'idée de laideur et l'expérience de la mort, la trahison sont au cœur de ce récit qui peut aussi être vu comme une métaphore de l'époque où il se situe. Il est en particulier symptomatique de constater que le cadre ne réunit jamais, au cours du métrage, les quatre membres de la famille. Ou noter encore la prégnante mélancolie qui semble les engourdir tout en s'interrogeant sur la fonction symbolique des trains qui traversent périodiquement l'écran. Le scénario développe une intéressante et subtile opposition entre deux sœurs, la première concentrée sur le jeu parfois pervers, la seconde dominée par son imaginaire auquel le sort va incidemment donner une certaine et fatale consistance. Personnage interprétée avec une maîtrise et un charme hypnotique par Ana Torrent alors âgée de six ans pour ce deuxième rôle. Très joli travail du chef-opérateur Luis Cuadrado, sur le point de perdre la vue, dont les lumières miel-citronné participent pleinement au souvenir du film. On ne dira enfin jamais assez l'influence exercé par El Espíritu de la colmena sur le cinéma hispanique, à commencer évidemment par Cría cuervos de Saura également produit par Elías Querejeta, mais aussi le récent El Laberinto del Fauno de Del Toro (ou encore avant ce dernier, dans une certaine mesure, le Io non ho paura du Napolitain Gabriele Salvatores).