jeudi 29 septembre 2005

Madigan (police sur la ville)


"... Faire respecter la loi aussi bien que s'y soumettre."

Lorsqu'il aborde la réalisation de Madigan, Don Siegel n'a pas tourné pour le cinéma depuis l'intéressant, à plusieurs titres, The Killer, quatre ans auparavant. Il s'agit d'une adaptation du roman "The Commissioner" de Richard Dougherty, par ailleurs auteur de théâtre. Mais le scénario, auquel ont contribué par moins de cinq rédacteurs dont le metteur en scène Abraham Polonsky, une victime du maccarthysme qui signait ainsi son premier script depuis 1951, choisit de remanier sensiblement le récit originel. Il préfère, en particulier, mettre en avant le personnage de l'inspecteur Madigan plutôt que celui du commissaire Russell qui occupe la position centrale dans l'ouvrage. Une option sensée privilégier l'action au détriment de la réflexion ? Pas sûr, car la trame de Madigan n'est pas très dense, le film s'égarant, en outre, dans des chemins de traverse pas forcément captivants. Il a pourtant inspiré une série éponyme, toujours avec Richard Widmark, diffusée sur NBC à partir de 1972 mais précocement interrompue après six épisodes.
New York, un vendredi au petit matin. Les inspecteurs Daniel Madigan et Rocco Bonaro débarquent sans ménagement dans la chambre de Barney Benesch, encore au lit avec une jeune femme. Ils souhaitent l'emmener au 23e poste central de police pour l'interroger sur une affaire en cours. Mais, profitant d'un moment d'inattention de la part des policiers, Benesch les braque, les désarme et réussit à s'enfuir. Le commissaire Anthony X. Russell, homme dur et intransigeant, qui n'apprécie guère Madigan en raison de ses méthodes expéditives et de son train de vie extravagant, donne soixante-douze heures aux deux inspecteurs pour retrouver le criminel fuyard. Russell est, par ailleurs, préoccupé par le résultat d'une enquête qui, indirectement, semble impliquer son vieil ami, l'inspecteur-chef Charles Kane.
Sorti la même année que Coogan's Bluff situé également à New York, Madigan est un gentil petit polar, un peu bavard, qui annonce toutefois le bien plus énergique Dirty Harry. Le film subit, incontestablement, en sa défaveur la comparaison avec ce dernier mais aussi avec Bullitt de Peter Yates, à l'affiche aux Etats-Unis quelques mois après, bien plus intéressant sur le plan de la narration et de la réalisation. Madigan développe trop, notamment, les intrigues secondaires. Le dilemme, à la fois professionnel et privé, auquel est confronté le commissaire Russell apporte, bien sûr, une seconde lecture aux situations du film. En revanche, les longues scènes conjugales ou extra-conjugales n'ont rien d'essentiel et nuisent au rythme général. Pas de consolation à attendre du côté de l'interprétation, les deux têtes d'affiche, qui avaient partagé celles de Warlock et, à distance, de How the West Was Won, offrent des prestations sans surprise*. Pas de confrontation entre eux, Fonda et Widmark se croisant à deux reprises au cours du métrage. Enfin, le méconnu Don Costa nous offre une partition un peu envahissante, au moins décalée dans l'ambition par rapport aux prétentions du film, et manifestement inspirée des thèmes de Lalo Schifrin (Mannix) et autre Streets of San Francisco.
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*amusant de constater, pourtant, la persistance de tics de jeu chez Widmark déjà présents dans Kiss of Death.


mercredi 28 septembre 2005

The Devil's Men (la secte des morts-vivants)


"Vous restez toujours un incroyant."

Quelque part dans un village d'un pays méditerranéen, subsiste un antique culte païen dédié au minotaure. Une nuit, un groupe d'individus dissimulés sous des cagoules se rend au temple et une cérémonie, dirigée par le baron Corofax, voit le sacrifice rituel d'un couple de jeunes touristes. Le père Roche, qui réside à proximité du village, s'inquiète bientôt de leur disparition et informe la police. Il obtient une fin de non-recevoir. Il écrit alors à son ami Milo Kaye, un autochtone parti vivre à New York, pour lui demander de l'aider. Sa lettre n'émeut pas le destinataire qui a d'autres "chats" à fouetter. Mais lorsque trois voyageurs au long cours, Ian et Tom, d'abord qui découvrent les cadavres des deux sacrifiés, puis l'amie du premier, Beth, disparaissent à leur tour, et que débarque Laurie, l'amie de Tom venue le rejoindre, l'insistance du père Roche se fait plus vive et finit par convaincre Milo de venir.
Il semble que les fondateurs de la société de production ayant financé The Devil's Men, parmi lesquels figurent l'ex-critique de cinéma Costas Karagiannis (orthographié parfois Carayiannis), aient eu initialement pour ambition de relancer la carrière du britannique Michael Powell. Bien connu pour ses films des années 1940 réalisés avec Emeric Pressburger, Powell, honoré cette année à Cannes, fut, en effet, empêché de poursuivre son travail en Angleterre après l'accueil très virulent ayant suivi la sortie de Peeping Tom. L'ambitieux projet shakespearien de Powell au sein de Poseidon Films ne déboucha finalement pas. Le véhicule servit à la production d'un long métrage d'horreur à petit budget mais qui a la particularité de réunir deux acteurs anglais de renom, Peter Cushing et Donald Pleasence. Les deux hommes avaient déjà partagé l'affiche des également horrifiques The Flesh and the Fiends de John Gilling et From Beyond the Grave de Kevin Connor ainsi que, de ce dernier, Trial by Combat avec John Mills. Autre personnage célèbre associé au film, Eno, le fantasque et génial titulaire des claviers du groupe déca-dandy Roxy Music pour la composition de la bande originale. The Devil's Men, rebaptisé en France d'un titre sans corrélation directe avec les originaux*, est une pure curiosité de cinéma de genre. Le scénario devait tenir sur le papier d'emballage d'une feta et les acteurs, inconnus comme célébrités, sur-jouent comme dans les films de collégiens apprentis cinéastes. Le visionnage provoque, si l'on est bien luné, un sentiment de sympathie amusée. Jeunes femmes inutilement dénudées ou en mini-short moulant, gros plans de regards médusés, effigie de minotaure-chalumeau et imitation d'essaim d'abeilles au synthétiseur sont futiles mais finalement réjouissants.
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*il faut croire que la résurrection des morts soit plus vendeur dans l'Hexagone que les rites païens et sataniques.

Cream: Royal Albert Hall London


"I'll be with you when the stars start falling." (in "Sunshine Of Your Love")

Cream

Fort heureusement, ils n'ont pas attendu ce moment pour se réunir à nouveau. Mais reprenons la légende depuis le début. Cela se passe dans un royaume enchanté, celui de sa gracieuse majesté Elizabeth Alexandra Mary dite Elisabeth II. Nous sommes en 1966. Un jeune homme de 21 ans, né dans la banlieue de Londres d'un père soldat canadien, vient de quitter successivement des Yardbirds qui viraient trop commercial à son goût et les Bluesbreakers d'un certain John Mayall dont le nom apparaissait en plus gros que le sien sur la pochette de leur premier et unique disque en commun. Ce surdoué de la guitare a brièvement croisé, au sein de ce dernier groupe, un Ecossais appelé Jack Bruce, bassiste et chanteur de son état, par ailleurs membre d'une obscure formation de rythm&blues appelée le Graham Bond Organisation dont le batteur n'est autre que Ginger Baker.
Cream est né (sous un bon signe ?), réunion de trois stars dont les médias de l'époque souligneront, à tort ou à raison, davantage les antagonismes que les complémentarités. Eric Clapton est, naturellement, le plus connu des trois. C'est lui qui est l'objet de toutes les attentions, mais Jack Bruce est une pièce maîtresse du dispositif, façonnant, pas seulement par sa voix, le son du groupe, influencé par le jazz, et composant, seul ou avec l'auteur Pete Brown, la majeure partie du matériel artistique de Cream. Rapidement, un an avant le "Are You Experienced?" d'Hendrix, un remarquable premier album, "Fresh Cream", est enregistré.
L'année suivante, sort l'excellent "Disraeli Gears". Extrait de ce dernier, "Sunshine of Your Love", avec son inoubliable riff de hard rock, entre dans les charts US. Suivent un double album (studio et live), "Wheels Of Fire", et, en janvier 1969, un disque posthume, "Goodbye", dans lequel figure "Badge", une composition du duo Clapton-Harrison mais d'où émerge tout le talent de Jack Bruce. Le groupe s'est, en effet, séparé en novembre 1968.
Cream, au delà de l'osmose qui existait entre ses membres et de leurs incontestables qualités respectives, était le résultat d'une véritable alchimie comme il ne s'en produit qu'exceptionnellement en musique. Contrairement à l'Experience hendrixien, et malgré la notoriété de Clapton, le poids des trois instrumentistes était sensiblement équivalent, ce qui explique probablement l'influence durable qu'a laissé le groupe, son importance dans l'histoire du rock mais aussi sa disparition précoce. Un bref et partiel prolongement sera apporté avec Blind Faith dans lequel, outre Clapton et Baker, on trouvera l'ex-musicien de Traffic, Steve Winwood.

Royal Albert Hall

Ils l'ont fait ! Cela faisait trente ans qu'on les tannait pour qu'ils se remettent en ménage et nous fasse monter, à nouveau, le Cream dont ils ont la recette. Et, vous le croirez ou non, elle est rudement fraîche cette crème là (à dire ave l'accent !). Des quatre dates* dans la célèbre (The Man Who Knew Too Much, Led Zeppelin, Concert for George...) et prestigieuse salle de concert de South Kensington, au centre de Londres, une compilation des meilleurs moments a été composée (on aurait préféré une édition cinq DVD de l'intégral !) débutant avec le "I'm So Glad" de Skip James qui figurait dans leur premier album, le plus représenté au cours du set (sept titres sur dix-neuf).
Parmi les moments saillants d'un concert sans faille, "Pressed Rat & Warthog" chanté par Baker, "Rollin' & Tumblin'" avec Bruce à l'harmonica (instrument repris sur "Sitting On Top of the World") et Clapton au bottle neck, le long solo de batterie sur "Toad" et les classiques mais formidables "Stormy Monday" et "Sunshine Of Your Love" qui clôt le concert.
Si l'on se laissait aller, on ferait un commentaire sur chacun des morceaux. Nos pères ou grands-pères, selon le cas, sont étonnamment verts. Clapton bien sûr, à propos duquel nous avons régulièrement des témoignages, mais aussi ses deux aînés, moins médiatiques, chez lesquels on note, cependant, la nécessité d'allonger légèrement les pauses entre les titres.
C'est une évidence mais l'interprétation, tout en étant fidèle à l'esprit d'origine, est néanmoins assez différente de ce qu'elle était dans les années 1960 et cette "relecture" constitue une partie non négligeable de l'intérêt de cette prestation. Moins de percussion et d'énergie, certes, mais une profondeur, une rigueur et une mise en place qui faisaient souvent défaut il y a trois décennies. Dans ce chapitre, on peut souligner l'abandon régulier, entre les mains de Bruce, de la classique Gibson au profit d'une Warwick fretless.
La mise en images, non dénuée de partis pris contestables (zooming, recherche fréquente du point, split screen...), est plutôt intéressante et, dans l'ensemble, réussie.
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*2, 3, 5 et 6 mai 2005, le mercredi, c'est bien connu, les enfants n'ont pas classe... sceptiques ? Voyez donc Jack Bruce dans l'alternative take de "Sleepy Time Time" et regardez Ginger Baker à la fin des interviews.

Les titres :

1. I'm So Glad
2. Spoonful
3. Outside Woman Blues
4. Pressed Rat & Warthog
5. Sleepy Time Time (3 mai)
6. N.S.U.
7. Badge
8. Politician
9. Sweet Wine
10. Rollin' & Tumblin'
11. Stormy Monday
12. Deserted Cities of the Heart
13. Born Under A Bad Sign

14. We're Going Wrong (6 mai)
15. Crossroads
16. Sitting On Top of the World
17. White Room
18. Toad solo de batterie
19. Sunshine Of Your Love (3 mai)

Bonus Tracks :
Sleepy Time Time (6 mai)
We're Going Wrong (3 mai)
Sunshine Of Your Love (6 mai)