On a l'habitude de dire qu'Onibaba a constitué une rupture dans la carrière de Kaneto Shindô après les quasi documentaires Gembaku no ko et Hadaka no shima. C'est oublier ses collaborations, en tant que scénariste, avec nombre de réalisateurs, Yasuzo Masumura, Kozaburo Yoshimura et Kenji Mizoguchi
notamment. Ce dix-huitième long métrage s'inscrit, au contraire, dans
une parfaite continuité cinématographique et une évidente cohérence
thématique, soulignant également l'importance de la nature et le rôle
prépondérant de la femme. Onibaba
est un drame à composante fantastique, reposant sur des choix
esthétiques précis et formels. Et il est tout aussi vain de le
cataloguer "film érotique japonais" aux côtés du Môjuu de Masumura et du Ai no corrida d'Oshima
avec lesquels il n'a pas grand chose à voir. Œuvre étonnante,
installant une atmosphère envoûtante très singulière, il s'agit
probablement de l'un des meilleurs films du prolifique cinéaste.
Le
chaos dévaste le Japon impérial. Kyoto brûle et l'empereur a dû fuir
sur le mont Yoshino, remplacé par son adversaire, soutenu par le clan Kusunoki.
Deux fermières, une vieille femme et sa bru, vivent dans un vaste
marais roselier. Pour survivre à la famine, elles tuent des soldats
égarés pour les détrousser de leur armure et sabres qu'elles échangent
ensuite contre du millet auprès du receleur Ushi. Leur voisin Hachi revient des combats et annonce la mort de Kichi, respectivement le fils et l'époux des deux femmes. Hachi
convoite la jeune veuve et parvient à la séduire malgré l'opposition de
sa belle-mère. Celle-ci, à la foi jalouse et inquiète de voir sa
complice la quitter, s'offre en vain à Hachi. Un soir, un
général-samouraï perdu et portant un masque, demande son chemin à la
vieille femme. Faisant mine d'accepter, elle s'arrange pour le fait
tomber dans le trou profond où elle jette ses victimes habituelles. Elle
a alors l'idée de récupérer l'étrange masque pour effrayer sa
belle-fille et la faire renoncer à son amour et ses projets.
Il est troublant de constater les sorties coïncidentes du film de Kaneto Shindô et de celui du brésilien Glauber Rocha, Deus e o Diabo na Terra do Sol,
issus de cultures très distinctes et pourtant si proches sur de
nombreux plans. On peut également évoquer, dans cette mouvance, le Suna no onna d'Hiroshi Teshigahara, présenté, comme ce dernier, au Festival de Cannes
1964. Le décor de ces trois films est planté au milieu de nulle part,
au cours d'une période ouvertement ou symboliquement troublée. Comme
cela était évoqué précédemment, la nature et la femme y occupent une
place essentielle, auxquelles on peut ajouter l'influence du mythe (et sa classique dichotomie Bien-Mal). Véritable retour à un état de nature (assez peu rousseauiste !) sauvage, au milieu de cette mer végétale de la région de Susukigahara, Onibaba,
tout en étant relativement pudique, surprend par sa forte charge
libidinale mise en relief par la simplicité de la trame narrative* de ce
scénario original, jouant sur des motifs de répétition et soulignée par
le jeu des comédiennes (assez comparable à celui des acteurs du muet) et par la puissance insolite de la photographie et de la bande sonore. Remarquable.
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*proche de Ugetsu de Mizoguchi et annonçant celle, presque identique aussi, de Yabu no naka no kuroneko.
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