vendredi 28 novembre 2003

Cidade de Deus (la cité de Dieu)


"La favela était un purgatoire. C'est devenu l'enfer."

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Cidade de deus est, sans aucun doute, l'un des films les plus étonnants de ces dernières années. Parce qu'il raconte une histoire largement authentique, qu'il prend place dans un environnement "exotique", insolite dans le cinéma actuel et aussi parce qu'il bénéficie d'un traitement visuel remarquable, expressionnisme virtuose qui peut déranger certains. Le troisième film de Fernando Meirelles, qui succède au court-métrage Golden Gate (Palace II) qui se passait déjà dans la "Cidade de deus", n'est pas, bien que maladroitement qualifié de "nouveau cinéma brésilien" par la presse, une oeuvre isolée mais s'inscrit dans une filiation avec Deus e o Diabo na Terra do Sol de Glauber Rocha, Os Fuzis de Ruy Guerra ou encore avec le cinéma de Neslon Pereira dos Santos. Le O Homem do Ano de José Henrique Fonseca, présenté à Cognac en avril dernier et au Festival de Cannes (mais encore inédit en salles) le prolonge avec des références communes.
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Inspiré de l'ouvrage homonyme de Paulo Lins, Cidade de deus est le nom et le récit (touffu) de cette favela de la périphérie de Rio de Janeiro. Celle-ci a accueilli, dans les années 1960, tout ce que la province comptait de déshérités et sans logis*, devenant rapidement l'un des endroits les plus dangereux du Brésil. Ce récit, qui démarre sur un événement majeur dans la vie du narrateur (Buscapé (Fusée) qui est aussi l'auteur), celui qui lui a permit de devenir photo reporter, n'est qu'un immense flash-back, (dé)structuré en trois épisodes qui sont autant d'inflexions-explications nécessaires à la compréhension. Nous faisons successivement connaissance avec trois générations de "hors-la-loi"**, le "Trio ternura (Trio tendresse)" emmené par Cabeleira (Tignasse) dans les années 60, la première partie de l'opposition entre Sandro Cenoura (Carotte) et Zé Pequeno (Petit Zé) (associé au sympathique Bené) pour la maîtrise des trafics en tous genres dans la cité des années 70 et, enfin, la lutte sans merci, véritable "guerre des gangs", des années 80 menés par les mêmes, le premier recevant le renfort de Mané Galinha qui a un compte à régler avec .
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Difficile (voire impossible) de résumer une "épopée" de trente ans, émaillée de multiples événements, le tout conduit à un rythme "d'enfer". Le film aurait pu être simpliste, exercice de style prétentieux. Il est tout le contraire. Il y a, bien sûr, de la violence mais aussi une tension et des sentiments aux détours complexes et, surtout, une dimension politique, sociale et humaine très intéressante et très singulière. Amitié, amour, haine, revanche et trahison sont au diapason dans une partition polyphonique très inspirée. Les références au cinéma sont nombreuses : du Scarface de Brian De Palma à Pulp Fiction de Quentin Tarantino (pour la violence sourde et le coup de feu intempestif notamment). Dans une certaine mesure, l'élève surpasse les maîtres auxquels on peut ajouter Martin Scorsese de Gangs of New York dont le thème générique est proche de celui du film de Meirelles. Le réalisateur brésilien se distingue sur le plan visuel avec une prise de vues très nerveuse, alternant les plans maîtrisés et les caméras portées volontairement brouillonnes. La photographie et les tonalités sont également travaillées avec un soin particulier. Les années 60 baignent dans des teintes naturelles, à dominante ocre, qui ne sont pas sans rappeler le western (les nouveaux habitants de la Cité ne sont-ils pas des pionniers ?), des couleurs plus froides caractérisent les années 70, puis évoluent vers des ambiances plus sophistiquées pour les années suivantes. La bande originale donne un rythme supplémentaire, accompagnant intelligemment les époques, succession de musique traditionnelle, de rythm 'n blues et de méchant groove.
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L'interprétation est au niveau des ambitions du film. Le casting, majoritairement constitué d'enfants ou d'adolescents, la plupart amateurs, donne un dynamisme étourdissant à une trame qui n'en manquait déjà pas. La variété ethnique du peuple brésilien, bien représentée, accentue encore le relief de Cidade de deus. On peut juste regretter la faible participation ou dimension féminine, mais le "film de gangster" ne les a jamais réellement valorisées (sauf peut-être par l'intermédiaire de la femme fatale du film-noir). Le machisme brésilien n'a fait qu'aggraver les choses !
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*en particulier, les victimes des inondations de 1966.
**la loi est, en fait, figurée par une police plus répressive que protectrice... lorsqu'elle n'est pas corrompue.

jeudi 27 novembre 2003

Le Cœur des hommes


"Il paraît que ça porte bonheur d'être cocu : je vais les mettre à genou."


Après avoir participé à la rédaction du scénario de L'Envol de Steve Suissa en 2000, l'ancien journaliste (Première et Studio magazine) Marc Esposito a réalisé son premier film de fiction sorti en avril dernier, un réel succès en salles (env. 1,5 millions de spectateurs), sensiblement équivalent au 18 ans après de Coline Serreau (produit également par Bac Films) ou au 7 ans de mariage de Didier Bourdon. Il semble donc que le cinéma français, pour rencontrer son public, doive explorer le sillon de la comédie, tantôt pure, tantôt romantique comme ici, mettant en scène des couples (y compris masculins : Chouchou, Tais-toi !) ou des groupes. Esposito reconnaît lui même apprécier et avoir songé aux comédies italiennes des années 70 ou au cinéma de Claude Sautet (Vincent, François, Paul... et les autres) ou d'Yves Robert (Un éléphant ça trompe énormément).
Histoire d'amitiés et d'amours, Le Cœur des hommes dresse le portrait de quatre quadra-quinquagénaires : Antoine (Bernard Campan), simple et sympathique, trompé par sa femme, Jeff (Gérard Darmon), truculent assagi patron d'un magazine de sport, divorcé et amant d'une jeune femme très attachée, Alex (Marc Lavoine), son associé, marié mais un peu excité de la braguette et Manu (Jean-Pierre Darroussin), charcutier-philosophe (de droite ?), divorcé, séparé et pourtant toujours prêt, malgré ses dires, à aimer. Ce sont les relations entre ces quatre personnages et, accessoirement, avec leur(s) compagne(s) que le film met en relief, stigmatisées par le départ d'Antoine de son foyer parce qu'il ne peut pas admettre l'égarement adultère de son épouse. Cette nouvelle situation, qui a probablement été précédée par nombre de péripéties semblables dans le passé commun de cette bande, ajoutée au décès du père de Manu, vont permettre aux protagonistes de repartir sur de nouvelles bases, les inciter à s'interroger sur ce qu'ils désirent vraiment. Au final, Le Cœur des hommes est un éloge de la sagesse et de la maturité.
La mise en scène d'Esposito est maîtrisée. Fondée essentiellement sur des plans fixes, c'est le montage et la direction d'acteurs qui donne de l'intérêt du film. Le réalisateur est parvenu à faire "vivre" son groupe d'acteurs de manière cohérente et attachante, probable clé du succès du film. La distribution ne souffre d'aucun déséquilibre. On apprécie de retrouver Campan dans un rôle sensible après son personnage de Philippe dans Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman l'année dernière. L'actif Darroussin est son brillant alter ego positif, sûr et réfléchi. La galerie de portraits féminin est réussie, avec une mention spéciale à Ludmila Mikaël et à Zoé Félix, seule véritable héroïne du film... peut-être le personnage préféré de son créateur ! Le recours régulier à la photographie de ciels ou de lieux qui assure les transitions est un gimmick un peu superflu, sorte de respiration dans une narration qui n'est pas très étouffante par sa densité. Peut-être n'est-il qu'une simple illustration du temps.