jeudi 21 juin 2007

Una Novia errante (la fiancée errante)


"Quelque chose sans importance, mais..."

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Dans la récente critique de Silvia Prieto, je citais Lucrecia Martel parmi les membres du nouveau cinéma argentin et omettais Ana Katz. Probablement parce que l'actrice dans un second rôle de Whisky, le très réussi second film du duo uruguayen Juan Pablo Rebella-Pablo Stoll, l'emporte encore sur la cinéaste. Una Novia errante constitue pourtant sa septième réalisation, second long métrage après la comédie El Juego de la silla récompensée par un "Prix découverte de la critique française" au festival Cinémas d'Amérique latine de Toulouse en 2003. Présenté dans la section cannoise "Un Certain regard" en mai dernier, ce nouveau film reste un vagabondage sans moment fort ni réelle aspérité.
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Un couple se déchire pendant un voyage de nuit dans un autocar. Inès interroge et blâme Miguel Mori, son compagnon épuisé par le trajet et par les jérémiades de la jeune femme. A destination, Miguel choisit d'abandonner Inès en restant dans le véhicule qui poursuit sa route. Celle-ci se rend donc seule à l'hôtel de Mar de las Pampas où le couple avait prévu de passer quatre jours de vacances. Après quelques vains déambulations et appels téléphoniques à Miguel, Inès accepte d'accompagner la réceptionniste à une soirée. Elle y retrouve Pablo, également employé de l'hôtel, et Germán, le replet archer croisé dans la forêt le jour de son arrivée dans la station balnéaire.
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La particularité de Una Novia errante est paradoxalement de ne pas en avoir. Le film ne ressemble à aucune œuvre cinématographique antérieure. Cette tranche de vie assez réaliste, marquée par une rupture et le désarroi sentimental consécutif, ne parvient pas vraiment à susciter de l'empathie, voire même un sensible intérêt, chez le spectateur. L'histoire et ses personnages à peine esquissés ne nous apprennent rien non plus sur la difficulté du bonheur et de la relation amoureuse. Une manière, en quelque sorte, de nous inviter à revisiter nos classiques, ceux de Bergman, d'Allen, dans une fibre davantage fantasmatique de Wenders ou encore de Chabrol.

mercredi 20 juin 2007

El Laberinto del fauno (le labyrinthe de pan)


"Et ainsi, chaque soir, la rose se fanait sans jamais faire profiter quiconque de son pouvoir, oubliée et perdue en haut de cette montagne de pierres froides, seule jusqu'à la fin des temps."

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Difficile de ne pas voir en Guillermo del Toro l'un des cinéastes les plus intéressants de la décennie écoulée. Avant tout parce que chacun des six longs métrages du réalisateur mexicain, quelles que soient leurs forces et faiblesses, a apporté une contribution personnelle et significative au cinéma de genre. Celle d'El Laberinto del fauno est incontestablement la plus marquante, le film étant aussi, à ce jour, le plus abouti de sa carrière. En compétition pour la "Palme d'or" 2006, il a remporté trois "Oscars" techniques au cours de la dernière édition des "Academy Awards".
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«Espagne 1944. La guerre civile est terminée. Cachés dans les montagnes, des groupes armés continuent de combattre le nouveau régime fasciste qui cherche à les étouffer.» Ofelia et sa mère Carmen arrivent dans la grande demeure campagnarde, adossée à un moulin, où réside le capitaine Vidal, le nouveau mari de Carmen dont elle attend un enfant, avec sa garnison de l'armée franquiste. Dans le bois derrière la bâtisse, la jeune fille, passionnée par la lecture, découvre presque aussitôt un labyrinthe en suivant un étrange insecte qu'elle prend pour une fée. Elle se confie volontiers à Mercedes, qui fait office de gouvernante auprès du capitaine.
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Au cours de la première nuit, pendant que le capitaine Vidal exécute sommairement deux chasseurs pris pour des résistants républicains, le mystérieux arthropode pénètre dans la chambre d'Ofelia et de sa mère. Son extraordinaire capacité à se métamorphoser convainc celle-là de le suivre à nouveau vers le labyrinthe. Au bas d'un escalier s'enfonçant profondément dans le sol où se dresse une insolite statue, elle rencontre un faune qui voit en elle Moana, la fille de Bezmorra le roi du monde des abîmes, égarée parmi les humains depuis des temps immémoriaux. Pour s'assurer des vertus et de l'immortalité de la princesse, le fabuleux personnage lui propose de la soumettre à trois épreuves avant la formation de la pleine lune.
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Sous les apparences illusoires d'un conte de fées destiné aux adultes, El Laberinto del fauno est une œuvre sombre, paradoxalement désenchantée, parfois violente mais superbe. En arrière-plan de cette antithèse au célèbre "Alice's Adventures in Wonderland" de Lewis Carroll s'esquisse l'influence des légendes antiques et de la mythologie lovecraftienne dont Guillermo del Toro a dû être l'auditeur et le lecteur. Le franquisme sert encore une fois, après El Espinazo del diablo, de toile de fond à cette fantastique et douloureuse fuite dans l'imaginaire et de sacrifice de l'innocence. La figure du père, tour à tour perdu, redoutable ("caudillo") et rêvé, apparaît au centre de ce récit où s'affrontent symboliquement christianisme et paganisme. Une filiation avec l'excellent El Espiritu de la colmena de Victor Erice peut d'ailleurs être soulevée et argumentée.
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Conteur talentueux, Guillermo del Toro est aussi un remarquable metteur en scène. Dans El Laberinto del fauno, fantasmagorie et réalisme, beauté et laideur, douceur et brutalité alternent avec pertinence autour des deux niveaux de narration synchroniques. Il faut enfin souligner la qualité des interprètes de cette tragédie polymorphe, en particulier les prestations de la jeune Ivana Baquero, de son aînée Maribel Verdú (aperçue dans Y tu mamá también d'Alfonso Cuarón qui coproduit le film) et de l'étonnant Sergi 'Harry' López.

dimanche 10 juin 2007

Trahir


"... Mais aujourd'hui, tu cries, tu n'écris plus."

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Treize ans avant le succès de Das Leben der Anderen, quatorze avant la "Palme d'or" de son compatriote Cristian Mungiu, Radu Mihaileanu décrivait déjà, avec intelligence mais dans une certaine indifférence, l'enfermement et la surveillance auxquels étaient condamnés les "sujets" des régimes de l'Europe de l'Est. Son premier long métrage, Trahir, qui relate le singulier parcours d'un artiste roumain des geôles de la dictature communiste au désespoir de l'exil, mérite pourtant d'être (re)découvert. Le film a obtenu plusieurs prix parmi lesquels le "Grand prix des Amériques", succédant en 1993 à El Lado oscuro del corazón au palmarès du festival de Montréal.
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En découvrant avoir passé onze ans dans un cachot pour un article hostile à Staline publié en 1948, le poète roumain George Vlaicu tente de se suicider. Un nouvel inspecteur politique lui offre alors de meilleures conditions de détention puis la liberté en échange d'informations régulières sur ses anciens amis. D'abord révolté par cette proposition, Vlaicu se laisse convaincre par la perspective de pouvoir à nouveau écrire et publier ses œuvres. Une fois relâché, il se remet aussitôt au travail et rencontre ses ex-camarades et collègues ; cette reprise de contact s'avère plutôt décevante. Il tente également de retrouver sa secrétaire et probable amante, Laura Cocea. Un jour, le poète découvre un cirque tzigane et l'une de ses artistes, la naine Lucia dont il devient l'ami.
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Cette biographie fictionnelle s'inspire probablement en partie de celle, bien réelle celle-là, de Ion Caraion. L'auteur de "Seul au monde" clamait très tôt qu'"en détruisant la réaction au Mal (le fascisme), les puissances occidentales avaient laissé intacte la cause du Mal (le communisme)". Trahir s'ouvre d'ailleurs sur des images d'archives de la Seconde Guerre mondiale et de l'instauration du stalinisme. Sur le plan historique, le scénario se situe sur la période allant de la présidence de Gheorghe Gheorghiu-Dej à l'arrivée au pouvoir de son successeur, Nicolae Ceaucescu. Sur fond de drame national ("cesse une minute de te prendre pour l'histoire" lance à Vlaicu son ami et éditeur Vlad), c'est l'étrange trajectoire suivie et la tragédie vécue par son personnage central qui semble davantage intéresser Mihaileanu. Le réalisateur souligne adroitement la nécessité de création et de l'amour. Il laisse volontairement ouverte la question de la réalité d'une trahison individuelle mise au service d'une perverse et aliénante "raison" d'Etat. La belle prestation des acteurs, en particulier celle de Johan Leysen et de la (trop !) discrète Mireille Perrier, doit être soulignée ainsi que le travail de Laurent Dailland devenu depuis un des directeurs de la photographie français les plus appréciés.