"... Mais aujourd'hui, tu cries, tu n'écris plus."
Treize ans avant le succès de Das Leben der Anderen, quatorze avant la "Palme d'or" de son compatriote Cristian Mungiu, Radu Mihaileanu
décrivait déjà, avec intelligence mais dans une certaine indifférence,
l'enfermement et la surveillance auxquels étaient condamnés les "sujets"
des régimes de l'Europe de l'Est. Son premier long métrage, Trahir,
qui relate le singulier parcours d'un artiste roumain des geôles de la
dictature communiste au désespoir de l'exil, mérite pourtant d'être (re)découvert. Le film a obtenu plusieurs prix parmi lesquels le "Grand prix des Amériques", succédant en 1993 à El Lado oscuro del corazón au palmarès du festival de Montréal.
En découvrant avoir passé onze ans dans un cachot pour un article hostile à Staline publié en 1948, le poète roumain George Vlaicu
tente de se suicider. Un nouvel inspecteur politique lui offre alors de
meilleures conditions de détention puis la liberté en échange
d'informations régulières sur ses anciens amis. D'abord révolté par
cette proposition, Vlaicu se laisse convaincre par la
perspective de pouvoir à nouveau écrire et publier ses œuvres. Une fois
relâché, il se remet aussitôt au travail et rencontre ses ex-camarades
et collègues ; cette reprise de contact s'avère plutôt décevante. Il
tente également de retrouver sa secrétaire et probable amante, Laura Cocea. Un jour, le poète découvre un cirque tzigane et l'une de ses artistes, la naine Lucia dont il devient l'ami.
Cette biographie fictionnelle s'inspire probablement en partie de celle, bien réelle celle-là, de Ion Caraion. L'auteur de "Seul au monde" clamait très tôt qu'"en
détruisant la réaction au Mal (le fascisme), les puissances
occidentales avaient laissé intacte la cause du Mal (le communisme)". Trahir
s'ouvre d'ailleurs sur des images d'archives de la Seconde Guerre
mondiale et de l'instauration du stalinisme. Sur le plan historique, le
scénario se situe sur la période allant de la présidence de Gheorghe
Gheorghiu-Dej à l'arrivée au pouvoir de son successeur, Nicolae
Ceaucescu. Sur fond de drame national ("cesse une minute de te prendre pour l'histoire" lance à Vlaicu son ami et éditeur Vlad), c'est l'étrange trajectoire suivie et la tragédie vécue par son personnage central qui semble davantage intéresser Mihaileanu.
Le réalisateur souligne adroitement la nécessité de création et de
l'amour. Il laisse volontairement ouverte la question de la réalité
d'une trahison individuelle mise au service d'une perverse et aliénante
"raison" d'Etat. La belle prestation des acteurs, en particulier celle
de Johan Leysen et de la (trop !) discrète Mireille Perrier, doit être soulignée ainsi que le travail de Laurent Dailland devenu depuis un des directeurs de la photographie français les plus appréciés.
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