vendredi 25 janvier 2008

Interview


"Tu ne pouvais pas savoir."

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Sur une idée originale de son ami le comédien Hans Teeuwen, Theo van Gogh produit et réalise Interview, un exercice que le premier avoue d'ailleurs ne pas apprécier. Quoi de plus banal, direz-vous, qu'un entretien pour publication entre un artiste et un journaliste ? Ce drame psychologique, qui flirte à l'occasion avec la comédie, constitue pourtant un formidable révélateur des tensions intrinsèques qui existent parfois entre ces deux professions et, plus largement, dans toute relation humaine... quelqu'en soit l'enjeu. La principale force du scénario signé par Theodor Holman, avec lequel le cinéaste avait précédemment travaillé pour la télévision, est d'éviter de se laisser enfermer dans un cercle vicieux narratif. De posséder assez de ressources pour permettre au film de rebondir à plusieurs reprises sans recourir à des artifices.
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Pierre Peters quitte son ami Theo dans la clinique où il est interné. Le journaliste politique doit en effet, contre son gré, aller interviewer chez elle Katja Stuurman, la sexy starlette en vogue de la télévision et du cinéma néerlandais, en remplacement de son collègue Albert, le responsable défaillant de la rubrique "Art". La jeune femme arrive avec plus d'une heure de retard. Le contact n'est d'emblée pas franchement cordial. En outre, Peters, plus intéressé par la grave crise gouvernementale, n'a pas préparé l'entretien et ne connaît presque aucun des films de l'actrice. Tentés, après avoir échangé quelques venimeuses amabilités, de mettre rapidement fin à cet absurde rendez-vous, Katja et Peters acceptent d'essayer de repartir sur de meilleures bases.
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Le pitch sur lequel s'engage ce quasi huis-clos met en présence deux individus qui, n'ayant a priori aucune raison de se rencontrer, ne vont avoir de cesse que de s'affronter. Et, par conséquent, de se révéler. Les expérimentations auxquelles se livrent, à leur corps défendant, les deux protagonistes dans ce véritable petit laboratoire microcosmique ne manquent pas d'intérêt. Le jeu (pas seulement au sens de l'acteur !) et la réalité, les apparences, la dissimulation, le mensonge et la vérité s'opposent et se répondent tour à tour au cours de cet insolite face à face où s'instaure également un équivoque rapport de force tissé de séduction et de fausse relation père-fille. La solaire interprétation de la belle créolasienne Katja Schuurman fait un peu d'ombre à celle de son aîné Pierre Bokma dans un rôle évidemment moins valoris(é)ant. Si, dans Interview, le journalisme est un peu malmené, la morale est sauve puisqu'il y a pénitence et que... la femme et l'actrice l'emportent à la fin !

Interview


"Nom d'un chien ! Changez cette sonnerie."

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C'est en septembre 2003, au cours du Toronto Film Festival, que Theo van Gogh et Gijs van de Westelaken ont l'idée d'un remake anglophone d'lnterview. Les deux hommes font en effet, après la première du film, l'objet de plusieurs sollicitations de la part de producteurs nord-américains pour céder leurs droits d'adaptation. Mais le provocateur arrière-petit-neveu du célèbre peintre néerlandais nourrit alors un autre projet : devenir un réalisateur reconnu aux Etats-Unis en tournant à New York. Et la production d'une nouvelle version de son treizième long métrage semble réunir de sérieux atouts pour lui offrir cette opportunité. Son spectaculaire assassinat en novembre 2004 mettra un terme définitif à cette ambition et en suspens le projet en question. Réactivé dix-huit mois plus tard par van de Westelaken associé à Bruce Weiss, connu pour sa collaboration avec le cinéaste Hal Hartley, il devenait le premier volet d'une trilogie-hommage* à van Gogh confiée à des réalisateurs étroitement liés à New York. Présenté en première au Sundance Film Festival en janvier 2007, Interview était sélectionné à la 57e Berlinale dans la section "Panorama".
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Après avoir rendu visite à son frère Robert, le journaliste politique et reporter international au "Newsworld" Pierre Peders doit interviewer, contre son gré, Katya, la vedette adulée de la populaire série romantique "City Girls". Lorsque la jeune femme arrive avec plus d'une heure de retard, le contact est d'autant plus glacial que Peders ne cache pas son désintérêt pour cet entretien et sa totale méconnaissance de "l'œuvre" de l'actrice. Katya met très vite un terme à la rencontre et regagne son vaste loft situé à proximité. Mais le conducteur du taxi dans lequel est monté Peders se révèle être un fan de l'actrice. En interpelant celle-ci par la fenêtre de son véhicule et en lui réclamant avec empressement un sourire, il néglige de regarder devant lui et percute un camion de déménagement arrêté dans la rue. Katya s'inquiète de l'état de Peders, dont la tête a violemment heurté la vitre de séparation avec le chauffeur. Elle propose alors au blessé de le conduire chez elle pour lui prodiguer les premiers soins.
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L'adaptation de Steve Buscemi et David Schechter, malgré les quelques légères retouches apportées, demeure assez fidèle à l'original. Plus romantique, voire romanesque, et paradoxalement vraisemblable sur certains aspects, plus dynamique aussi, Interview apparaît cependant également un peu édulcoré, assurément moins audacieux et sombre (est-ce une surprise ?) que le film de Theo van Gogh. Entre indiscrétion et confession, vocation et réussite, cette recherche (dés)intéressée de points communs, de "cicatrices" rend pourtant bien la vision pessimiste des relations humaines qui prévalait dans lnterview. Tourné comme ce dernier avec trois caméras et des collaborateurs de van Gogh (le directeur de la photographie, les cadreurs et la scripte), le film de et avec l'éclectique Buscemi est l'occasion de redécouvrir l'ex-élève de la Lee Strasberg Institute de New York, Sienna Miller, surtout connue jusque là pour sa prestation dans Alfie. Celle qu'elle livre ici est en effet assez inattendue et plus que réjouissante.
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*composée également de Blind Date et de 1-900.

lundi 21 janvier 2008

The Abandoned (abandonnée)


"Nous nous hantons nous-mêmes."

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Difficile de situer avec précision Nacho Cerdà parmi la génération de réalisateurs ibériques (presque tous Catalans !) nés dans les années 1970 et attirés par le cinéma de genre, horrifique en particulier. Un exercice d'autant plus difficile que son premier long métrage se démarque assez sensiblement de ses courts, Aftermath et Genesis, réalisés près de dix ans auparavant. Co-production européenne(1) apparemment formatée pour le marché anglo-saxon(2), The Abandoned, si elle déchaîne les fantômes, ne réussit pas vraiment à hanter les esprits. Sélectionné l'année dernière en compétition au festival Fantastic'Arts, le film n'a en revanche pas été adopté par le public lors de sa sortie dans les salles françaises(2).
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1966, quelques part en Russie. Un camion-benne circule à vive allure sur une route de terre pour finalement s'arrêter devant la maison d'une famille de fermiers, attablée pour le déjeuner. Lorsque le père, sorti armé de son fusil, ouvre la portière du véhicule, c'est pour constater le décès de la conductrice et la présence de deux nourrissons en pleurs à ses côtés. Quarante ans plus tard, la productrice de cinéma Marie M. Jones arrive à Moscou en provenance de Los Angeles où elle vit. Née en Russie, adoptée à la naissance, cette mère divorcée d'une adolescente qui va bientôt fêter son quarante-deuxième anniversaire est à la recherche de ses origines.
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Un notaire nommé Micharine, auquel elle rend visite après l'avoir sollicité des Etats-Unis, lui annonce le décès de sa mère, Olga Kaïdanowsky. Il lui fait également signer l'acte d'héritage de la ferme familiale située dans une région reculée du pays. Seul un certain Anatoli a accepté de faire avec elle la dernière partie du chemin jusqu'à cet endroit baptisé "L'Ile" et craint par la population locale. Marie et son chauffeur arrivent à destination à la nuit tombée. Parti en reconnaissance, Anatoli disparaît bientôt. Munie d'une lampe-torche, Marie doit alors aller seule à la découverte de la demeure où elle a vu le jour.
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"J'ai voulu donner au film un aspect quasi documentaire..." affirmait avec conviction Nacho Cerdà, interrogé à propos de The Abandoned. Le cinéaste espagnol aurait-il une conception bien singulière du réalisme ? Il semble plutôt qu'une certaine stylisation de la réalisation, reposant en particulier sur un important travail de post-production notamment sonore, soit la marque de ce premier long métrage atmosphérique. De ce point de vue, The Abandoned ne manque d'ailleurs pas de qualités. Cerdà sait installer des ambiances glauques mais pas toujours aussi "carnassières" qu'il voudrait le laisser paraître. Le vrai handicap du film, dont la contribution au genre apparaît somme toute assez modeste(3), reste son scénario, laborieux et un peu poussif, ainsi que la conséquence directe de cette insuffisance de contenu narratif, une prestation sans relief ni réelles nuances des acteurs.
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1. même si la Bulgarie n'a adhéré à l'Union que le 1er janvier 2007.
2. le tiers de ses recettes a été réalisé au cours de ses quatorze jours d'exploitation aux Etats-Unis. Sur la même durée, il a seulement attiré un peu plus de vingt-sept mille spectateurs hexagonaux.
3. comme celles du Darkness de Jaume Balagueró et de La Monja de Luis De La Madrid produits également par les Fernández, ou les productions de Jaume Collet-Serra, voire du chilien Alejandro Amenábar. Nous attendons pour cela El Orfanato de Juan Antonio Bayona avec impatience !