jeudi 31 mars 2016

Magical Girl (la niña de fuego)

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"Mujer que llora y padece 
te ofrezco la salvacion
Tu cariño ciego." (in "La Niña de fuego" interprété par le chanteur flamenco Manolo Caracol)

Etrange, volontiers énigmatique, le second long métrage de 1 nous surprend presque sans cesse. L'histoire de quatre destins qui se croisent, se percutent incidemment. Celui de la déroutante Bárbara, jeune écolière devenue l'épouse d'un aisé psychiatre ; celui de Damián, son vieil enseignant de mathématiques au collège. Ceux également d'Alicia, frêle adolescente atteinte d'une leucémie en phase avancée, et de son père Luis, professeur de littérature sans emploi depuis un semestre. Sensible, souvent troublant voire déstabilisant, le scénario original inventé par le cinéaste madrilène explore avec ingéniosité des thématiques fondamentales (amour, finitude, rêve, transgression sous contrainte, rédemption...) à partir de situations dramatiques tout à la fois communes et pleines de fantasmagories.
Produit par un trio Hernándézien2Magical Girl3 illustre à sa façon l'un des paradoxes intrinsèques du peuple et de la société espagnols : leur incessant balancement entre raison et émotion, entre lucidité et égarement. Plus que le récit lui-même ou sa mise en scène, ce sont les personnages centraux, vulnérabilisés et contradictoires, mais aussi les ellipses ménagées par  qui façonnent les principaux attraits de ce drame décalé, insolite. Intéressante interprétation de 4, plusieurs fois récompensée pour sa prestation, notamment par le "Goya" 2015 de la meilleure actrice, de , de  et de la jeune débutante . Présenté en première dans la section "Découverte" lors de la 39e édition du TIFFMagical Girl a succédé à Pelo malo au palmarès du "Concha de oro" du festival de San Sebastian5.
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1. né Carlos López del Rey,  est aussi auteur de bandes dessinées. Son premier long, Diamond Flash (2011), a été produit par financement participatif.
2. Amadeo Hernández BuenoPedro Hernández Santos et Alvaro Portanet Hernández déjà associés pour le second long métrage d' Aquí y allá (2012).
3. terme générique désignant des jeunes filles dotées de pouvoirs dans des séries d'animation japonaises (sentai) diffusées à partir du début des années 1970. Dans le film, Alicia s'identifie au personnage de Yukiko.
4. titulaire du second rôle de Cristina dans La Piel que habito de Pedro Almodóvar (dithyrambique à propos de Magical Girl), remarquée récemment dans El Niño de Daniel Monzón.
5.  y a reçut le "Concha de Plata" du meilleur réalisateur.






vendredi 25 mars 2016

Villa Touma (la belle promise)


"Cinq mariages... sept enterrements... plus de dix goûters... et pas une ouverture !"

Second film (première fiction) produit par *, ce drame familial tente, sans y parvenir vraiment, de revisiter les thèmes de la tradition rigoriste et de la mésalliance sentimentale. Villa Touma nous relate l'histoire de Badia, accueillie par les trois sœurs de son père après avoir passé ses enfance et adolescence dans un orphelinat. Elle doit aussitôt se plier au rituel très réglé instauré par Juliette, l'aînée de ses tantes, et aux exigences vestimentaires et de tenue d'une famille chrétienne réputée respectable. Pour élever, au décès de ses parents, ses cadettes Violette et Antoinette, Juliette a du renoncer à ses fiançailles. Violette a été brièvement l'épouse d'un vieux veuf malade, Antoinette est quant à elle restée vieille fille. Après quelque mois, la chef de famille se met en quête d'un mari convenable pour Badia.
Même s'il possède quelques fugitifs moments plaisants, ce film ne suscite jamais un intérêt significatif. Dans un contexte présumé singulier mais qui d'ailleurs n'influence qu'à la marge le récit, cette claustration sororale, figée dans le temps et le deuil, ne présente qu'une originalité toute relative. Parmi les rares éléments susceptibles de retenir l'attention, le quatuor d'actrices bien sûr composé de **, d', de l'Etasunienne ** et de . Et, dans une moindre mesure, la photographie de l'Israélien Yaron Scharf (collaborateur notamment de  et )Villa Touma a été présenté en première à la 71e Mostra puis sélectionné dans la section "Découverte" du TIFF 2014.

N.B. : contrairement à ce que laisse penser le film, la vague d'émigration de la population chrétienne de Ramallah vers les Etats-Unis a débuté au début du XXe siècle, pas en 1967.
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*co-scénariste de The Syrian Bride (2004) et d'Etz Limon (2008) d'.
**déjà associées et remarquées dans le drame de la seconde, Amreeka (2009).




The Newsroom

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"Quixotic?"

Après nous avoir notamment relaté par le menu le quotidien d'un président démocrate des Etats-Unis d'Amérique entouré de ses différents collaborateurs1,  a, en quelque sorte, l'idée de transposer sa recette scénaristique au monde des médias. Plus spécifiquement à celui d'une petite équipe chargée de la préparation du journal télévisé de vingt-heure présenté par le réputé Will McAvoy sur le réseau Atlantis Cable News (ACN). Produit et diffusé par HBO de juin 2012 à décembre 2014, The Newsroom constitue l'une des rares tentatives filmiques du genre2, le journalisme ayant en effet été jusque-là traité sous l'angle de l'investigation plus que sous celui de la mécanique rédactionnelle. Avec cette série, le producteur-scénariste new-yorkais3 développe volontiers, dès l'intrigante séquence introductrice, les thématiques corollaires du statut et de la remise en question.
"... So we can do better." La question initiale (les Etats-Unis sont-ils - toujours - le plus grand, i.e. meilleur, pays au monde ?) posée par ce drame en soulève évidemment de nombreuses autres. En particulier celle du rôle du journaliste et des moyens qu'il met en œuvre pour informer/attirer le public. La situation de départ du scénario est la suivante : le patron de la chaîne qui emploie McAvoy confie, soudainement et sans le consulter, l'encadrement de cette délicate mission à MacKenzie McHale, reporter ayant acquis sa notoriété en zone de conflits militaires, une femme avec laquelle le présentateur vedette a entretenu dans le passé une sérieuse mais décevante relation sentimentale. Plusieurs sous-intrigues, plus ou moins prenantes et durables, naissent à l'occasion de cette redéfinition conceptuelle et opérationnelle.
"We don't do good television, we do the news!" L'objectif visé par  était en soi assez simple : proposer un récit réaliste (l'actualité sert régulièrement d'argument au script ; l'explosion, le 20 avril 2010, de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon pour le premier épisode), romantique, conflictuel, parfois comique mais toujours optimiste. Restaurant, à sa manière, une profession considérée, parfois à juste raison, avec une raillerie. La qualité narrative, en premier lieu celle des dialogues suscite un intérêt quasi immédiat. On regrette toutefois que la dimension proprement socio-politique qui fonde The Newsroom ait ensuite tendance à s'émousser au profit d'éléments un peu plus anecdotiques. La série a néanmoins réussi à faire évoluer sa construction et les situations au cours des trois saisons de sa production. Le duo de tête, composé de Jeff Daniels4 (nommé aux Golden Globes puis récompensé aux Emmy Awards 2013) et de la Londonienne 5, en est assurément l'un de atouts. Les principaux acteurs de second rôle (, Jamal dans Slumdog Millionaire et l'expérimenté ) offrant des prestations dans l'ensemble plutôt solides.
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1. The West Wing (sept saisons de vingt-deux - ou vingt-trois - épisodes).
2. difficile de le comparer au drame Network (1976) de  à Broadcast News (1987) ou au diptyque comique Anchorman (2004/2013).
3. oscarisé en 2011 pour The Social Network.
4. qui avait d'ailleurs débuté sa carrière à la télévision (dans un épisode d'Hawaii Five-O), surtout connu pour avoir tenu le double personnage de Tom Baxter/Gil Shepherd aux côtés de  dans The Purple Rose of Cairo.
5. vue notamment dans trois épisodes de 30 RockMarisa Tomei a été pressentie pour interpréter MacKenzie.




Episodes

Saison 1
  1. On l'avait décidé (We Just Decided To)
  2. News Night 2.0 (Idem)
  3. Le 112e Congrès (The 112th Congress)
  4. Réparation (I'll Try to Fix You)
  5. Amen (Id.)
  6. Tyrans (Bullies)
  7. 1/5/2011 (5/1)
  8. Panne de courant, 1ère partie : tragédie porno (The Blackout Part I: Tragedy Porn)
  9. Panne de courant, 2nde partie : le faux débat (The Blackout Part II: Mock Debate)
  10. Le gros bouffon (The Greater Fool)

Saison 2
  1. La première chose à faire est de tuer tous les avocats (First Thing We Do, Let's Kill All the Lawyers)
  2. Le tuyau Génois (The Genoa Tip)
  3. Willie Pete (Id.)
  4. Conséquences fortuites (Unintended Consequences)
  5. News Night avec Will McAvoy (News Night With Will McAvoy)
  6. Un pas trop loin (One Step Too Many)
  7. Equipe rouge III (Red Team III)
  8. Soirée électorale, 1ère partie (Election Night, Part 1)
  9. Soirée électorale, 2nde partie (Election Night, Part 2)

Saison 3
  1. Boston (Id.)
  2. Fuis (Run)
  3. Palais de Justice (Main Justice)
  4. Outrage (Contempt)
  5. Oh Shenandoah (Id.)
  6. Quelle journée ! (What Kind of Day Has It Been)

lundi 14 mars 2016

Spectre (007 spectre)

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"You're a kite dancing in a hurricane, Mr Bond."

Est-il possible de tirer un enseignement des quatre dernières productions de cette franchise (i.e depuis le remplacement de  par Daniel Craig) ? Les volets pairs semblent, à l'évidence, moins bien inspirés. Casino Royale avait négocié ce (périlleux ?) virage de façon très convaincante avant que l'insipide Quantum of Solace ne vienne refroidir notre enthousiasme. Le crépusculaire, nostalgique et remarquable Skyfall, dirigé par le néophyte 1, démontrait avec brio que l'agent secret le plus connu au monde avait bien un lointain passé (enfantin, tu car douloureux) mais bien aussi un véritable quoique chaotique avenir. Vingt-quatrième opus des aventures de James Bond alias 007Spectre constitue une déception. D'autant plus profonde qu'il vient prolonger, de façon plutôt quelconque, l'un des plus réussis de la saga. L'histoire réputée originale (Ian Fleming n'endosse ici aucune responsabilité !) signée par John LoganNeal Purvis et Robert Wade2 manque singulièrement de relief et de saveur. James Bond tente de dévoiler puis de déjouer les projets élaborés par la tentaculaire organisation criminelle3 qui donne son titre au film. Laquelle cherche à utiliser les informations de sécurité de neuf pays centralisées par le MI5 à l'initiative pressante de son directeur C. Bond découvre assez vite qu'elle est dirigée par un individu dont il a été proche lorsqu'ils étaient adolescents, présumé tué à l'époque dans une avalanche.
Le caractère (prétendument4 selon moi) spectaculaire de la séquence d'ouverture n'essaie-t-il pas de camoufler les insuffisances, voire défaillances du scénario ? Les enjeux apparaissent en effet soit diffus, soit peu signifiants. Eparse, l'intensité dramatique n'atteint à aucun moment un véritable degré paroxysmique. Travers désormais courant, les éléments formels (évidente préoccupation majeure des promoteurs5 de ce genre de films) prennent, dans une large mesure, le pas sur la solidité narrative. Certains scènes, à l'exemple de la jolie mais bien vaine poursuite automobile nocturne dans les rues de Rome, répondent uniquement à cette exigence. Les près de deux heures trente du métrage passent, pour ces différentes raisons, moins vite qu'à l'accoutumée. L'incarnation du mal, réinventée6 pour être l'antagoniste en chef dans cet opus, ne possède pas non plus la terrible noirceur, l'inventive démence du précédent7. S'il s'est rapidement imposé, malgré les sottes réticences initiales, comme l'un des meilleurs interprètes de James Bond8 recourt toutefois ici à un registre moins étendu, moins nuancé qu'auparavant. Désormais habituée aux castings internationaux et aux productions anglo-saxonnes à gros budget (telles Mission: Impossible - Ghost Protocol) a en revanche l'occasion de montrer une belle assurance dans le principal rôle féminin.  doit elle se contenter d'une brève et presque décorative apparition.  et  reprennent sans surprise leur personnage aux côtés d'un  (remarqué dans la série Sherlock puis dans le biopic Prideplutôt inconsistant. La photographie du Suisse Hoyte Van Hoytema (Tinker Tailor Soldier SpyInterstellar) suscite chez moi une réelle perplexité. Mais le vrai danger encouru par la franchise serait de voir Christopher Nolan9 prendre les commandes, comme cela semble prévu tôt ou tard, d'un futur volet.

N.B. :
- avec un budget de 245M$ réévalué à 300-350M$ (soit plus du double de celui de Casino Royale), Spectre est, devant Quantum of Solace, le plus couteux film de la série. Ses recettes (200M$ aux Etats-unis, plus de 680M$ à l'international) ont été inférieures à celles de Skyfall (304M$/804M$).
- le compositeur et interprète de la chanson Sam Smith (gratifié de quatre "Grammy Awards" en 2015) et l'auteur James Napier ont obtenu un "Golden Globe" et un "Oscar". "Writing's On The Wall" est pourtant l'une des chansons de la série les moins mémorables.
- un vingt-cinquième volet est entré en pré-production sans date de sortie. Le tournage pourrait débuter au printemps... avec ou sans  ?
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1. la précédente production de la série confiée à un Anglais () était The World Is Not Enough en 1999... année de sortie du premier des actuels sept films de MendesAmerican Beauty.
2. le premier (Gladiator, scénariste de The Aviator et adaptateur d'Hugo) a déjà co-écrit Skyfall. Son script a ensuite été retravaillé par le duo Purvis-Wade ("jamesbondistes" depuis The World Is Not Enough déjà cité). Jez Butterworth (Edge of Tomorrow) a participé à la rédaction du scénario.
3. active, dès l'inaugural Dr. No, tout au long de la première période (1962-1971) de la franchise.
4. Dans un entretien (avec le magazine "Empire") préalable au tournage du film, le producteur Michael G. Wilson déclarait que la séquence pré-générique (toujours explosive et phénoménale) "serait la plus grande qu'on ait jamais tournée dans la saga, peut-être la plus grande jamais faite... Ce que prépare Sam Mendes est incroyablement passionnant. Nous avons eu mille cinq cents figurants pour le Jour des morts, des costumes et du maquillage, et nous avons occupé le centre de Mexico pendant plusieurs jours. La seule scène qui pourrait égaler celle-ci serait celle du Carnaval de Rio dans Moonraker (1979), mais je pense que la nôtre sera encore plus démesurée".
5. en l'occurrence Barbara Broccoli et M.G. Wilson associés comme producteurs en titre depuis GoldenEye (1995). L'héritière californienne et le New-yorkais ont néanmoins participé ensemble pour la première fois à la production d'un James Bond à l'occasion de The Spy Who Loved Me (1977).
6. Franz Oberhauser alias Ernst Stavro Blofeld, personnage tenu avant le polyglotte Christoph Waltz (les Anglais Gary Oldman et Chiwetel Ejiofor ont été pressentis pour le rôle) notamment par Donald Pleasence (You Only Live Twice), Telly Savalas (On Her Majesty's Secret Service), Charles Gray (Diamonds Are Forever) ou encore... par Max von Sydow dans l'"apocryphe" Never Say Never Again.
7. le déroutant, inquiétant Silva, formidablement interprété par l'Espagnol .
8. également crédité comme co-producteur, une première dans sa carrière.
9. son récurrent collaborateur, l'Australien Lee Smith, a été chargé du montage du film.