dimanche 28 novembre 2010

Gonzo: The Life and Work of Dr. Hunter S. Thompson (gonzo)


"The American dream? Kill yourself and go to paradise!"

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De ce côté-ci de l'Atlantique, le terme "gonzo" évoque plus volontiers le personnage de cascadeur du Muppet Show, voire, pour les orientalistes, un studio d'animation japonais. Appliqué au journalisme, il a été utilisé la première fois en juin 1970 pour décrire un article d'Hunter S. Thompson, sorte d'immixtion du subjectif romanesque dans le récit observable d'un événement ou d'un phénomène de société. Le natif de Louisville (Kentucky) n'était d'ailleurs pas l'inventeur du style, précédé au cours du demi-siècle précédent par son compatriote, le critique et satiriste Henry Louis Mencken. La notoriété internationale de Thompson doit notamment beaucoup à deux films dans lesquels il a été successivement interprété par Bill Murray (Where the Buffalo Roam) et par Johnny Depp dans le délirant Fear and Loathing in Las Vegas placé sous la direction de Terry Gilliam.
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Présenté en première à Sundance en janvier 2008, Gonzo: The Life and Work of Dr. Hunter S. Thompson revient assez longuement, grâce aux témoignages de proches ou de partenaires (souvent les deux à la fois !) et à diverses archives, sur la vie et la carrière, aussi étroitement liées, de cet (trop ardent) amateur d'armes à feu. De son reportage en immersion parmi les Hell's Angels jusqu'à son suicide en 2005, en passant par sa candidature au poste de shérif d'Aspen (Colorado), par sa collaboration au magazine "Rolling Stone" et avec l'illustrateur britannique Ralph Steadman ou encore par son soutien au sénateur George McGovern aux primaires démocrates et aux élections présidentielles 1972 contre l'ennemi honni Richard Nixon.
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Ecrit, co-produit et réalisé par Alex Gibney dont les qualités de documentaristes ne sont plus à démontrer*, Gonzo tente, à travers ce complet et complexe portrait du Dr. Thomson alias Raoul Duke, de cerner la portée de la contribution "historique" de l'auteur-journaliste mais également son héritage. S'il est par exemple difficile d'accepter sans broncher le statut de visionnaire généreusement accordé à Thomson (une démarche plus volontiers assimilable à une forte capacité de réaction idiosyncratique), force est de reconnaître la persistance de son influence, en particulier auprès d'auteurs d'œuvres graphiques ("Transmetropolitan", "The Venture Bros."). Le film offre aussi un point de vue singulier, peut-être unique sur les prémices du déclin des Etats-Unis triomphants, encore confiants de la réalité des mythes du "Rêve américain" et de la "Nouvelle frontière".
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*promoteur et/ou réalisateur de The Blues, d'Enron: The Smartest Guys in the Room, de l'oscarisé Taxi to the Dark Side, de Mr. Untouchable...

mercredi 24 novembre 2010

Hierro


"Y si yo no te encuentro, voy a seguir te buscando, siempre."

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Présenté notamment à Sitges, Gérardmer puis sélectionné pour la 30e édition de Fantasporto, le premier long métrage du Madrilène Gabe Ibáñez (collaborateur d'Álex de la Iglesia) n'appartient pourtant pas, à proprement parler, au genre fantastique. Imaginée par Javier Gullón (El Rey de la montaña), associé pour l'occasion au producteur Jesús de la Vega, cette dramatique histoire de perte(s) en adopte néanmoins certains effets et ambiances. Ce dernier terme se révèle d'ailleurs fondamental pour au moins deux raisons : le choix de la plus méridienne (pas au sens de repos) des Iles Canaries pour décor d'Hierro ainsi que la saisissante prestation climatique Elena Anaya, déjà remarquée sur une autre île*, et pour laquelle le film semble s'apparenter à un véritable véhicule de distinction.
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Employée d'un zoo-aquarium, María Vara s'apprête à prendre de nécessaires vacances avec son jeune fils Diego. A bord du ferry qui les emmène vers une île, le garçon de cinq ans est autorisé à aller seul dans l'aire de jeu de l'embarcation. Sa mère, épuisée, s'endort, peu après réveillée en sursaut par le fracas mortel d'un oiseau contre la vitre à proximité de son siège. Pendant son bref sommeil, l'enfant a disparu de l'espace-passagers et reste introuvable à bord jusqu'à l'arrivée et le débarquement. Déclarée à l'officier de police local, sa disparition fait l'objet d'un avis public de recherche sans résultat. Six mois plus tard, María, qui développe depuis ce profond traumatisme une phobie pour l'eau l'empêchant de reprendre son travail habituel, est invitée à retourner sur l'île pour identifier le cadavre d'un enfant retrouvé. Accompagnée de sa collègue et amie Laura, récente mère d'un fils, María nie qu'il s'agisse de Diego. Un prélèvement génétique doit cependant être pratiqué, conditionné par l'autorisation d'un juge attendu le surlendemain.
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Tragiquement banal dans ses présupposés narratifs, Hierro sait pourtant se montrer original tant par son traitement que par ses atmosphères. Le second film de Gabe Ibáñez n'est certes pas exempt de faiblesses ou de maladresses, en particulier dans sa trop explicite phase de résolution. Mais l'impression créée se révèle vivace sur la durée du métrage même s'il fait pour cela souvent appel à quelques effets visuels ou sonores dont la pertinence reste parfois toute relative. Peu de comparaison possible avec l'urbain Keane, a fortiori avec l'aéronautique Flight Plan. Les éléments, surtout l'eau, et la psychologie tiennent ici un rôle éminent et, comme l'interprétation efficacement "éperdue" d'Elena Anaya, sont plutôt adroitement mis en valeur.
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*celle, très différente, où se déroule Lucía y el sexo.

lundi 15 novembre 2010

Jeannot l'intrépide


"A juste titre réputée, Insect-ville est une petite cité par tous les insectes cités comme un modèle de cité."

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La plupart des enfants qui, au début des années 1960, regardaient et appréciaient les aventures "hyménoptères" de Joë ne savaient sans doute pas que le jeune héros de cette série télévisée avait été étroitement dérivé d'une autre créature de Jean Image. Le natif de Budapest, arrivé en France en 1934, avait en effet réalisé dix ans auparavant (et deux avant La Bergère et le Ramoneur adapté par Paul Grimault) ce Jeannot l'intrépide, premier long métrage d'animation français (en Technicolor). La parenté entre les deux personnages se révèle, il est vrai, aussi évidente que le penchant sans équivoque du cinéaste pour les insectes. Librement inspiré dans ses prémisses de l'un des plus célèbres contes populaires transcrits par Charles Perrault, le film a obtenu le "Grand prix du film pour l'enfance" lors de la 16e Mostra de Venise.
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Dans la tente qui les abrite à la nuit tombée, Jeannot fait la lecture du "Petit Poucet" à ses six camarades. Pour punir l'affreux ogre, les jeunes garçons décident aussitôt de traverser la forêt à la recherche de son château où ils arrivent après avoir surmonté leur peur des animaux nocturnes et jeté de petits cailloux blancs. L'antichambre de la forteresse est munie de plusieurs pièges mécaniques et les compagnons de Jeannot choient dans une cellule. Après avoir libéré le repas de l'ogre, constitué de divers animaux miniatures, Jeannot est à son tour happé par la machine réductrice et placé dans une cage qu'une pie va bientôt subtiliser. Au matin, Jeannot découvre, à proximité de l'arbre où l'oiseau a nidifié, Insect-ville. Il sauve sa population de l'appétit d'un caméléon qu'il met en fuite mais, prisonnier d'une toile d'araignées, il est sauvé in extremis des arachnides par un essaim d'abeilles et emmené jusqu'à leur ruche.
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Sorti quelques mois après Cinderella des studios Disney, Jeannot l'intrépide n'en possède évidemment pas les qualités graphiques et n'apparaît pas aussi abouti sur le plan de la technique d'animation. Le film d'ailes et de dard (en lieu de cape et d'épée) de Jean Image joue sur d'autres registres. Si la narration étonne par la nette rupture intervenant dès la dix-huitième minute du métrage, l'originalité et l'enthousiasme imaginatifs, l'audace que l'on peut aussi qualifier d'exubérance créative impressionnent fortement. Nous sommes entraînés dans un univers de résolue fantaisie, tout à la fois sous ses acceptions de fiction, de bizarrerie et de caprice. Jeannot l'intrépide constitue sans hésitation, entre le soviétique Novyy Gulliver et l'émergence de la production japonaise, une des œuvres significatives du cinéma d'animation.