lundi 28 décembre 2009

Chikubi ni piasu o shita onna (la femme aux seins percés)


"- Chaque client apporte une ou deux bouteilles.
- Et nous les gardons des années."

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Satsuki, employée à la clinique Irokawa, voit arriver un matin une cliente désirant se faire poser un piercing à travers les mamelons. La jeune femme en question vit sous la domination d'un homme aisé qui, dans une intimité consentante, l'enchaîne et la retient captive dans une cage. L'individu nommé Gondo, expéditeur chaque jour d'un bouquet de roses rouges à l'infirmière, convie finalement celle-ci à passer une soirée ensemble. Dans son luxueux véhicule, il lui offre des chocolats à la liqueur dont il a mélangé le contenu avec un autre liquide. Sur la route, l'invitée ressent un urgent besoin d'uriner. Elle est bientôt rejointe dans les toilettes publiques où elle s'est rendue et brutalement violée par son amoureux présumé.
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Réalisé par Shôgorô Nishimura, l'un des plus prolifiques collaborateurs de la Nikkatsu et pionnier au sein du studio du Roman poruno(1), Chikubi ni piasu o shita onna investit la veine S&M inaugurée en 1974 après le recrutement de l'actrice Naomi Tani. Il sort d'ailleurs la même année que le Nawa to chibusa de Masaru Konuma (avec Nami Matsukawa qui tient ici l'un des rôles secondaires), appartenant lui ouvertement à la tendance kinbaku (bondage) du sous-genre. Si une "filiation" existe entre le scénario du film et les écrits du marquis de Sade, en particulier le premier et plus emblématiques d'entre eux(2), elle doit davantage être trouvée dans le caractère subversif du récit que dans sa "philosophie" anti-rousseauiste. Ce bref film, dont l'intrigue mêle cruauté, soumission(3) et aliénation, se situe plus sûrement dans le sillon d'Histoire d'O, adaptation du roman(4) paru en 1954 de Dominique Aury par Just Jaeckin. A l'exception de l'esthétique de certaines scènes, Chikubi ni piasu o shita onna ne peut pas être considéré comme l'un des "grands crus" de Nishimura.
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1. voir introduction à la critique de Jorô seme jigoku. Il est aussi l'initiateur de la série de films tirés des ouvrages d'Oniroku Dan.
2. "Justine ou les Malheurs de la vertu" à propos duquel son auteur écrivait en 1791 à son avocat : "On imprime actuellement un roman de moi, mais trop immoral pour être envoyé à un homme aussi pieux, aussi décent que vous. J'avais besoin d'argent, mon éditeur me le demandait bien poivré, et je lui ai fait capable d'empester le diable... Brûlez-le et ne le lisez point s'il tombe entre vos mains : je le renie."
3. à moins qu'il ne s'agisse, au choix, de dressage ou de domestication utilisant, au passage, l'urophilie.
4. rebaptisé par un journaliste "Attache-moi ou L'insoutenable liberté du corps"

Anshitsu (la chambre noire)


"Guérir de quoi ?"

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Au cours des années 1980, la production de Pinku eiga est prise en étau par deux nouvelles contraintes. D'abord, la récente concurrence exercée par la vulgarisation de la vidéo domestique. Dès 1982, la part de marché du segment "adulte" de cette dernière atteint déjà celle du film érotique diffusé en salles. Lui-même soumis, à partir de 1984, à un renforcement des restrictions censoriales. Avant de rendre définitivement les armes, les studios, pour enrayer la chute des profits de la branche, essaient d'autres pistes que celles explorées jusque-là. Anshitsu, sorti avant le resserrement du contrôle par l'Erin (Eiga Rinri Kanri Iinkai, organe de régulation du cinéma nippon), s'inscrit dans cette démarche. Adapté du roman de Junnosuke Yoshiyuki paru en 1969 et récompensé par le "Prix Tanizaki", ce long métrage de plus de deux heures affiche, au moins sur le principe, des ambitions plus rigoureuses et intellectuelles.
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Le romancier Shuichi Nakada se remémore, à l'occasion de la rédaction d'un nouvel ouvrage, un événement intervenu plus de dix ans auparavant. A cette époque apprenti-écrivain mais cantonné à du journalisme de bas étage, il avait un soir reçu la visite de son camarade Yamanoi, venu lui demander conseil. Connaissant sa lubricité, Nakada l'avait soupçonné d'être arrivé avant lui pour entreprendre sa jeune épouse Keiko. Enceinte un mois plus tard, celle-ci était enjointe par son mari d'avorter pour la troisième fois. Veuf à la suite du décès de Keiko dans un accident de la route mais artiste enfin reconnu, Nakada était devenu l'amant d'une professeur d'ikebana, Moriya, ignorant le secret amour que lui vouait sa jeune secrétaire Yumi. Il avait ensuite rencontré Natsue, une inconnue aperçue dans un supermarché en compagnie de son partenaire, laquelle s'était assez vite abandonnée à lui avec une ivresse incontrôlable. Puis, dans un bar où il s'était rendu avec l'ex-romancier Yamanoi devenu articlier sous le nom de Toru Tsunoki, Nakada avait fait la connaissance de Maki, une jeune lesbienne. Parmi les femmes qui peuplaient alors son existence, c'est cette dernière qu'il avait emmené aux funérailles de son confrère et ami Watanabe.
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"La banalité a vaincu la tragédie." Une formule, lancée un peu à l'emporte-pièce par le personnage central du film(1), qui énonce assez bien la dialectique essentiellement psychologique d'Anshitsu. Bouleversé par, et dans le même temps, libéré de l'objet de sa jalousie primitive, Nakada assume son statut de consommateur tardif mais exclusif d'un sexe sans bonheur. Ce qui frappe chez cet écrivain, dont l'expression des sentiments est censée constituer la matière première, c'est l'absence de toute réelle affectivité autre que corporelle. Ce faux prétendant préfère se réfugier en permanence dans un simulacre d'explication de ses actes, ses motivations profondes demeurant en permanence énigmatiques. Ce flou fantasmatique(2) donne au film une abstraction susceptible de lui nuire auprès d'une partie du public, surtout stimulé par la "charge" érotique du récit. De plus, la réalisation de Kiriro Urayama, qui n'est pas un spécialiste du genre(3), le démarque sensiblement du Roman poruno habituel. Un possible handicap pour les amateurs hardcore, une plaisante distinction pour les autres.
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1. sorte de double fictionnel de Junnosuke Yoshiyuki.
2. traumatique chez Maki, occasion pour Nakada de faire référence à Marnie.
3. et dont le premier film Kyupora no aru machi fut sélectionné à Cannes en 1962.

dimanche 27 décembre 2009

The Life of David Gale (la vie de david gale)


On peut toujours bouder son plaisir. L'un des intérêts du scénario du peu actif Charles Randolph consiste justement à permettre à certains d'entrevoir sa finalité (dès la confrontation télévisée avec le gouverneur du Texas Hardin). Ce qui ne nuit en rien à l'appréciation du développement, en quatre actes, du film.
Si Kate Winslet (après que son rôle ait été proposé à Nicole Kidman) et Laura Linney y sont effectivement convaincantes, c'est également le cas de Kevin Spacey aussi crédible dans les scènes "publiques" (son importunité, sa conviction de l'existence de vérités supérieures et son sacrifice le rapprochent en effet de Socrate*) que dans l'intimité douloureuse. L'acteur n'était pas le premier choix d'Alan Parker, lequel avait pensé pour le rôle-titre à Nicolas Cage (détenteur initial du projet) et à George Clooney.
Le film de Parker, certes moins fort que le Dead Man Walking de Tim Robbins au sujet connexe, n'a donc rien de décevant.
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*"Il vaut mieux subir l'injustice que de la commettre", "la première clé de la grandeur est d'être en réalité ce que nous semblons être", "le mal vient de ce que l'homme se trompe au sujet du bien."

vendredi 25 décembre 2009

A Farewell to Arms (l'adieu aux armes)


"- Poor Catherine, such a crazy marriage.
- At least, I'm in white."

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Première production cinématographique tirée d'une œuvre d'Ernest Hemingway, A Farewell to Arms est une libre adaptation du roman éponyme (et partiellement autobiographique) publié en 1929. Signé par le producteur Benjamin Glazer(1) et par Oliver H.P. Garrett (futur co-contributeur non crédité de Gone with the Wind), le scénario, s'il formate quelque peu l'esprit et le style de l'ouvrage originel selon les critères hollywoodiens de l'époque, reste encore aujourd'hui un modèle du mélodrame en temps de guerre. La grande comédienne Helen Hayes, tout juste récompensée d'un "Oscar" pour le rôle-titre de The Sin of Madelon Claudet, y tenait l'un des personnages les plus mémorables de sa clairsemée carrière au cinéma face, pour cette unique occasion, au chevronné Gary Cooper très apprécié d'Hemingway.
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Etasunien engagé comme ambulancier dans l'armée italienne pendant la Première Guerre mondiale, le lieutenant Frederic Henry rencontre un soir à Gorizia l'infirmière britannique Catherine Barkley convoitée par son ami et médecin militaire Rinaldi. Les deux jeunes gens s'étaient déjà croisés la veille lors du bombardement de la localité par l'aviation ennemie, Henry ivre la confondant avec la belle-de-nuit qu'il venait, dans sa fuite, de quitter. Après avoir refusé son premier baiser, Catherine devient le soir même son amante, sermonnée pour cela par son amie proche Helen Ferguson. Le lendemain, renvoyé sur le champ de bataille, Harry fait faire demi-tour à son véhicule pour rassurer Catherine sur la sincérité de ses sentiments à son égard. Après son départ, Rinaldi obtient de l'officier anglais le déplacement à Milan de Catherine. Harry est lui grièvement blessé à la jambe par un tir d'artillerie.
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L'écueil essentiel auquel n'a pas échappé le film de Frank Borzage est d'avoir négligé ou édulcoré la dimension symbolique du récit initial. En particulier celle qu'apportent, abstraitement, la blessure subie par Ernest Hemingway, transposée à son héros, l'exorcisme de la peur et le dégoût irréversible de la guerre. Un obstacle sur lequel a d'ailleurs aussi buté la version(2) produite par David O. Selznick, réalisée par Charles Vidor (et John Huston sur un script de Ben Hecht avec Rock Hudson et Jennifer Jones dans les rôles principaux). Cela (op)posé, A Farewell to Arms, en tant que métaphore romanesque de l'amour (impossible) en période de guerre, peut être considéré comme un film réussi au même titre que les plus tardifs A Time to Love and a Time to Die et The English Patient. Et s'il faut en distinguer un point fort, c'est sans nul doute la photographie de Charles Lang, honorée par un "Oscar"(3), qui doit être citée.
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1. le natif de Belfast avait reçu son premier "Oscar" en 1929 pour son adaptation de 7th Heaven également dirigé par l'ex-acteur Borzage, premier réalisateur avec Lewis Milestone à obtenir la fameuse statuette.
2. une adaptation télévisée en trois épisodes a été produite en 1966 par la BBC avec George Hamilton ainsi qu'un biopic In Love and War réalisé par Attenborough.
3. comme Franklin Hansen pour le son sur les quatre nominations obtenues.