mercredi 31 décembre 2003

Basic


"Murder is basic."


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Je suis un réel amateur du cinéma de John McTiernan, mais pas un inconditionnel. Outre son premier film (mais c'est un premier film), j'apprécie modérément, c'est une litote, Last Action Hero, The 13th Warrior et ne rends pas un culte (loin s'en faut !) à son Predator si bien considéré. Je ne suis même pas allé voir, ni n'ai vu en vidéo Rollerball (je ne voyais, de toutes façons, pas ce qu'un tel remake du film de Norman Jewison pouvait apporter, il semble que son insuccès l'ait confirmé). Bref, on pourrait légitimement me demander : "En tant qu'amateur de McTiernan, pourquoi n'êtes vous pas allé voir son dernier film à sa sortie en salles ?" C'est une bonne question (ça y est, je fais dans l'autocongratulation !!), je vous répondrais : "Parce que, justement après Rollerball, je redoutais le début d'une mauvaise passe (canal ?) pour mon Johnny, le créateur de son sosie rêvé, John McClane, et qu'en outre, je ne suis pas porté sur les ambiances militaires quand il ne s'agit pas d'évoquer un épisode historique." Je dois faire amende honorable : même si Basic n'est pas le meilleur McTiernan, c'est un bon film, que les choses soient claires dès le début (début ? C'est une façon de parler !).
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Claire, l'intrigue du onzième opus mctiernanien ne l'est, en revanche, pas. Ne vous fiez pas au titre, c'est une fausse piste, comme toutes celles que vont emprunter nos personnages. J'ajouterais juste au résumé de la fiche-film quelques menus détails, et ils ont leur importance dans un film comme celui-ci. D'abord l'action se passe le jour de la fête des morts, date importante du calendrier sud-américain. Ensuite, Tom Hardy (John Travolta), personnage apparemment grossier et désinvolte, est aussi un agent des stup. (D.E.A.), soupçonné de trafic d'influence, qui va se substituer à la jeune et belle capitaine Osborne (Connie Nielsen) dans l'enquête en question, tout en restant secondé par elle. Un type un peu louche mais bougrement efficace en matière d'interrogatoire*. Lorsqu'il était ranger, il a dû subir, lui aussi, les ordres sadiques et implacables du sergent West (Samuel L. Jackson) au point de lui en garder une rancune encore sensible. Enfin, on pressent, dès le début, que le colonel Styles (Timothy Daly) n'est pas aussi clean qu'il veut bien le faire croire. Plus on avance, et plus on se rend compte que, malgré les indices semés ici et là au cours du film, l'on ne sait rien et que nos amis à l'écran n'ont rien compris non plus... en apparence pour certains. Ne comptez pas sur moi pour vous raconter le dernier quart d'heure. Le film mérite, contrairement à l'avis de son réalisateur, au moins un second visionnage.
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Partant de ce scénario qui a germé dans l'esprit troublé de James Vanderbilt** (lequel ne s'était pas distingué réellement jusque là !), McTiernan joue avec les "différents degrés de vérité" qu'il recèle et construit méthodiquement son film sur le principe des témoignages qui s'appuient sur un flash-back. On pense, bien sûr, à tous les classiques qui fonctionnent sur ce régime, dont l'un des plus récents, Usual Suspects est devenu un modèle du genre (en même temps qu'un classique). Les multiples témoignages sur un meurtre qui se contredisent font également penser au procédé narratif de Rashômon*** d'Akira Kurosawa ou au plus récent Joint Security Area du coréen Chan-wook Park que nous avions apprécié sur le site. Le réalisateur réussit, tout à la fois, à maîtriser ces incessants rebondissements, à rendre lisible la ligne conductrice de la narration (ce qui n'a rien d'évident, notamment en raison du nombre de protagonistes) et (mais là, il est incomparable de talent... quand il le veut bien), à développer une direction d'acteurs remarquable parce que sobre et efficace. Il est moins sobre, en revanche, dans le traitement visuel du film. Les mouvements de caméra sont parfois un peu trop frénétiques à contre-emploi, cherchant des angles que l'on oserait pas au billard (justifiés par McTiernan dans son commentaire) et plongeant (c'est le cas de le dire vu la quantité d'eau qui tombe du ciel pendant toute la durée du film) les ambiances dans une électricité (atmosphérique) permanente et dans des teintes rouges (sang) et bleues (l'autre couleur du Panama) parfois un peu artificielles et incongrues.
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Travolta, dans un rôle qui rappelle celui qu'il tenait dans The General's Daughter, déploie une interprétation solide à défaut d'être inspirée, moins percutante que celle dans Swordfish, et en moins costumé ! Connie Nielsen ne joue pas les utilités décoratives, elle possède un personnage central (elle est, vis-à-vis du récit, dans la même position que le spectateur), fort et intéressant qu'elle assume joliment. Samuel L. Jackson, moins présent à l'écran, est, comme toujours, très bon. Belle prestation de Giovanni Ribisi (Saving Private Ryan et qui apparaît dans le récent Lost In Translation). A noter, pour l'anecdote, que l'on aperçoit, dans une scène, la sœur de John Travolta, Margaret, en infirmière.
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*"Tom Hardy can get your head faster than you can tie your shoes", en français : "il cuisine un mec à la vitesse d'un micro-ondes."
**son interview, en bonus, le confirme !
***lui-même précédé, sur un thème différent, par le fameux Citizen Kane de Welles. Assassinat, témoignages contradictoires et déluge sont les points communs entre les deux films. La comparaison s'arrête là : Rashômon est une magnifique fable philosophique et humaniste sur les valeurs de la vérité, Basic, qui s'intéresse aussi à cette multiplicité, n'est qu'un bon thriller d'investigation.

mardi 30 décembre 2003

Lost in Translation


"- Charlotte : Je ne sais simplement pas ce que je suis censée être.
- Bob : Vous le saurez un jour. Plus vous savez ce que vous êtes, et ce que vous voulez et moins vous permettez aux choses de vous déranger."

Formidable famille Coppola ! On se serait aisément satisfait du patriarche Francis Ford, déjà précédé par Carmine, le compositeur, entre autres, du Napoléon d'Abel Gance et de l'Apocalypse Now de son rejeton (mais non, pas de la Walkyrie !). Il faut aussi compter avec son fils Roman et, surtout, sa fille cadette Sofia. Après un court-métrage et un premier film réussi, The Virgin Suicides, présenté à Cannes il a déjà plus de quatre ans, elle récidive avec cette étonnante comédie douce-amère, Lost In Translation (dont elle a écrit le scénario) déjà primée un peu partout et retenue cinq fois dans la sélection des Golden Globes. Je ne doute pas que le film puisse en obtenir au moins un, et concourir, aux premières loges, pour les Academy Awards.
Drôle, ironique, pinçant et intelligent, dans cet ordre ou dans un autre, voici les qualificatifs qui viennent à l'esprit à la projection de ce film. Surtout intelligent, mais je n'ai pas dit intellectuel même s'il y a une réelle recherche psychologique et esthétique qui perce derrière cette histoire assez simple. Celle de cet acteur sur le retour, Bob Harris (Bill Murray), obligé de tourner des commercials pour une marque de Scotch au Japon, un pays qu'il ne connaît pas et dans lequel il se sent fragilisé. Il y rencontre Charlotte (Scarlett Johansson) une jeune diplômée de Yale accompagnant son mari photographe et totalement désoeuvrée. Ils vont passer ensemble l'essentiel de leur temps, très libre, au cours d'une petite semaine de villégiature au bout du monde. Que vont-ils s'apporter l'un à l'autre ? Qu'est-ce qu'une relation comme celle-là, incongrue et éphémère par principe, va-t-elle bien réussir à changer en eux ?
La réponse devant les écrans ! Ce qui frappe dans ce Lost In Translation finement nommé (translation signifiant à la fois traduction et déplacement, deux difficultés auxquelles sont confrontés nos protagonistes), c'est, tout d'abord, le choc des cultures. Dans un monde que l'on dit globalisé, nous restons, d'un continent à l'autre, d'un pays à l'autre, voire à l'intérieur d'une même nation, étrangers les uns aux autres, profondément différents. Au Japon, ce contraste est manifeste entre une tradition encore très vivace et un modernisme (à défaut de modernité) parfois un peu loufoque. Ensuite, c'est la vulnérabilité migratoire de nos deux prototypes états-uniens, pourtant habituellement si sûrs d'eux en apparence et dans le discours... quand ils sont chez eux. Enfin c'est le choc des générations qui pousse inévitablement à réfléchir sur sa vie et au sens qu'on lui a (ou que l'on va lui) donné(r). Une rencontre dans laquelle chacun est parfaitement ignorant de sa propre situation (lost) et complètement lucide sur celle de l'autre (comme, par exemple, lorsque Charlotte diagnostique un trouble de la cinquantaine chez Bob et lui demande s'il a déjà acheté une Porsche pour s'en assurer !). Il y a aussi cet échange intérieur-extérieur (le film est principalement tourné dans un hôtel, mais nous propose aussi des vues de Tokyo, la ville sans sommeil) qui symbolise le passage de l'agitation à la méditation et inversement, où l'on essaie de nier son environnement pour trouver, à la fois, le calme et le tumulte intérieur. Le mieux étant de le faire à deux !
A propos de ville qui ne dort jamais, on pense inévitablement à Las Vegas et au One From The Heart de Coppola père, si boudé par la critique à sa sortie mais que l'on commence à voir différemment. Peut-être que le film de Sofia y contribuera. Car il existe une filiation, au moins spirituelle, entre ces deux oeuvres assez ou très personnelles. Et pas seulement par la thématique et l'histoire. Tourné en moins d'un mois, en 35mm (malgré le conseil de papa d'utiliser la HDV) parce que l'argent, c'est "plus romantique", le film ne joue pas sur la débauche de moyens. C'est plutôt le pari inverse qui a été fait, et c'est un bon choix (et une divergence fondamentale par rapport au prédécesseur paternel sus-mentionné). La jeune Scarlett Johansson, vue dans Ghost World et The Man Who Wasn't There est craquante à souhait avec son petit air qui rappelle un peu ses aînées Patricia Arquette ou Nastassja Kinski(en moins gracieuse toutefois) et Bill Murray (que l'on ne présente plus) alterne sobriété et exubérance (son interprétation très particulière du "More Than This" de Roxy Music dans un karaoke vaut, à elle seule, le déplacement) dans un rôle qui a été écrit pour lui (la réalisatrice affirmant que s'il l'avait refusé, le film ne se serait, tout simplement, pas fait). Une excellente et lumineuse façon de commencer l'année 2004.