mardi 30 septembre 2003

House of Usher (la chute de la maison usher)


"Deux faibles gouttes de feu vacillant dans l'obscurité."

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Qu'il est difficile de mettre en images la poésie fantastique et morbide d'Edgar Allan Poe. Près de cent films ont puisé leur inspiration dans la littérature extraordinaire de l'auteur. Concernant la nouvelle "The Fall of the House of Usher", une première tentative avait été entreprise par Jean Epstein en 1928. D'autres s'y sont essayé avec des résultats le plus souvent désolant. Le producteur, réalisateur et acteur Roger Corman peut être considéré, avec son acteur préféré Vincent Price, comme un spécialiste du genre horrifique et de Poe en particulier. Sa version est plutôt convaincante.
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Il a pourtant pris quelques libertés avec l'œuvre. Il développe une histoire d'amour impossible entre Philip Winthrop et Madeline Usher alors que Poe met en présence le premier avec son ami d'enfance Roderick Usher pendant que la seconde n'est qu'une présence spectrale inquiétante rapidement mise en bière. Autre innovation, la malédiction familiale formalisée qui n'existe pas dans la nouvelle, laquelle demeure très symbolique, elliptique voire énigmatique.
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La mise en scène est, globalement, plutôt bonne. Le baroque de l'oeuvre est bien rendu, même si la facture hollywoodienne reste présente. Les "clefs" classiques du film d'horreur sont employées : ambiances de brouillard, de poussière et d'orage, crypte, squelettes et passage secret ; alternance de plans larges et de gros plans, panoramique et contre-plongée ; musique d'inspiration sérielle avec chœurs (relayée, curieusement, avec un thème stupidement romantique). Le dernier quart-d'heure est particulièrement réussi, avec une tension continue et efficace jusqu'au final incendiaire*, peu réaliste, qui n'existe pas non plus chez Poe.
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Quatre comédiens (si l'on ne tient pas compte des apparitions oniriques de la dernière partie du film), cela facilite le travail de direction d'acteurs et crée un sentiment d'isolement et d'enfermement propice à l'effroi. Faut-il le dire, Vincent Price est impérial dans le rôle de Roderick Usher (même si ma vision du personnage, à la lecture de la nouvelle, était sensiblement différente, plus fragile, beaucoup plus tourmenté. Mais les différences entre scénario et texte originel peuvent justifier cet emploi).
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Après avoir tourné dans des films plutôt médiocres, à l'exception de Between Heaven and Hell de Richard Fleischer, Mark Damon apporte une candeur toute romantique à son personnage de Philip Winthrop qui remplace le narrateur du livre, c'est à dire Poe lui-même. La ressemblance ne saute pas aux yeux, mais l'auteur s'était peut-être sublimé en un tel personnage (!). Myrna Fahey, actrice précocement disparue, joue, elle aussi hélas, sur un mode romantique sauf dans sa dernière apparition. Mais ne dévoilons pas la "chute" à ceux qui n'ont pas lu la nouvelle.
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*la scène de l'incendie de la maison Usher est constituée de deux tournages distincts, le premier réalisé en studio, le second (chute de toiture...) pendant l'incendie réel d'une maison annoncé à la radio et sur le lieu duquel le réalisateur a emmené son équipe.

Room Service (panique à l'hôtel)


"Jumping butterballs!"

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En contrat avec la M.G.M., après avoir signé une partie de leurs meilleurs films avec la Paramount, les Marx Brothers sont "prêtés" à la RKO pour le seul film qu'elle tournera avec eux : Room Service. Plus qu'un film DES Marx, il faut plutôt parler d'un film AVEC les Marx car on sent bien que, même si leur "folie comique destructrice" est toujours présente à l'écran, elle est passablement édulcorée par une mise en scène un peu conventionnelle.
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Tiré de la pièce éponyme de Broadway, Room Service est un quasi huis-clos. Presque toute l'action se passe dans la chambre d'hôtel du producteur de théâtre fauché Gordon Miller dont les seules préoccupations sont de ne pas s'en faire expulser et de trouver un commanditaire pour sa prochaine pièce. D'autant que, grâce à la complicité gênée de son beau-frère, le directeur de l'établissement, il loge également, à crédit, sa troupe de 22 comédiens. Les choses se gâtent lorsqu'un contrôleur vient mettre son nez dans les comptes et réclame le paiement des notes.
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William A. Seiter, plus connu pour ses films avec Shirley Temple, Fred Astaire ou Laurel et Hardy, laisse assez peu de place à l'inventivité des acteurs principaux. Nous avons droit, bien sûr, à quelques bons moments et jolies répliques, mais il n'y a pas, comme nous y sommes habitués avec les Marx, à cette avalanche délirante de rebondissements dans l'action et les dialogues qui caractérise leurs œuvres de 1930 à 1935, avec pour pièces maîtresses Duck Soup et A Night at the Opera. Dans ce contexte, les acteurs, même s'ils restent bons, ont du mal à trouver leur pleine dimension. Frank Albertson interprète le souffre douleur complice et Donald MacBride, dans un de ses premiers rôles, le méchant de la farce. Les actrices (Lucille Ball et Ann Miller), qui n'appartiennent pas à l'univers des Marx, sont, en revanche, très effacées.
En conclusion, Room Service mérite d'être vu, mais pour les novices des Marx Brothers, ce n'est pas le film par lequel il faut commencer la cure !

Gongdong gyeongbi guyeok JSA (joint security area)


"Si jamais une guerre éclate, nous aussi, on doit tirer l'un sur l'autre ?"

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Je l'avoue bien volontiers, je ne faisais pas partie des 10 868 spectateurs qui ont assisté aux projections de Boksuneun naui geot au cours de ses trois semaines d'exploitation de ce mois de septembre 2003. Je n'étais pas non plus à Cognac, en avril dernier, pour sa présentation dans le cadre du Festival du film policier. J'aurais, peut-être, vu différemment le précédent film du scénariste et réalisateur coréen Park Chan-wook, son premier, Gongdong gyeongbi guyeok JSA. On est, pourtant, d'emblée séduit par la fraîcheur que dégagent ces films "ethniques", issus de pays qui n'occupent pas les premières places parmi les producteurs et diffuseurs de cinéma internationaux.
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Librement adapté de l'ouvrage de Park Sang-yeon, "DMZ"*, Gongdong gyeongbi guyeok JSA est, au delà de l'intrigue militaro-politique, un film sur l'enfermement et sur l'absurde, celui d'une vision manichéenne du monde qui reste, plus que jamais, d'actualité. Point de départ, le double meurtre de soldats nord-coréens autour du "Pont de non-retour" de Panmunjom qui marque la frontière entre les deux Corée. Meurtres auxquels nous n'assisterons que dans la recréation narrative et contradictoire des différentes dépositions. Le film est, à partir de cet événement initial, structuré en trois parties.
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La première, sérieuse, et même dramatique, est celle de la mise en place de la commission neutre d'enquête qui permet une exposition provisoire des situations et des faits. Le metteur en scène a choisi, dans ce contexte, de remplacer le personnage de l'enquêteur masculin du N.N.S.C.** du roman par une femme, de surplus métisse puisque de père coréen et de mère suisse. L'objectif : multiplier les verrous de l'enfermement déjà évoqué ; ceux d'un pays divisé, d'une société fermée, d'une armée cloisonnée et d'une femme étrangère dans un milieu essentiellement masculin.
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La deuxième partie, en flash-back, contrastée, alternant gravité et légèreté, voire enfantillages, décrit la naissance (possible) d'une fraternité entre ennemis intimes. Les enjeux, à partir d'un sauvetage, restent vagues : recrutement, volonté de s'affranchir des limites, homosexualité... La troisième et dernière partie permet la résolution/révélation, de l'énigme et du personnage du Major Sophie E. Lang, grâce notamment à une mise en perspective historique qui est un des éléments les plus intéressants du film dans cet espace restreint qui se situe entre "cocos et anti-cocos".
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La mise en scène de Park Chan-wook est, bien que parfois maladroite, étonnante de maturité pour un premier film. Surtout si l'on a à l'esprit la difficulté de tourner en Corée, en particulier un film au sujet aussi sensible. L'une des références visibles (et avouées) du cinéaste est Alfred Hitchcock. Gongdong gyeongbi guyeok JSA est construit comme un thriller qui, comme chez le maître, sème les fausses pistes, utilise le principe des scènes paires qui se répètent avec un autre sens et manie l'humour (parfois salace) aux moments les plus inattendus. Sur le plan visuel, la réalisation technique est "globalement" maîtrisée. Précision des cadrages, variété des plans (avec, par exemple, des travellings circulaires ou mouvements de pivotement de la caméra qui n'ont rien de gratuits) et un sens de la géométrie qui donnent un réel intérêt graphique au film.
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L'interprétation est, dans la limite de ce que peut juger un esprit occidental qui connaît moins bien le cinéma coréen que le chinois ou le japonais, est équilibrée. Les cinq personnages principaux sont convaincants : la rationelle Lee Yeong-ae (major Sophie E. Lang), le trouble Lee Byung-hun (sergent Lee Soo-hyeok), le solide Song Kang-ho (sergent Oh Kyeong-pil) et les fragiles Kim Tae-woo et Shin Ha-kyun (respect. Nam Sung-shik et Jeong Woo-jin).
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*(Korea) DeMilitarized Zone
**Neutral Nations Supervisory Commission