jeudi 18 septembre 2003

24 (24 heures chrono)


"Events occur in real time."

Saison 1

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"Mon besoin de fiction s'alimente à ce qui en est, de loin, la source la plus accomplie : les formidables séries américaines .... Là, il y a un savoir, un sens du récit, du raccourci, de l'ellipse, une science du cadrage et du montage, une dramaturgie et un jeu des acteurs qui n'ont d'équivalent nulle part, et surtout pas à Hollywood."* Cette déclaration du cinéaste Chris Marker s'applique idéalement à 24. Et c'est, en effet, davantage le traitement et les ambiances qui font l'intérêt de cette série que l'histoire elle-même.
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Eté 2000. Un homme dans sa douche du matin remarque qu'il y a autant d'heures dans une journée que d'épisode dans une saison de série télévisée. Cet homme, c'est Joël Surnow, l'un des deux créateurs de 24. Il se précipite pour parler de sa découverte, tel un Newton après sa brève rencontre avec une pomme, à son vieux compère scénariste Bob Cochran. Celui-ci le bat froid : "C'est sympathique, Joël, ton concept**... Mais de quoi parle la série ?" "Je n'en ai aucune idée" répond Surnow. "Alors, laisse tomber !". Fort heureusement, ils n'ont pas laissé tomber. L'histoire initiale a été rapidement trouvée : il s'agit d'un canevas classique au cinéma, celui d'un candidat afro-américain à l'élection primaire à la présidence des Etats-Unis menacé d'assassinat et placé sous la protection investigatrice de Jack Bauer, un agent fédéral responsable de la C.T.U., une cellule anti-terroriste. Mais les créateurs de la série ont donné naissance à une machine folle. D'abord parce que cela suppose des nuits sans sommeil pour leur héros, mais aussi parce la tension dramatique doit être assez forte pour les justifier et pour captiver le téléspectateur. Le script est écrit au fur et à mesure de l'avancement du tournage et du montage par une équipe de cinq scénaristes, avec une avance d'environ cinq ou six épisodes. C'est donc dans l'urgence que se crée la série, avec parfois des surprises : la tentative d'assassinat devait intervenir autour du vingtième épisode. Mais le contenu narratif s'est prématurément consumé et elle a dû avoir lieu au cours de la septième heure.
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La réalisation de la première saison a été principalement confiée à Stephen Hopkins. Le format : un budget de 2,2M$ pour deux épisodes (durée équivalente d'un long-métrage) pour quinze jours de tournage. A titre de comparaison, The West Wing est doté d'un financement trois fois supérieur. L'atmosphère est inquiète et rude, mêlant les peurs intimes et collectives avec ses intrigues parallèles mais imbriquées (fugue-disparition de la fille du héros, révélation de la presse de certains événements de la vie privée du candidat...) grâce à l'usage intensif du split-screen (on soulignera, bien sûr, à ce titre, l'importance capitale des communications téléphoniques, notamment cellulaires, la série aurait été impossible il y a encore 10 ans). La tension (et la fidélisation de l'audience) est assurée grâce au principe du feuilleton inachevé (ce qui aurait pu être un handicap dans un contexte concurrentiel qui favorisait les épisodes indépendants ; et oblige à un résumé d'une minute trente environ en début de chaque heure, 1/40 de temps, c'est beaucoup !). C'est la menace, l'ennemi intérieurs qui sont stigmatisés. Le rythme est rapide, voire heurté avec ses incessantes ruptures. Le parti pris est celui de la réalité. La caméra portée (pour répondre à cet objectif... et pour des raisons de coût !) n'est jamais en avance sur le personnage filmé ; elle est même parfois prise de court par un changement de direction inattendu, ce qui se traduit par des mouvements volontairement un peu brouillons. Les plans en plongée pris d'hélicoptère rappellent ceux, courants, de l'actualité télévisée, ce qui renforce encore ce réalisme et le sentiment d'être témoin d'une action en direct. Les gros plans sont nombreux, avec une utilisation intelligente de la profondeur de champs, pour tenter de mieux capter les sentiments propres et réciproques des personnages. Pas de flash-back artificiel, (presque) pas de raccourci***, juste la pression objective du temps qui conditionne la densité dramatique des scènes.
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Kiefer Sutherland est l'homme de la situation ; énergique, efficace (notamment pour se sortir de situations délicates), un électron libre dans un milieu hiérarchisé et protocolaire. Mais, par certains côtés, fragile, anxieux, presque paranoïaque, il donne à son personnage de Jack Bauer une rage et une intensité très convaincantes qui contribuent, pour une bonne part, au succès de la série. Son investissement dans le rôle est tel, dit-on, qu'il s'emporte parfois sur le plateau plus que ne le lui demande le script. Toute la distribution est d'un très bon niveau, sans élément faible.
Pour conclure, 24 est probablement la série la plus intéressante du P.A.I. (paysage audiovisuel international) produite depuis longtemps.
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*dans Libération du 16 avril 2003
**ce concept n'est pas invention, il a déjà été utilisé et mis en scène dans The Set_Up par exemple.
***à noter que la durée effective d'un épisode n'est que d'un peu plus de 40', l'heure n'est atteinte qu'avec les interruptions publicitaires.

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