jeudi 4 septembre 2003

Kiss Me Deadly (en quatrième vitesse)


"What I don't know can't hurt me (l'ignorance ne peut pas faire de mal)".

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Le film-noir est un genre particulier, qui répond à des critères spécifiques : adaptation ou inspiration, la plupart du temps, d'un roman, atmosphères inquiétantes, rues nocturnes et désertes, personnages sombres, intrigues complexes, femmes fatales, majorité de scènes où n'apparaissent que deux acteurs... Certains ont voulu voir en Scarface de Hawks le premier film du genre. Je penche plus volontiers pour une version qui veut que le film-noir soit né au début des années 40, avec un The Shanghai Gesture de von Sternberg comme éclaireur et The Maltese Falcon de Huston comme révélateur, tous les deux en 1941. Un renouvellement s'opère en 1944, avec l'inoubliable Double Indemnity de Wilder, puis en 1946, avec The Big Sleep de Hawks (il tient là sa revanche !). Dans les années 50, c'est Sunset Boulevard (Wilder) qui marque les esprits, suivi par The Big Heat de Lang qui innove par sa violence, l'un des thèmes favoris du réalisateur. En 1955 enfin (provisoirement), The Big Combo de Joseph H. Lewis sort sur les écrans quelques mois avant Kiss Me Deadly.
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Etrangement, l'histoire du film n'est pas fondamentale, c'est le traitement qui en est fait qui mérite notre attention et nous y reviendrons longuement. Le film s'ouvre, avant le générique*, par une scène d'action insensée (c'est le cas de le dire !) qui va mettre en relation le vecteur causal de l'intrigue et son personnage principal. Tout le reste, fait de multiples rencontres, ne doit servir qu'à valider les raisons et les conséquences de ces prémices à partir d'indices disparates et, a priori, incompréhensibles.
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La révolution Aldrich dans le film-noir est l'égale de celle qu'il a opérée dans le western, l'année précédente, avec Vera Cruz puis, dans le film de guerre, en 1956 avec Attack. En quoi consiste-t-elle ? Maltraitant le personnage du romancier Mickey Spillane, il fait basculer son (anti-)héros dans ce monde "d'obscurité et de corruption" (pour reprendre les termes du poème de Rossetti cité dans le film). Il n'y a désormais plus de différence entre l'univers sordide, crapuleux dans lequel il mène son enquête et ses propres valeurs. Le metteur en scène ouvre ainsi une voie dans laquelle se précipiteront d'innombrables confrères. Plus étonnant encore, il se permet un mélange subtil en donnant à la fin de son film une coloration fantastique, apocalyptique, déjà très présente dans les préoccupations des américains de ces années là.
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Il faut évoquer également le style Aldrich à propos de ce film. Sa vision du cinéma n'était pas plane mais en trois dimensions. Pour y parvenir, il compose ses prises de vues en architecte, réussissant à dégager une impression de relief saisissant. Ses plongées/contre-plongées sont étourdissantes (notamment celles dans des escaliers ; il est de ce point vue, une sorte de petit-frère d'Hitchcock) ou la sensation de profondeur qui se dégage lorsqu'il interpose volontairement des objets devant ses acteurs. L'importance accordée aux bruits ou conversations ambiants est également essentielle, le plaisir qu'il prend à ne pas nous montrer les scènes vues par les protagonistes du film est indéniable. Enfin, soulignons la qualité littéraire et évocatrice des dialogues et la richesse de la bande-son.
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Qui est Ralph Meeker ? En dehors d'un Jeopardy de Sturges ou de The Naked Spur d'Anthony Mann, c'est un quasi inconnu au moment du tournage (il l'est, depuis, resté dans la mémoire de la plupart des cinéphiles, sauf pour les amateurs de Kubrick). Homme de théâtre aussi, il remplaça notamment Brando dans "A Streetcar Named Desire à Broadway. Il campe ici à merveille le Mike Hammer souhaité par Aldrich, c'est à dire violent, élégant mais grossier, séducteur mais antipathique (un vrai rôle de composition !) et, finalement, efficace. Autour de lui, plus que d'acteurs, et c'est également une volonté du réalisateur, il faut parler de silhouettes, d'ombres (ou de pieds !), presque toutes interprétées par des amis. A signaler, l'étonnante ressemblance physique entre les actrices qui jouent Christina Bailey et Lily Carver/Gabrielle qui crée un certain trouble et, momentanément, une certaine confusion. Mention spéciale à Nick "va va voum" Dennis en garagiste grec haut en couleurs (un comble dans un film en n&b). N.B.- le film est dans sa version complète, c.a.d. avec les derniers plans sur la plage.
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*il présente la particularité d'avoir un défilement à contresens, pour symboliser le déplacement du véhicule et, peut-être aussi, un mouvement de chute, de décadence.

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