dimanche 30 avril 2006

Oechul (april snow)


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Y aura t-il de la neige en avril ? La question fait sens dans ce film coréen où l'amour décide du climat et du changement des saisons.
Un jour, un homme accourt au chevet de sa femme tombée dans le coma à la suite d'un accident de voiture. Au même moment, au même endroit, une femme rend visite à son mari dans le coma lui aussi. Bientôt les conjoints esseulés comprennent qu'ils n'auraient jamais dû se rencontrer, et qu'un amour peut en cacher un autre ! Face au silence de leurs époux infidèles, ils vont se lier l'un à l'autre, puis, en toute innocence déçue, devenir amants à leur tour.
April Snow est un drame psychologique au mélo épuré, racontant une histoire de chagrin et d'amour au carré.
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Le film a un lien de parenté avec Les Choses de la vie de Claude Sautet ; il évoque l'impossibilité du choix amoureux, son échappatoire à travers l'accident de voiture et l'aveu d'un amour impossible. Comme dans le film de Sautet, April Snow met à l'honneur ceux qui restent, pleurent, souffrent, et luttent contre le chagrin, l'amertume qui le teinte. Mais le film n'a pas recours au flashback. L'action se déroule ici et maintenant, seul importe le moment présent, puisque c'est tout ce qui reste. Tout (re)commence de là, et c'est là qu'il faut composer. Composer, c'est ce que font les époux blessés : ils font avec, et par des petits gestes s'extraient de leur souffrance et s'attachent l'un à l'autre. A l'instar du cinéaste qui filme par petites touches et micro-événements l'amour qui renaît de ses cendres.
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April Snow est aussi un hommage à la continuité de l'amour, l'amour assumé. Il rejoint le propos de Love Streams de John Cassavetes. Mais le jeu d'acteur diffère. Il est tout en retenue, et suit le mouvement de la souffrance rentrée qui s'exprime difficilement et se transforme. Le texte est spartiate mais percutant, pas dans le flux. Prenons la scène où la femme infidèle est sortie de son coma ; elle retrouve enfin l'usage de la parole. Son mari, le personnage principal, est à ses côtés dans la chambre d'hôpital. Sa femme demande : "Tu dois avoir pleins de questions à me poser... ?" Silence, le mari répond : "Au début oui, mais plus maintenant." Après un moment, il lui assène : "Ton amant (qu'il appelle de son prénom) est mort." Suspension du bruit et du temps, stupeur filmée en plan large de sa femme. Dans le plan suivant le mari sort de sa chambre et referme la porte sur ses sanglots. Il se dirige vers la fenêtre du bout du couloir, au bord de laquelle il se poste, pensif et ailleurs. La scène suivante nous le montre assis dans son appartement parmi des cartons de déménagement. La narration de ce passage est virtuose et l'émotion complète. L'épouse infidèle est à son tour plongée dans le chagrin, et le fait de l'évoquer (en son off) induit le respect et la compassion à son égard. Il n'y a pas de manichéisme possible en termes de sentiments.
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Enfin le jeu de l'autre, la femme trompée, à la grâce timorée d'une fleur fragile, pudique, qui se déploie. Pas de crise, sauf une de larmes (l'effet dans la scène concernée est d'ailleurs très appuyé) ni d'hystérie. Mais pas la force de vie d'une Gena Rowlands, pas son charisme chez ce personnage de femme faible. Une certaine présence certes, mais un tantinet insignifiante ou exaspérante d'abnégation. Mais c'est une affaire de moments, de goût et de mœurs.
La mise en scène de Hur Jin-ho est subtile, maîtrisée, à l'excès parfois, mais elle n'en reste pas moins efficace : l'émotion est au rendez-vous. La confusion des sentiments demeure, ainsi que la justesse avec laquelle elle est transposée dans ce film. On eût aimé qu'il fut moins linéaire peut-être, que les choses fussent plus ambiguës pour qu'elles ressemblent encore plus à la vie. Mais l'amour parfois sait où il va.
Critique rédigée par ADel

jeudi 27 avril 2006

Je ne suis pas là pour être aimé


"... Parce qu'un jour le cœur va dire stop."

Après un Bleu des villes prometteur, primé à Deauville et dans lequel la co-scénariste Florence Vignon offrait une belle prestation d'actrice, on attendait le Rennais Stéphane Brizé au tournant. L'attente, qui a tout de même duré six ans, n'a pas été vaine. Je ne suis pas là pour être aimé, son second long métrage, est un film intelligent et sensible, mêlant harmonieusement humour et délicatesse. Comme le tango qui le rythme, le réalisateur a su trouver, notamment grâce à son couple d'acteurs inédit, une pertinent équilibre entre nostalgie et sensualité. Récompensé au Festival de San Sebastián par le "Prix du meilleur film du Cercle des scénaristes", le film a vu ses deux interprètes principaux ainsi que Georges Wilson sélectionnés aux "César".
Jean-Claude Delsart est huissier de justice à Angers. Quinquagénaire divorcé et un peu fatigué, il vient d'embaucher son fils Jean-Yves à l'étude. Chaque dimanche, il rend visite à son père acariâtre, auquel il a succédé, à l'hospice où il a été placé. Après une consultation chez un cardiologue lui conseillant de faire de l'exercice, il s'inscrit au cours de tango qu'il a déjà repéré en face de son bureau. Il y fait la connaissance de Françoise Rubion, conseillère d'orientation dans un lycée et qui se trouve être l'enfant surnommée 'Fanfan' que gardait autrefois la mère de Delsart. La jeune femme va bientôt épouser Thierry, un enseignant en congé pour écrire un roman. Mais entre les deux partenaires de danse naît une mutuelle attirance.
Produit par le duo à l'origine du Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout, Je ne suis pas là pour être aimé livre un intéressant portrait de caractère, celui d'un homme ayant étouffé ses sentiments et renoncé, à contre-cœur, à assumer ses choix. Il propose également une pertinente observation des relations entre générations. Infiniment plus subtil que le remake Shall We Dance auquel il peut aisément être rapproché, le film de Stéphane Brizé, qui rappelle aussi un peu Lost in Translation, s'appuie sur un scénario solide et sur une distribution de qualité. Le couple Patrick Chesnais et Anne Consigny, réunis pour la première fois à l'écran, fonctionne à merveille et chacun offre, dans un rôle principal, sa probable meilleure interprétation. Soulignons enfin la prestation du débutant Cyril Couton sur lequel repose l'essentiel de la dimension de comédie. 

lundi 24 avril 2006

Matana MiShamayim (cadeau du ciel)


"... Je ne sais pas pas si c'est permis ou non... ou non, ou non."

Bakho, le chef des bagagistes de l'aéroport israélien, et son jeune frère Vaja ont décidé de faire main basse sur la livraison hebdomadaire de diamants bruts au joaillier Schtarchman en provenance d'Afrique du sud. Pour monter cette opération, les deux fils cadets de Giorgi, sorte de parrain de la communauté géorgienne, doivent trouver le matériel adéquat et, surtout, recruter des complices. Parmi ceux-ci, Ottari, le mari violent et abandonné de Tziala, la sœur des organisateurs, Ponchika qui doit à Vaja une forte somme d'argent perdue aux cartes et qu'il ne possède pas ou encore Jemali qui trompe sa femme stérile avec une pulpeuse cardiologue russe.
Le projet de casse sur lequel s'ouvre ce second long métrage de Dover Koshashvili ne sert que de prétexte à une comédie de mœurs. Moins réussi que Hatuna Meuheret dont il reprend les principaux acteurs, Matana MiShamayim nous offre une peinture extravagante, hétéroclite, un peu vulgaire de la communauté géorgienne immigrée en Israël dont est issu le cinéaste. Souvent comparé à Emir Kusturica, Koshashvili s'insinue, sans retenue, au cœur des relations à la fois primaires et complexes, en tous cas peu vertueuses qui la tissent. Cette production, ambitieuse à l'échelle de son pays et sortie la même année que Massa'ot James Be'eretz Hakodesh et Ha-Kochavim Shel Shlomi, rappelle également certains films de l'Espagnol Bigas Luna ou du Mexicain Alfonso Cuarón. La phase d'exposition est un peu longue, d'autant qu'elle ne mène pas exactement là où l'attend le spectateur. Matana MiShamayim est une œuvre personnelle impertinente, voire plaisante mais pas tout à fait convaincante.


vendredi 21 avril 2006

Red Eye (red eye, sous haute pression)


"Que cela ne se reproduira jamais."

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Après l'échec de Cursed, Wes Craven accepte de diriger pour le studio DreamWorks un thriller à partir du premier scénario pour le cinéma de Carl Ellsworth. Une histoire simple mais intéressante que le cinéaste intelligent et expérimenté qu'il est réalise avec brio. Pour sa première incursion en dehors du film d'horreur, le résultat est, quoique un peu formaté, plutôt honorable. Succès aux Etats-Unis, Red Eye, sorti quinze jours avant Flight Plan, n'a en revanche pas attiré le public français, souvent conservateur et friand de catalogage, dans les salles. Dommage, car ce thriller est réellement plaisant et ne dépare pas la filmographie du réalisateur.
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Lisa Reisert quitte le Texas où elle a enterré sa grand-mère pour regagner Miami. Dans l'avion de nuit retardé, elle se retrouve assise à coté du séduisant Jackson Rippner qu'elle a incidemment rencontré à l'aéroport et avec lequel elle a accepter de boire un verre avant d'embarquer. Après le décollage, son voisin lui annonce qu'un tueur se tient prêt à assassiner son père si elle refuse de faire changer de chambre d'hôtel l'un de ses clients habituels, le secrétaire-adjoint à la sécurité nationale Charles Keefe. Un attentat contre lui et sa famille a été organisé et n'attend plus que ce déménagement pour réussir.
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Bien plus convaincant et efficace que Phone Booth dans le genre thriller claustrophobique, Red Eye se situe résolument dans la lignée du Speed de Jan de Bont... quelques kilomètres au dessus du sol. La mise en scène de ce scénario, classiquement construit en trois actes, n'avait a priori rien d'évident, notamment celle de la partie qui se déroule dans l'avion*. Wes Craven, dont le talent n'est pas contestable, réussit à assurer un rythme et une réelle tension sur la durée du métrage, même si la fin est un peu trop "balisée". Il est aussi aidé par un casting**, premiers et seconds rôles, de qualité. La prestation de Rachel McAdams, pourtant peu habituée à ce genre de films, est en particulier étonnante et le duo qu'elle forme avec Cillian Murphy, peut-être d'emblée trop inquiétant et moins probant dans la dernière partie, fonctionne assez bien.
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*tout en conservant une classification qui ne soit pas trop exclusive.
**le film a été écrit pour Robin Wright Penn et Sean Penn mais Craven a préféré choisir des acteurs plus jeunes.