vendredi 31 décembre 2010

The Disappearance of Alice Creed (la disparition d'alice creed)


"Look real?"

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Le cinéma indépendant britannique se porte plutôt bien, merci pour lui ! Si l'on en juge par l'intérêt suscité par les comédies Down Terrace de Ben Wheatley et In the Loop d'Armando Iannucci, le drame futuriste Moon de Duncan Jones ou encore la biographie Nowhere Boy de Sam Taylor-Wood, tous sortis en 2009, les réalisateurs quadragénaires semblent ne pas manquer d'arguments. Dans le genre thriller, Stuart Hazeldine disputait aux deux derniers le titre de meilleur réalisateur d'un premier film (l'intrigant Exam en l'occurrence) lors des 50e BAFTA. S'il n'a pas eu cet insigne honneur, J Blakeson, auteur de deux courts avant ce long métrage, ne démérite pourtant pas. Sec et rugueux, son Disappearance of Alice Creed, présenté notamment à Toronto, Beaune et Tribeca, revisite assez adroitement la trame usitée de l'enlèvement.
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Deux hommes ravissent une jeune femme et la conduisent à bord d'une camionnette volée dans un appartement soigneusement aménagé à cette fin. Ligotée sur un lit, bâillonnée, la tête recouverte d'un sac en tissu, enfermée dans une chambre, celle-ci doit bientôt être échangée contre une forte somme exigée à son père, riche et connu. Une photographie du corps nu de la victime lui est d'abord adressée, puis une vidéo dans laquelle elle le conjure d'accepter les exigences pour obtenir sa libération. Froid, méthodique et déterminé, le meneur des rançonneurs craint l'apparente irrésolution de son complice alimentée par ses ruminations, n'hésitant pas à le menacer afin de prévenir une éventuelle une bévue. Profitant d'un besoin sanitaire, l'otage attachée parvient à assommer celui-ci et à se saisir de son pistolet.
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Il faut, au choix, soit une certaine dose d'insouciance, soit une réelle témérité pour s'attaquer à un tel sujet, a priori simple (simpliste ?) dominé par deux sommets cinématographiques, In Cold Blood de Richard Brooks et Fargo des frères Coen. J Blakeson possède sans doute les deux. Le cinéaste capte d'abord notre attention à l'aide de près de dix minutes de métrage (dont cinq de rigoureux préparatifs) sans aucun dialogue. Casting resserré, huis clos à peine aéré par quelques extérieurs mannois, rythme et narration sans faille sérieuse ménageant plusieurs climax et péripéties, une économie de moyens associée à une sobre maîtrise dans la réalisation qui contribuent à la tension, à la tonicité et, au final, à l'efficacité de ce premier long métrage*. Solide second rôle d'ambitieuses productions, Eddie Marsan prouve une nouvelle fois être aussi à l'aise dans le drame que la comédie face à Martin Compston, l'ancien adolescent du Sweet Sixteen de Ken Loach et à Gemma Arterton soumise à rudes épreuves.
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* supérieure à celle de Trapped de Luis Mandoki disparu des plateaux, Cellular de David R. Ellis ou de Nobel Son de Randall Miller.

One-Eyed Jacks (la vengeance aux deux visages)


"You may be a one-eyed jack around here, but I've seen the other side of your face."

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Parmi les vingt meilleurs western de l'histoire du cinéma apparaissent cinq films de John Ford et deux de Sam Peckinpah(1). One-Eyed Jacks n'y figure pas, occupant il est vrai pour diverses raisons une place un peu à part dans le genre. Production à la gestation difficile, cette unique réalisation (par substitution) de Marlon Brando ne manque pourtant pas d'atouts malgré ses infuses imperfections. A commencer par la prestation des deux acteurs principaux réunis une troisième et ultime fois après A Streetcar Named Desire et On the Waterfront. Très librement adapté(2) de "The Authentic Death of Hendry Jones" (variation romancée de la courte existence de Billy the Kid) paru en 1956 sous la plume du natif russe Charles Neider, elle a obtenu le "Concha de oro" du 9e festival de San Sebastián(3).
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Sonora (Mexique), 1880. Après avoir dévalisé une banque, Dad Longworth, Kid Rio et Doc s'accordent un peu de bon temps auprès de femmes. Mais à leur poursuite, la milice pénètre dans la taverne où elle abat Doc ; Longworth et Rio parviennent à s'enfuir. Au terme d'une longue chevauchée, la monture de ce dernier est tuée. Désigné par un tirage au sort truqué, Longworth part à la recherche de deux chevaux frais, seule issue pour espérer ne pas être arrêtés. Lorsqu'il les trouve, celui-ci hésite un moment puis décide de s'approprier le magot de pièces d'or en abandonnant son ami. Encerclé puis maîtrisé, Rio comprend avoir été trahi en découvrant des chevaux dont celui de son partenaire chez le vieux mexicain où Longworth s'est pourvu.
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Cinq ans plus tard, Rio s'échappe du bagne de Sonara avec son codétenu et se met en quête de son ancien complice. Revenu sur les lieux de leur hold-up, il fait la connaissance de bandits sans grande envergure, Bob Amory et Harvey Johnson. Le premier propose à Rio de se joindre à eux pour attaquer la banque californienne de Monterey. Pour le convaincre, il lui révèle que Longworth est devenu le shérif de la ville. A peine arrivé, Rio se rend chez celui-ci et, répondant à son mensonge par un autre, fait mine de se réconcilier. Il rencontre également l'épouse du shérif, Maria ainsi que Louisa sa fille. Contre l'avis de sa mère, la jeune femme invite Rio à rester et participer à la fête annuelle organisée à Monterey.
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L'impulsive fortuité nous a privé du seul western potentiellement signé Stanley Kubrick. Le cinéaste de Paths of Glory, parti remplacer Anthony Mann sur Spartacus et qui n'a jamais fait professionnellement figure de valet de cœur, était il est vrai en concurrence avec son producteur Marlon Brando pour celle de valet de pique(4). Ce qui pourrait allusivement passer pour un banal récit de vengeance, dans lequel s'imbriquent quête obsessionnelle et dissident antagonisme entre bandit et représentant de l'ordre à travers une relation presque filiale, réussit d'une manière assez mystérieuse à subjuguer. One-Eyed Jacks semble même se nourrir de ses lenteurs, des évidentes hésitations d'un scénario dialogué et d'une néophyte réalisation. Celles-ci procurent d'ailleurs aux quelques épisodes d'action (souvent cruels) une brusquerie inattendue. Le western préféré de Martin Scorsese confine aussi parfois à la tragédie romanesque, quasi cornélienne.
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Sans faire trop d'ombre à son jeune ami et patron, Karl Malden se montre épatant, à l'opposé du personnage encore une fois fiévreux, tourmenté campé par Brando. L'aimable, élégant naturel de Pina Pellicer, dans son deuxième rôle au cinéma, apportant un intéressant contraste au jeu intériorisé de l'élève de Stella Adler. Solides prestations de Katy Jurado (High Noon, Broken Lance), des peckinpahiens Slim Pickens et Ben Johnson et très belle photographie de Charles Lang, nommé pour la quinzième fois (sur 18) aux "Oscars".
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1. Howard Hawks et Sergio Leone y sont aussi représentés pour deux réalisations chacun.
2. après un premier traitement confié par Frank P. Rosenberg à Rod Serling (The Twilight Zone) et une contribution elle aussi non créditée de Sam Peckinpah, le scénario a été successivement repris par Calder Willingham choisi par Kubrick puis par Guy Trosper.
3. où Pina Pellicer succéda également à Joanne Woodward, partenaire de Brando dans The Fugitive Kind, pour le prix d'interprétation.
4. présentés l'un et l'autre de profil (one-eyed) sur les cartes US ; en France, cette posture est tenue par le valet de carreau.