mardi 29 juin 2010

Bubù (bubu de montparnasse)


"Notre destin dans ce monde ne nous appartient pas."

 - film - 44547_4
Premier des deux films de Mauro Bolognini produit par son frère Manolo, Bubù est une adaptation transposée du roman de Charles-Louis Philippe publié en 1901. Entre deux œuvres ouvertement socio-politiques, ce drame intime co-signé par le Milanais Giovanni Testori (auteur, rappelons-le, de l'ouvrage à l'origine de Rocco e i suoi fratelli) ne cherche pas à dissimuler sa vocation vitupératrice. Le cinéaste toscan a sans doute été intéressé par cette virulente conscience de classes qui transparaît chez l'écrivain et poète français (contemporain au cours de son enfance de Karl Marx), lui-même issu d'une famille misérable. Désillusionné manifeste humanitaire, Bubù reste comme l'un des plus sombres parmi les nombreux récits consacrés à la prostitution et, plus généralement, à la condition de la femme.
 - film - 44547_11
Milan, fin du XIXe siècle. Berta décline la proposition de ses collègues lavandières d'aller boire à la taverne. La jeune femme va retrouver son amant Gino Berton dit 'Bubù' pour aller danser. Avant de quitter le domicile familial, l'orpheline de mère reçoit le blâme de son père, convaincu qu'elle va suivre la voie de Bianca, sa fille aînée qui vend ses charmes au profit d'un maquereau. Lassé de travailler, 'Bubù' vient de démissionner de son emploi d'aide-boulanger. Dans l'intimité, il suggère à Berta de se livrer à la prostitution afin d'accroître ses revenus, payer le loyer et la nourriture du couple. Pour ne pas perdre son homme, celle-ci accepte et rejoint le petit groupe, coloré et disparate, de ses congénères. Un après-midi, Berta croise Piero. Venu de la campagne pour étudier et travailler, Piero se réjouit de partager quelques moments avec elle, même si leurs rencontres sont tarifées. Il est d'ailleurs encouragé par son ami Luca, client régulier de Ninon qui vient de se suicider. Mais Berta découvre un matin être atteinte de syphilis, provoquant l'effroi panique et la fuite provisoires de 'Bubù'. Longuement hospitalisée, elle laisse ce dernier sans ressources.
 - film - 44547_16
Dans la culture universelle francophone, la fille de joie (ou de petite vertu) est, si l'on peut dire, étroitement liée à trois auteurs célèbres : Balzac, Maupassant et Zola. La relative méconnaissance de "Bubu de Montparnasse" a vraisemblablement empêché Charles-Louis Philippe d'entrer dans ce prestigieux cercle littéraire. Sa vision apparaît, il est vrai, moins (ré)conciliante que l'image véhiculée par des courtisanes entretenues ou de sym-patriotique galante. La version de Mauro Bolognini renforce le sentiment de cette injustice. Dans La Viaccia*, Bolognini avait abordé le sujet sous une toute autre perspective. Associée aux classiques relations connexes (innocence et pureté perdues, altruisme, lâcheté et culpabilité), la prostitution prend ici une dimension de thématique de révolte, d'autant plus aiguë que l'exploitation qu'elle préfigure s'exerce entre "prolétaires". La mise en scène incorpore toujours dans un cadre réaliste cette démarche formelle, voire picturale qui caractérise la production du cinéaste depuis le début des années 1960. Second rôle dans Il Gattopardo et déjà partenaire de Massimo Ranieri dans le récent Metello, Ottavia Piccolo offre à son personnage l'une de ses plus belles interprétations (avec Mado de Sautet). Une prestation d'autant plus remarquable comparée à celle, un peu terne, des acteurs à l'exception de Gigi Proietti.
___
*également dans La Notte brava ou dans son sketch du Plus vieux métier du monde.




dimanche 27 juin 2010

Day of the Outlaw (la chevauchée des bannis)


"Your position is hardly a tactical one."

 - film - 6238_5
Dernier et sans doute meilleur des douze western réalisés par André De Toth, Day of the Outlaw adapte un roman de l'auteur de Pulp Tales Lee E. Wells. Produit par Sidney Harmon (The Big Combo, Men in War...), ce film à petit budget tourné autour du Mount Bachelor (Oregon) se situe néanmoins à l'antipode des productions du genre de cette décennie finissante(1). Signé par Philip Yordan, oscarisé pour Broken Lance après deux nominations, l'âpre, cinglant scénario brouille sciemment les repères moraux et topographiques conventionnels. Une ambiguïté admirablement incarnée par Robert Ryan et Burl Ives (Sam le shérif d'East of Eden, le chef de clan Rufus Hannassey dans The Big Country) réunis au cinéma pour cette unique occasion.
 - film - 6238_7
Alors qu'un très rigoureux hiver commence à décliner sur le Wyoming, Blaise Starrett et son employé Dan arrivent dans le petite localité de Bitters. Bien décidé à mettre le feu aux barbelés achetés à Vic par le fermier Hal Crane, l'éleveur n'hésitera pas abattre l'époux d'Helen, la femme qu'il a aimée, s'il tente de l'en empêcher. Celle-ci propose en vain à Starrett de quitter son mari pour le suivre s'il épargne ce dernier. Au moment précis où les deux adversaires se font face, le capitaine Jack Bruhn et ses cinq hommes pénètrent dans le saloon. La bande, poursuivie par la cavalerie pour avoir dérobé la solde de l'armée, saisit les armes et retient la population. L'ancien officier, après avoir interdit à ses complices de consommer de l'alcool et de se distraire en compagnie des quatre femmes du hameau, force le vétérinaire à lui retirer une balle du thorax.
 - film - 6238_13
Crépusculaire avant l'heure, presque désabusé, Day of the Outlaw mérite assurément plusieurs louanges. D'abord pour la complexe simplicité (ou l'inverse, un paradoxe ?) du récit, la richesse narrative des thèmes qui s'y croisent (propriété et rivalité, isolement et alliance, (im)moralité et sacrifice) et de la psychologie des différents personnages. La virulence de tension charnelle lors de la "mécanique" scène de bal surpasse celle, beaucoup plus explicite, d'autres films de cette époque, voire plus tardifs. Ensuite grâce à l'énergique efficacité de la réalisation, opérée en noir et blanc (quand la couleur s'imposait au cinéma) par l'ex-époux de Veronica Lake associé au "spécialiste" Russell Harlan en milieu hiémal, rare dans le western(2). En particulier le soin évident apporté à la composition du cadre. Enfin pour la qualité des interprétations, rôles principaux bien sûr, à l'exception de la prestation décevante de Tina Louise, récent meilleur espoir féminin aux Golden Globes(3) et partenaire de Robert Ryan dans God's Little Acre sorti l'année précédente, mais aussi de soutien (notamment Jack Lambert et Alan Marshal). Sans omettre de signaler le score, lent et solennel comme une marche funèbre, d'Alexander Courage.
___
1. The Horse Soldiers de Ford et Rio Bravo d'Hawks sont sortis la même année.
2. saison des Track of the Cat, The Tall Men, Will Penny ou McCabe & Mrs. Miller sans oublier le très bon (mais italien) Il Grande silenzio de Sergio Corbucci.
3. titre partagé avec Linda Cristal et Susan Kohner.