mardi 27 novembre 2007

Otoshiana (le traquenard)


"- C'est absurde !
"- Invraisemblable !"

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Avant de tourner ce premier long métrage, Hiroshi Teshigahara avait surtout réalisé de courts documentaires, notamment sur le graveur-estampiste Katsushika Hokusai ou sur le Ikebana (art de la composition florale) dont son père, Sofu, était devenu dès 1929 un des grands maîtres. Première des cinq collaborations avec l'écrivain et militant communiste Kobo Abe, Otoshiana a contribué à l'étiquetage du cinéaste dans le courant avant-gardiste du cinéma nippon du début des années 1960. Un catalogage revendiqué, évidemment influencé par la musique de son ami Tôru Takemitsu, futur compositeur de films de Masaki Kobayashi, Masahiro Shinoda ou Akira Kurosawa.
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Deux ouvriers, l'un accompagné de son jeune fils, quittent la petite mine de charbon qu'ils exploitent pour un particulier sans recevoir de salaire afin de chercher un travail rémunéré. Ils sont bientôt recrutés comme journaliers par une entreprise portuaire. Le soir du premier jour, un contremaître propose un autre emploi au père du jeune garçon, lui remettant un plan pour se rendre à l'endroit en question. L'homme arrive dans village minier abandonné par ses habitants à l'exception d'une modeste marchande de friandises. Pendant que son fils erre dans la nature, il est soudainement suivi puis mortellement poignardé par un étrange homme vêtu de blanc.
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La parenté avec le film suivant, Suna no onna, est manifeste et frappante. Tout en conservant un style réaliste très marqué, le documentariste Hiroshi Teshigahara parvient, sans moyens spectaculaires, à insuffler à ce scénario original et social une dimension fantastique et surréelle très pertinente. Otoshiana bouscule et opacifie également volontiers les valeurs classiques habituellement représentées au cinéma. Dans la géométrie de sa mise en scène, son mouvement de va-et-vient régulier entre plans larges et serrés, Teshigahara brouille les pistes et égare volontairement le spectateur, une sensation notoirement renforcée par le score expérimental, d'inspiration cagienne (John) ou webernienne, de Tôru Takemitsu. Incontestablement un surprenant et très engageant premier film de fiction.

lundi 26 novembre 2007

Dnevnoy dozor (day watch)


"Comment t'expliquer ?"

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... C'est un peu la difficulté avec les deux premiers volets de la série initiée en 2004 par Timur Bekmambetov et inspirée de l'actuelle pentalogie de science-fiction de son compatriote kazakh, le prolifique Sergei Lukyanenko. Premier blockbuster russe de l'ère post-soviétique, Nochnoy dozor avait joué sur un évident et indéniable effet de surprise. Dénué de cet atout, et même s'il constitue à ce jour le plus grand succès commercial dans son pays avec près d'un milliard de roubles de recettes, Dnevnoy dozor impressionne toujours mais ne convainc pas tout à fait. Le film, ni véritable suite au précédent ni même adaptation du roman éponyme paru en 2000, conserve en effet un peu trop ostensiblement les "stigmates" du passé publicitaire du réalisateur et une mécanique narrative et visuelle habituellement plutôt associée au jeu vidéo.
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Depuis 1342, une trêve est conclue entre les forces antagonistes de l'Ombre et de la Lumière. Pour la faire respecter, les deux camps font appel à des individus aux pouvoirs surnaturels, les Autres. A Moscou, de nos jours, l'un d'entre eux, Anton Gorodetsky et la jeune recrue Svetlana sont appelé sur les lieux d'une agression commise par Ygor, le propre fils disparu d'Anton, associé aux forces du Mal parce que son père aurait jadis souhaité sa mort. Pour réparer son erreur et éviter une interruption de la trêve, Anton part à la recherche de l'antique et mythique "Craie du destin". Mais sa quête est compliquée par la convoitise de ses ennemis l'accusant injustement d'un meurtre.
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A travers son (d)étonnant mélange de kitsch et de modernité, Dnevnoy dozor fait la démonstration d'une énergie inusitée, y compris dans le cinéma d'action étasunien. C'est à croire qu'il n'existe aucune limite à l'imagination créative de Timur Bekmambetov. Ou, pour l'exprimer autrement, celui-ci semble vouloir tester l'étendu de son inventivité, quelque peu délirante, en usant de tout ce que la technique filmique permet aujourd'hui. Excessif, complexe, parfois artificiel, il faut toutefois reconnaître que le film réussit étrangement à nous entraîner dans sa spirale techno-baroque (et gothico-metalrock !), pour peu que nous ne lui opposions pas de résistance trop... violemment cartésienne. Si vous avez vu Nochnoy dozor, la curiosité vous poussera sans doute à savoir si le "Jour porte conseil". Dans le cas contraire, autorisez-vous cette déroutante expérience et soyez d'emblée rassurés : contrairement à ce que certains affirment, il n'est pas nécessaire d'avoir vu le premier volet pour être happé par celui-ci.

dimanche 25 novembre 2007

Les Chansons d'amour


"Les deux ? Mais pas ensemble !?"

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Alain Resnais a attendu la fin des années 1990 pour s'essayer, avec On connaît la chanson, au film musical (plus qu'à la comédie du même nom)*. François Truffaut ne s'y est jamais risqué. Christophe Honoré, dont le précédent film et le couple qu'il forme avec Louis Garrel rappellent par certains aspects Domicile conjugal et le duo Truffaut-Jean-Pierre Léaud, n'a pas hésité à s'y lancer dès son quatrième film. Très précisément la position occupée par Les Parapluies de Cherbourg dans la filmographie de Jacques Demy, réalisateur volontiers cité par le très parisien (quoique né dans le Finistère) dramaturge et cinéaste. Les Chansons d'amour lui permettait aussi de retourner à Cannes, cinq ans après la présentation de 17 fois Cécile Cassard dans la section "Un Certain regard", et d'y représenter la France en sélection officielle pour la "Palme d'or"**.
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Vivant ensemble depuis plusieurs années, Julie et Ismaël apprécient de jouer leur liaison sur le mode "je t'aime, moi non plus". Celui-ci, secrétaire de rédaction dans un journal, rentre souvent fort tard, obligeant sa compagne à aller seule au cinéma. Il entretient également avec sa collègue Alice une relation de séduction ambiguë. Ce qui n'empêche pas cette dernière de partager le lit du couple, pour le grand plaisir de Julie. La mère de la jeune femme, apprenant cette inattendue combinaison à l'occasion de l'habituel déjeuner de famille, en reste profondément troublée. Lors d'une soirée dans une salle de spectacles, pendant qu'Alice flirte avec Gwendal, un garçon qu'elle vient de rencontrer, Julie est prise d'un soudain malaise.
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Tout en conservant les signes distinctifs du cinéma de Christophe Honoré, Les Chansons d'amour, comédie dramatique en trois actes***, séduit d'abord par ce mélange d'allègre légèreté et de solennelle gravité qui caractérise l'innocent marivaudage auquel se livrent les personnages (il n'est probablement pas anodin d'apercevoir au début du film les néons d'un théâtre où se joue "L'Importance d'être constant" d'Oscar Wilde). La sensation de dialogues écrits y est aussi moins prégnante que dans les précédents films du cinéaste. Dans 17 fois Cécile Cassard, il était déjà question du travail de deuil. La démarche entreprise ici est cependant bien différente, notamment grâce aux chansons d'Alex Beaupain, inflexion lyrique du récit lorsque la musique devient indispensable à l'expression des sentiments. Les personnages interprétés par Alice Butaud et Jean-Marie Winling auraient peut-être mérité plus de densité dans le scénario, modeste fausse note dans ce récital plutôt convainquant.
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*même si le court métrage Les Jardins de Paris daté de 1948 peut être considéré comme appartenant au genre et si La Vie est un roman (1983) contient de saisissantes parties chantées.
**également présent sur la Croisette en tant que co-scénariste d'Après lui de Gaël Morel, retenu à la "Quinzaine des réalisateurs".
***I. Le départ - II. L'absence - III. Le retour.