"... On ne doit jamais franchir la ligne blanche, parce qu'à ce moment là, nous devenons vulnérables ."
Personnage controversé, énigmatique quoique médiatique, Jacques Vergès
suscite en général davantage le pathos que l'èthos. Cela n'a rien
d'étonnant puisque cette forme de rhétorique est la plus employée dans
leurs plaidoiries par les avocats et par ce singulier juriste en
particulier. Ce fils d'institutrice vietnamienne et de docteur et
politicien réunionnais tenterait-il, par son obsession démonstrative,
d'élever sa discipline au rang d'esthétique ? Le sulfureux biographe et
essayiste Bernard Violet et le juge Thierry Jean-Pierre, qui a consacré
un livre aux frères Vergès, avancent des hypothèses bien différentes. Le
propos de Barbet Schroeder,
à travers son long documentaire sur et avec le défenseur de Klaus
Barbie, apparaît plus contrasté. Présenté cette année à Cannes dans la
section "Un certain regard", L'Avocat de la terreur relate dans le détail et éclaire les "grandes pages" de la carrière de Vergès
entamée après la Seconde Guerre mondiale mais ne parvient par
réellement à élucider le théâtral mystère qu'aime entretenir l'avocat
inscrit au barreau de Paris sous la n° de toque D1510.
C'est
avec la défense des militantes féminines du FLN, notamment Djamila
Bouhired qui deviendra son épouse, que débute cet invraisemblable mais
pourtant véritable parcours du combattant judiciaire Jacques Vergès.
Après la libération de l'Algérie et une rencontre avec Mao, l'avocat
embrasse à la barre la cause des activistes du FPLP, puis celle de la
RAF (fraction armée rouge) allemande avant d'accepter de défendre le "Boucher de Lyon"
Barbie au cours du procès de 1987. Ses relations, également obscures,
avec le dictateur khmer Saloth Sar, alias Pol Pot, et ceux nombreux du
continent africain ne sont en revanche qu'évoquées.
A la question d'un journaliste du "Figaro magazine" à propos de L'Avocat de la terreur en juin dernier, Jacques Vergès répondait avec sa légendaire modestie : "c'est un pur chef-d'œuvre, qui doit plus à Jacques Vergès qu'à Barbet Schroeder." Et d'ajouter : "B. Schroeder a cru bon d'ajouter à mon témoignage des histoires que j'estime sans intérêt et indignes d'un créateur."
Ces affirmations péremptoires en disent presque autant sur le
personnage que le documentaire de plus de trois heures et quart. Celui
qui cite volontiers Montaigne, Diderot ou la Révolution française et
essaie, cigare à la main, de passer pour un individu détesté parce
qu'incompris et néanmoins charmeur ou spirituel tient à rester en
permanence le "maître du jeu", déniant à quiconque d'apporter
une petite musique discordante à sa partition qui tient davantage de
celle d'une fanfare que d'un orchestre symphonique. Outre les rappels
historiques et l'importante documentation réunie, notamment à travers
les témoignages et contributions diverses, le principal mérite du film
de Schroeder
est de nous le montrer, dans la durée, sous son vrai jour, c'est à dire
celui d'un personnage fat et "installé", dont la fascination qu'il est
censé exercer apparaît comme purement artificielle et sophistique. L'Avocat de la terreur
permet aussi de mettre en évidence l'incroyable patchwork tissé par ses
relations amicales et professionnelles, composé d'anticolonialistes,
d'anciens ou de néo-nazis, de révolutionnaires de gauche allemands, de
caricaturiste politique et de mercenaires terroristes.
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