jeudi 26 avril 2007

Dalida


"... Un grand coup de soleil."

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Etonnant qu'il ait fallu attendre près de vingt ans pour voir la vie de Dalida portée à l'écran. La radieuse interprète de "Bambino" et de "Gigi l'Amoroso" n'est-elle pas, comme son aînée Edith Piaf, un personnage tragico-romanesque par excellence ? Dalida est, bien sûr, avant tout cette formidable vedette française et internationale dont la carrière a traversé trois décennies très différentes sur le plan musical. Elle est aussi une femme amoureuse, (trop) souvent éprouvée par le destin et les hommes dès son enfance. C'est ce double portrait que tente de dresser le téléfilm en deux parties (1935 - 27 février 1967 - 3 mai 1987) produit par Pascale Breugnot et réalisé par Joyce Sherman Buñuel (la bru du grand Luis*).
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Choubrah, un des quartier populaires du Caire, en 1935. Yolanda Gigliotti est le deuxième enfant d'une famille italienne immigrée en Egypte. Son père Pietro, premier violon à l'opéra de la ville, est le seul à pouvoir l'apaiser avec son instrument lorsqu'elle souffre des yeux. Mais il est bientôt emmené et emprisonné, comme beaucoup d'hommes d'origine italienne, par l'armée du roi. A son retour, quatre ans plus tard, Pietro a beaucoup changé et n'entretient plus avec sa fille la même relation privilégiée. Elue Miss Egypte 1954, Yolanda débute sous le nom de Dalila une carrière de starlette dans de modestes péplums locaux avant de s'envoler pour Paris où les rôles pour de jeunes actrices typées comme elle sont plutôt rares. Sur les conseils de Solange rencontrée sur un casting, elle se tourne vers la chanson et se produit à la "Villa d'Este". Bruno Coquatrix, qui vient de racheter un vieux cinéma parisien, "l'Olympia", lui suggère de participer à son spectacle de variétés, "Les Numéros un de demain". Rebaptisée Dalida par celui-ci, elle est remarquée par Lucien Morisse, le directeur artistique de la station Europe 1 et son ami l'éditeur de disques Eddy Barclay. Le premier ne tarde pas à devenir l'amant de sa nouvelle chanteuse.
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La biographie filmée, en particulier de personnalités contemporaines et médiatiques, constitue un genre difficile. Il faut à la fois ne pas décevoir ceux qui les ont connu et ne pas en donner une vision déformée aux autres. Dalida ne trahit pas son sujet. Le téléfilm de Joyce Buñuel n'évite certes pas quelques maladresses scénaristiques et de réalisation, mais cette (trop ?) longue évoca(fic)tion de la femme plus que de l'artiste** semble au moins fidèle à l'image officielle entretenue par ceux qui en sont les dépositaires. Sans posséder le tempérament de son personnage, la courageuse Sabrina Ferilli apporte une réelle crédibilité à cette narration métadiégétique et légèrement aseptisée. On regrette alors, pour cette raison, l'ostensible obstination de la version française à rouler les "R".
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*aperçu dans un document d'archives de 1961 lors de la remise de la "Palme d'or pour Viridiana''.
**bien que dans le cas de Dalida, l'imbrication soit très forte.

mercredi 25 avril 2007

Agnes und seine Brüder (une famille allemande)


"Oh oh can´t you see, love is a drug for me."

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Avant de porter à l'écran Elementarteilchen, le roman de Michel Houellebecq, le cinéaste allemand Oskar Roehler avait écrit et réalisé deux films distribués dans les salles françaises mais restés relativement confidentiels, Die Unberührbare et Agnes und seine Brüder. Ce dernier, produit par Stefan Arndt (Lola rennt, Good Bye Lenin!), constitue, comme le précédent, davantage une charge contre une certaine typologie de la famille allemande qu'une critique de la société germanique.
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Agnes Tschirner, née de sexe masculin, n'a jamais connu sa mère membre de la Fraction armée rouge qu'à travers les propos de son père Günther presque constamment ivre. Son frère Hans-Jörg, bibliothécaire, tente de combattre son voyeurisme et son obsession sexuelle en participant à une thérapie de groupe. Werner, l'aîné, est un homme politique aisé dont le projet de loi environnemental lui permet de connaître une notoriété grandissante. Le couple qu'il forme avec Signe traverse en revanche un grave crise l'obligeant à faire lit à part et rendant délicate sa relation avec son premier fils. Une nuit, à son retour du travail, Agnes est mise à la porte de leur appartement par son compagnon.
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"Familles, je vous hais."* Dans Die Unberührbare, Oskar Roehler avait réglé ses compte avec sa mère écrivain Gisela Elsner. Agnes und seine Brüder est à nouveau l'occasion pour lui de stigmatiser les relations familiales et de souligner les blessures symboliques engendrées au cours de l'enfance ainsi que la détresse sexuelle du mâle moderne. En suivant quelques jours des vies parallèles de ses trois personnages principaux, ce Mujeres al borde de un ataque de nervios septentrionalo-masculin, moins mordant toutefois que l'original**, prend le risque de manquer un peu d'unité. Celui qui donne son titre au film, interprété avec subtilité par Martin Weiß, fait évidemment référence au In einem Jahr mit 13 Monden de Fassbinder. Belle prestation également de Katja Riemann dans un second rôle, justement récompensée par les Deutscher Filmpreis 2005.
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*un argument déjà employé pour un film très différent, The Hills Have Eyes... quoique !
**et que le récent Pingpong, le premier film de Matthias Luthardt.

mardi 24 avril 2007

Candidature


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Après un voyage en TGV, Jean Dupuis, docteur en philosophie, prend le car pour se rendre à l'université d'Angoulême où il doit passer une audition de recrutement. Alors qu'il rédige à la hâte son texte de présentation, une jeune femme, Pauline, s'installe en face de lui et l'identifie aussitôt. Pas lui, stressé par l'écriture de son document. Un peu plus tard, Jean aperçoit un passager endormi qu'il sait être un très brillant candidat au poste qu'il convoite. Pauline reconnaît également le cartésien Luc Dunoyer dont elle a pu apprécier les qualités à l'occasion d'un déplacement à Madrid. Lorsque le bus arrive à l'université, Jean se demande s'il doit réveiller son redoutable concurrent. L'opinion de Pauline l'incite à ne pas le faire. Les deux postulants descendent et laissent le véhicule poursuivre sa route vers Jarnac. Trois ans plus tard...
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Amusante variation sur les thèmes de la rivalité et de la mauvaise conscience, surtout grâce au personnage de Pauline interprété par Cécile Bouillot. La comédienne a précédemment tourné Dieu seul me voit... et tenu le rôle principal dans la pièce d'Emmanuel Bourdieu, "Je crois ?", tous deux sous la direction du frère de son partenaire, Bruno Podalydès. Signalons enfin que la brève scène d'ouverture qui précède le générique est reprise dans Les Amitiés maléfiques.

Les Amitiés maléfiques


"... Je n'aurais pas le courage d'être heureux à tes dépens."

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Emmanuel Bourdieu serait-il fasciné par la figure du triangle ? Comme dans Vert paradis, son premier long métrage, le scénario des Amitiés maléfiques, également co-écrit avec l'ancienne collaboratrice de François Ozon Marcia Romano, installe en effet une relation déterminante entre trois personnages, cette fois exclusivement masculins. Comme dans le court Candidature, c'est à nouveau le milieu universitaire qui est pris pour décor par le film récompensé par le "Grand prix" de la Semaine internationale de la critique cannoise 2006.
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Eloi Duhaut, Alexandre Pariente et André Morney font connaissance lors de la rentrée à Paris V. Ce dernier, élève brillant et apprécié par le professeur Mortier qui dirige son mémoire de maîtrise, prend rapidement l'ascendant sur ses deux camarades. Se fondant sur les théories de Karl Kraus, il les décourage d'écrire. Alexandre s'inscrit alors au concours du Conservatoire d'art dramatique ; le réservé Eloi, fils d'une écrivaine connue, décide de jeter son manuscrit de roman à la poubelle. Celui qu'ils ont pris pour mentor est-il véritablement leur ami ?
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Il faut d'abord souligner un élément singulier. Le ressort narratif essentiel des Amitiés maléfiques repose sur une formule axiomatique attribuée à Karl Kraus. Le philosophe Jacques Bouveresse*, dans un essai qu'il lui a consacré en 2001, rapporte que l'une des dernières phrases de l'écrivain autrichien aurait été : "Envers qui donc ai-je jamais été injuste ?" Nous sommes, pour ainsi dire, au cœur même de la thématique développé par le film. La question fondamentale que pose le film et à laquelle il ne répond évidemment pas pourrait être la suivante. Les intimations de Morney ont-elles révélé des vocations ou l'étudiant surestimé n'a-t-il pu finalement contrarier la force du destin ? La relation d'Emmanuel Bourdieu sur cette période délicate entre deux âges reste sensiblement trop métaphysique, aux différents sens du terme, pour convaincre tout à fait.
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*auteur en 2004 de (Pierre) "Bourdieu savant & politique"