lundi 25 avril 2005

Poids léger


"Messieurs, s'il vous plaît."

Jean-Pierre Améris est un cinéaste de la fêlure, du déséquilibre. Ses précédents films, Mauvaises fréquentations ou C'est la vie par exemple, l'attestent. Le dernier en date ne déroge pas à la règle. Adaptation du roman éponyme d'Olivier Adam paru en 2002, Poids léger, s'il ne boxe pas dans la catégorie de The Set-Up ou de Raging Bull, est plaisant à défaut d'être réellement percutant. Le film est le premier du réalisateur à avoir été en sélection officielle, dans la section "Un Certain Regard", du Festival de Cannes.
Antoine, employé dans une entreprise de pompes funèbres, consacre son temps libre à la boxe amateur de haut niveau. Son entraîneur, Chef, fonde beaucoup d'espoirs en lui et s'en occupe davantage comme un père que comme un ami. Antoine rencontre Su, une jeune apprentie styliste qui vient parfois donner un coup de main à ses parents dans le restaurant qu'ils tiennent. Les deux jeunes gens se plaisent et deviennent rapidement amants. Mais, obsédé par la mort, en particulier celle de ses parents lorsqu'il était encore un enfant, Antoine se montre maladroit dans sa relation avec Su. Lorsque sa sœur, Claire, lui annonce son mariage et qu'il perd un combat important pour sa carrière de boxeur, Antoine part progressivement dans une dérive violente et alcoolique.
Il ne faut pas se méprendre. Poids léger n'est pas un film sur la boxe et le "noble art" n'en est pas non plus un élément scénaristique déterminant, juste une toile de fond, un prétexte exutoire pour caractériser la solitude, le malaise et la rage intérieure du personnage principal. Parmi les qualités du film, il faut souligner son réalisme presque documentaire, l'essentiel de la mise en scène étant axé sur l'action elle-même plus que sur un développement artificiel de la psychologie des personnages. Le simple contraste entre la positive Claire et le destructeur Antoine apporte, de ce point de vue, un relief narratif intéressant. On peut, en revanche, regretter la longueur de la phase de situation, la pauvreté relative des dialogues et la place occupée par la mémoire d'enfance sous la forme de séquences de film amateur aux images dégradées. Sans avoir l'ambition d'un Million Dollar Baby, il manque, néanmoins, une réelle intensité dramatique au film pour qu'il puisse trouver un second souffle décisif et salvateur. 

Pas de petits boxeurs


Le court métrage (32') de Marie Baronnet, réalisé à l'occasion du tournage de Poids léger, nous fait entrer dans le monde des boxeurs amateurs de haut niveau. A travers la vie quotidienne du club "Boxing Beats" d'Aubervilliers, se succèdent entraînements, premier combat régional, victoires et défaites, gestion de l'association, commentés notamment par Saïd Bennajem, fondateur-entraîneur du club. 

mardi 19 avril 2005

Oldeuboi (old boy)


"... Dégage-toi."

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Il n'est pas très surprenant que ce soit un jury présidé par Quentin Tarantino qui ait décerné le "Grand prix" du Festival de Cannes au film de Park Chan-wook. Les deux réalisateurs partagent, en effet, plusieurs points communs. Ils sont cinéphiles, prennent visiblement beaucoup de plaisir à tourner et apprécient l'humour et la provocation. Mais alors que le premier pastiche, avec parfois, certes, quelques grands moments d'inspiration, le second rénove, innove même. En trois longs métrages, le cinéaste coréen est devenu une figure majeur du cinéma contemporain. Oldeuboi confirme souverainement le talent déjà manifeste dans Gongdong gyeongbi guyeok JSA et Boksuneun naui geot. Nul doute que, sans la volonté de Tarantino de marquer le palmarès cannois de son empreinte en couronnant le documentaire politique de Michael Moore, le film de Park Chan-wook aurait obtenu une "Palme d'or" amplement méritée. Mais qu'importe ! Oldeuboi est certainement l'une des œuvres clés de cette première décennie du nouveau siècle.
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Fin des années 1980. Oh Dae-su, marié et père de famille, est enlevé, sans raison apparente, à sa sortie d'un poste de police. Enfermé dans une chambre-cellule pour une durée indéterminée, ses seuls liens avec l'extérieur sont le geôlier qui lui apporte ses repas et la télévision. Il apprend, par cette dernière, l'assassinat de son épouse dont il est le suspect principal. Pour ne pas sombrer dans la folie, Oh Dae-su s'entraîne au combat en mimant ce qu'il voit à la télévision et cultive une rage vengeresse contre son ravisseur inconnu. Quinze ans près son incarcération, Oh Dae-su est brutalement libéré. Le soir même, un individu est chargé de lui remettre un portefeuille avec de l'argent et un téléphone portable. Lorsque celui-ci sonne, l'appel émane du ravisseur, lequel propose à Oh Dae-su de découvrir son identité et la raison de son enlèvement.
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Avec Oldeuboi, Park Chan-wook réinvente, tout simplement, le film noir et en offre le premier opus du XXIe siècle. Si l'on y regarde de près, les codes du genre, quoique profondément modernisés, sont, pour la plupart, observés. On connaît, d'ailleurs, l'importance du rêve dans le film noir. Oldboy est, de ce point de vue, le plus long et sombre des cauchemars, davantage nourri par la littérature, notamment celle de Kafka, que par des modèles cinématographiques. Librement adapté, sur les conseils de Bong Joon-ho, (le réalisateur de Salinui chueok), d'une série de manga signée par Tsuchiya Garon, le film bouscule les repères tout en respectant soigneusement l'intelligence de son public. Lequel doit, de son côté, faire preuve de toute sa vigilance et de sa lucidité s'il veut profiter pleinement du spectacle. A partir d'une scénario machiavélique, non dépourvu d'humour, Oldeuboi est une fable (dont on pourrait analyser les dimensions morales et sociales) hallucinante et surréaliste, remarquablement mise en scène et puissamment rythmée par un montage nerveux et subtil. Le casting est également solide, emmené par un Choi Min-sik étonnant... en particulier pour ceux qui l'ont vu, auparavant, dans Chihwaseon d'Im Kwon-taek. Soulignons, avant de conclure, l'importance de la bande musicale composée par Jo Yeong-wook dont les tonalités, lyriques et concertantes, constituent souvent un splendide contrepoint aux images qu'elles accompagnent, parachevant le travail de déboussolage déjà évoqué. Autant dire que l'on attend avec impatience Kind geum-ja, le dernier volet de la trilogie de la vengeance de Park Chan-wook actuellement en tournage. Bien plus que le probable remake US, Oldeuboi, dans lequel Nicolas Cage pourrait prendre le rôle principal.

lundi 18 avril 2005

Brodeuses


"Les coucous, ils pondent leurs œufs dans le nid des autres."

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Le premier long métrage d'Eléonore Faucher est une double excellente surprise. L'ancienne élève de l'Ecole Louis Lumière nous propose, avec Brodeuses, une œuvre à la fois simple et profonde, piquante et belle. Le film est, comme l'évoque métaphoriquement son titre, le résultat d'un authentique travail d'artisane (le féminin, rare, du vocable s'impose ici), patient et maîtrisé, étonnant de maturité chez une si jeune cinéaste. C'est également l'occasion de voir, dans un rôle éminemment principal (le personnage est quasiment en permanence à l'écran), l'adolescente Lola Naymark, au charme si particulier. L'actrice, aperçue auparavant chez François Dupeyron, notamment dans Monsieur Ibrahim..., a, très justement, été sélectionnée pour son interprétation aux derniers "Césars" dans la catégorie "meilleur espoir féminin". Elle aurait, d'ailleurs, mérité de l'emporter. Brodeuses a reçu, pour sa part, le "Grand prix" de la Semaine Internationale de la critique à Cannes l'année dernière (ex aequo avec Mon trésor de Keren Yedaya) et a été désigné meilleur premier film par le Syndicat des critiques de cinéma.
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Claire est enceinte de cinq mois. A dix-sept ans, la jeune femme a quitté ses parents pour être indépendante. Elle travaille comme caissière dans un hypermarché d'Angoulême et consacre son temps libre à la broderie. Sa situation et celle du géniteur de son enfant ne lui permettent pas d'envisager autre chose qu'un accouchement sous X. Lorsque sa grossesse devient trop visible, elle prend un congé pour maladie et demande du travail à Mme Melikian, brodeuse à façon pour des maisons de haute couture. Celle-ci vient de perdre son fils, victime d'un accident de moto. Après s'être assuré de la qualité du travail de Claire, elle l'engage. Un matin, en arrivant dans la maison de son employeuse, elle trouve cette dernière sur le sol, inconsciente après une tentative de suicide. Les deux femmes vont, pendant et après l'hospitalisation de la plus âgée, nouer une relation affectueuse, sur un modèle presque filial.
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Sensible, délicat, Brodeuses est aussi séduisant parce qu'il repose sur un récit dont la trame est modeste, au sens distingué du terme, susceptible de toucher un large public. Eléonore Faucher, tout en soignant remarquablement l'esthétique de son film, se concentre sur l'essentiel, dans un mouvement narratif qui va de la fermeture vers l'épanouissement. Les thèmes fondamentaux de la vie, la mort, la filiation et l'amour sont développés avec simplicité et intelligence par la réalisatrice. Brodeuses est un humanisme, c'est à dire qu'il ne vise qu'à célébrer, à magnifier l'être. Et il y parvient sans forfanterie, seulement avec patience et art. Les deux actrices principales apportent une contribution significative à la réussite du film. Ariane Ascaride, tout en sévérité chaleureuse, est splendide. Lola Naymark illumine l'écran par sa flamboyante rousseur, bien sûr, mais aussi par la justesse, le naturel (en particulier dans le phrasé) et la délicatesse de son jeu. Elle possède, indiscutablement, l'étoffe d'une grande actrice.