"Comment pourrais-je me défiler ?"
Dubei dao
est, indubitablement, une des œuvres majeures de Chang Cheh
.
D'abord, il ouvre une nouvelle période dans la carrière du réalisateur.
Celui-ci, grâce au succès et à la notoriété de son film, va, presque
instantanément, gagner une position confortable, voire incontournable,
au sein de la Shaw Brothers. Ensuite, tout en l'inscrivant dans la continuité de son récent Bian cheng san xia
, Chang Cheh
y redéfinit les fondements de son style cinématographique et, par la même, rénove le wu xia pian. Dubei dao
est, probablement, le ou l'un des premiers films du genre à se
démarquer par sa violence narrative et visuelle. Avec l'idée de ce héros
manchot, il pose, enfin, le premier jalon d'une série, certes moins
durable que celle d'un autre personnage handicapé et redoutable (auquel il sera d'ailleurs opposé à l'écran en 1971), Zatôichi
, mais à l'impact significatif (Tsui Hark
n'en a-t-il pas fait un remake
en 1995 ?). Inspirée, sciemment ou non, par le chambara japonais, la première partie de la Trilogie du sabreur manchot
possède, à l'évidence, aussi une dette intellectuelle à l'égard d'une
autre trilogie qui venait de s'achever, celle d'un certain Sergio Leone
.









Le maître Qi Ru-feng
de l'école du Sabre d'or reçoit un message empoisonné. Il s'agit d'une
vengeance d'un groupe de brigands dont les projets ont été contrariés
par l'intervention de Qi. Pendant qu'on donne à ce dernier un antidote, son élève, Fang Cheng,
se bat seul contre les hommes accompagnant la missive. Il parvient à se
défaire de tous ses adversaires mais succombe au dernier assaillant.
Avant de mourir, il confie son jeune fils, Fang Gang, à Qi, lequel l'accepte spontanément comme son disciple et son enfant adoptif. Plusieurs années ont passé. Fang Gang, devenu un élève émérite en kung fu et en sabre, est néanmoins l'objet de vexations de la part de Qi Pei,
la fille puérile et capricieuse du maître, et de ses condisciples
d'extraction plus élevée. Plutôt que de continuer à subir ce traitement,
Fang Gang choisit de partir, mais, au cours d'une confrontation, Qi Pei lui tranche par surprise le bras droit. Gravement blessé, Fang Gang est accidentellement sauvé par Xiao-man,
une jeune paysanne, qui, avec l'aide de son grand-père et de son
cousin, va le soigner. D'abord découragé par la perte de son membre et,
par conséquent, de son art, Fang Gang va progressivement développer une efficace technique du bras gauche grâce à un manuel hérité de son père par Xiao-man. Mais sera-t-elle suffisante pour combattre le Démon au fouet, l'ennemi le plus dangereux de Qi Ru-feng, bien décidé à faire un cadeau mortel à l'occasion de l'anniversaire organisé par ce dernier et réunissant tous ses disciples.
C'est donc une légende qui voit le jour avec Dubei dao
. Les caractéristiques essentielles d'un personnage unique y prennent "corps". Les circonstances à l'origine de l'infirmité de Fang Gang,
la provenance et la raison de l'utilisation de son arme tronquée* y
sont, en effet, narrées. Si, manifestement, ce qui intéresse avant tout Chang Cheh
est la mise en scène (principalement en studios)
de l'action, le réalisateur prend toutefois le temps de développer la
psychologie de son personnage principal, de lui donner une densité
dramatique qui explique peut-être en partie sa longévité
cinématographique. Paradoxalement, le sabreur manchot reste pourtant
assez proche de la primarité de son cousin italo-américain Joe/Monco de la trilogie initiée en 1964 par Leone
avec Per un pugno di dollari
, tout comme le jeu limité des acteurs, respectivement Jimmy Wang Yu
et Clint Eastwood
,
sont assez comparables. Parmi les autres éléments de similarité entre
les deux séries, on peut également souligner le caractère très
secondaire des personnages féminins, même si deux d'entre eux ont une
influence sensible sur le cours des événements. La bande musicale** de
western (aux accents de film d'espionnage) qui accompagne Dubei dao
donne la touche finale à cette parenté a priori inattendue.
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*faisant de Fang Gang le pendant asiatique du Josh Randall de Wanted: Dead or Alive
.
**à noter que le film reprend, sans en changer une note, un extrait du "Sacre du printemps" de Stravinski pour une des scènes de combat.

**à noter que le film reprend, sans en changer une note, un extrait du "Sacre du printemps" de Stravinski pour une des scènes de combat.
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