mardi 5 avril 2005

Trois huit


"Je veux te faire chier, mon vieux... je te le dis gentiment."

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Entre deux comédies, Philippe Le Guay proposait en 2001, avec Trois huit, une œuvre "sérieuse" et dramatique sur un thème, hélas, très vivace. Ce film, inspiré d'un fait divers intervenu dans une usine de La Flêche (Sarthe) dans les années 1980, explore, avec intelligence, la complexité des relations humaines, notamment celles des rapports de domination et d'obéissance, ici entre collègues et entre père et fils. Le principal intérêt du film est d'éviter une inutile analyse psychologique pour se concentrer sur les faits et leur engrenage. Par ses caractéristiques, Trois huit cumule les qualités du documentaire social et du thriller, ce qui constitue, en soi, une gageure. Il est aussi servi par une mise en scène simple mais efficace et par un duo d'acteurs principaux assez étonnant.
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Bon époux, bon père, Pierre est également un collègue sympathique. Employé dans une usine de verre à Chalon-sur-Saône, il décide de passer en trois-huit pour pouvoir construire sa maison pendant ses semaines de travail de nuit et aussi mieux rembourser les échéances de son crédit. Ce changement coïncide avec le départ à Cannes, pendant un mois, de Carole, son épouse, pour y effectuer un remplacement intéressant en terme de promotion. Parmi les membres de la nouvelle équipe de Pierre figure Fred, un grand type baraqué, narcissique et volontiers frimeur. Celui-ci prend rapidement en grippe le nouvel arrivant. De mauvaises blagues et intimidations en provocations et affrontements plus sérieux, la tension va croître entre les deux hommes, dans l'apparente indifférence des autres ouvriers de l'équipe. Pierre va résolument chercher l'apaisement et l'amitié de son collègue ; Fred va, à l'inverse, user du subterfuge et du mensonge. Il finit même par prendre un ascendant inquiétant sur Victor, le fils de sa victime préférée.
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S'il fait le simple effort de ne pas être influencé par un titre assez peu attractif, le spectateur découvre alors un remarquable film, à mi chemin entre documentaire et fiction. Simple dans la forme, Trois huit parvient, en effet, à nous plonger dans un univers à la fois réaliste et fantastique. Celui, apparemment bien réglé, du personnage central et son progressif basculement dans la violence absurde et arbitraire au gré d'un jeu sournois de séduction et de domination. Ce qui est troublant dans la démarche du tortionnaire, c'est ce mélange de logique et d'irrationnel particulièrement bien dépeint par le film et mis en relief par le jeu de Marc Barbé. Il faut également souligner la convaincante prestation de Gérald Laroche, dans un rôle difficile de héros humilié mais positif et celle, solide, des acteurs secondaires. Dans un tout autre genre, Trois huit fait, bien sûr, penser à The Servant de Losey ou à La Meilleure façon de marcher de Claude Miller, mais (presque) sans incursion dans l'ambiguïté sexuelle de ses prédécesseurs. Un film qu'il faut incontestablement avoir vu.

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