mardi 12 avril 2005

Ridicule


"... Parce qu'un arbre pourri ne peut pas donner de beaux fruits."

Imaginez-vous déguster une coupe de champagne millésimé, un de ces "Blanc de Blancs" issus des meilleurs coteaux de la zone d'appellation. Pendant que son doux pétillement vous taquine la langue et le palais et vous donne la sensation de chatouiller légèrement votre cervelet, sa belle ampleur et son élégance en bouche évoquent subtilement la terre et l'ensoleillement de la vigne. Ridicule ressemble, métaphoriquement, à ce champagne. Intelligent, souvent brillant, en un mot, enthousiasmant. Il est, sans nul doute, l'un des meilleurs films de Patrice Leconte depuis Tandem. Un scénario solide, inspiré des mémoires de la comtesse de Boigne, une réalisation irréprochable et une distribution superlative sont au service de cette exquise comédie satirique, mêlant harmonieusement légèreté et gravité. Présenté en compétition et en ouverture d'un 49e Festival de Cannes très relevé, Ridicule s'est vu préférer Secrets & Lies de Mike Leigh par le jury présidé par Francis Ford Coppola. Le film a également été sélectionné aux Academy Awards et aux Golden Globes dans la catégorie "meilleur film étranger" et obtenu, sur douze nominations, quatre "César" (dont meilleur film et meilleur réalisateur).
La France des années 1780. Pour sauver ses paysans de la Dombes, victimes de l'insalubrité des marais, le jeune baron et ingénieur hydrographe Grégoire Ponceludon de Malavoy monte à Versailles pour essayer de convaincre le roi Louis XVI de lui accorder la charge et lui donner les moyens d'assécher ces marécages. Le marquis de Bellegarde, médecin et physiologiste influencé par la philosophie rousseauiste, l'héberge, lui prodigue des conseils pour s'introduire à la Cour et l'initie aux usages en vigueur. Sa fille Mathilde, scientifique, se livre à des expériences de plongée avec un scaphandre. Elle doit épouser monsieur de Montalieri dont la fortune lui permettra de financer ses recherches. Grégoire, dont les démarches ne rencontrent aucun succès, découvre rapidement l'hypocrisie et la cruauté des gens de Cour, tels madame de Blayac et l'abbé de Vilecourt. Malgré l'affection réciproque qui le lie à Mathilde, Grégoire, pour rencontrer le roi, devient l'amant de la comtesse.
Ridicule, en relatant un destin singulier, constitue également une éclatante chronique d'une époque cruciale de l'Histoire de France, celle qui précède la fin de la monarchie, et de quelques uns de ses us et abus. Une période au cours de laquelle le trait d'esprit était plus recherché que la vérité et plus meurtrier que l'épée ou le pistolet. Leconte montre bien, sur fond d'antagonisme religion-science, l'affrontement inégal entre, d'un côté, la sincérité, l'utilité et l'humanité et, de l'autre, la duplicité, la futilité et la férocité machiavélique, oppositions et isolement de castes (on ne parle pas encore de classes) qui convergeront vers la Révolution. Le film est d'autant plus percutant que la satire qu'il développe pourrait, tout aussi bien, s'appliquer à notre propre société. Deux séquences symboliquement fortes sont à souligner, celle de la pollinisation par robe interposée et celle de l'acclamation des sourds-muets, paradoxale et réjouissante manifestation dans une période où la parole n'est pas seulement un atout mais une arme. Le scénario, épatant de finesse et de spiritualité, et la mise en scène, d'une belle efficacité, servent à merveille de remarquables acteurs, principaux comme secondaires. A consommer (terme trop trivial qu'il vaut mieux, ici, remplacer par "savourer")... sans aucune modération ! 

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