vendredi 31 décembre 2004

Janghwa, Hongryeon (deux sœurs)


"Taritakum. Taritakum."

Nous attendions, depuis San geng, Kim Jee-woon sur un format plus long, puisque ses deux premiers films sont encore inédits en France. L'attente était d'autant plus intéressée et curieuse que Janghwa, Hongryeon a reçu, cette année, deux "Grand prix", dont celui du jury (en moins de deux minutes et à l'unanimité) présidé par Paul Verhoeven, au Festival de Gérardmer. Mais l'édition 2004 de Fantastic'arts n'avait pas la richesse de la précédente qui avait couronné Honogurai mizu no soko kara. Si le cinquième film du réalisateur asiatique est plutôt efficace dans le genre horrifique, il déçoit encore, comme nous l'avions déjà souligné à propos du segment de San geng, en privilégiant exagérément les ambiances au détriment du contenu narratif. L'ombre du grand Hideo Nakata n'est, encore une fois, pas très loin, mais, plus que de le motiver, elle semble intimider le jeune cinéaste sud-coréen qui possède néanmoins une jolie palette technique.
Su-mi et Su-yeon, deux sœurs très liées, reviennent après une longue absence convalescente dans la maison familiale, isolée à la campagne. Elles sont accueillies par Eun-joon, leur belle-mère qu'elles n'apprécient pas. Su-mi la méprise et la défie, alors que Su-yeon, plus fragile et craintive, préfère l'éviter. La première nuit, celle-ci, terrorisée, se réfugie dans la chambre de sa grande sœur, convaincue que quelqu'un a cherché de entrer dans sa chambre pendant qu'elle dormait. Le malaise croît peu à peu et des événements étranges se multiplient (les oiseaux de Eun-joon sont retrouvés morts et une invitée, prise d'une crise d'épilepsie, voit un fantôme de petite fille sous l'évier). En l'absence d'une intervention énergique du père de famille, les rapports entre les deux sœurs et leur belle-mère deviennent de plus en plus cruels et hystériques. S'agit-il de la réalisation d'une vengeance, d'une intrigue pour éliminer Su-mi ou de phénomènes surnaturels ?
Ce conte populaire coréen de tradition orale, vieux de plusieurs siècles, intitulé "Janghwa Heungryeonjeon" ("Rose rouge et Lotus rouge", du nom des deux jeunes filles), avait déjà été adapté à l'écran au moins à cinq reprises. La version de Kim Jee-woon joue sur l'association des dimensions psychiatrique et fantastique. Elle peut cependant se voir également, a posteriori, comme un drame familial ordinaire. Mais à trop brouiller les pistes et en accordant la prééminence à la forme sur le fond, elle échoue à être un vrai bon film. Bien sûr, si la narration non linéaire sert l'intrigue et attise, par le renouvellement successif de sa trame complexe, la curiosité du spectateur, elle rend l'attente de celui-ci parfois un peu longue et artificielle. Nous n'apprenons et il ne se passe quasiment rien au cours de la première moitié du métrage. Huis clos oppressant et inquiétant, Janghwa, Hongryeon vaut surtout pour son traitement visuel et sonore (choix des décors, des éclairages, des plans et des cadrages souvent inspirés, bande-son accentuant bruits, cris et basses fréquences) et l'interprétation des acteurs, en particulier les trois jeunes femmes des rôles principaux, dont l'expérience n'est pourtant pas très longue. Signalons, pour terminer, la belle musique, astucieusement décalée, de Lee Byung-woo dont nous avions découvert le talent dans le film d'animation de Lee Seong-kang, Mari iyagi.

jeudi 30 décembre 2004

Red, White & Blues


"... champs de coton de la Tamise."

Comme cela s'est passé dans l'histoire de la musique, la meilleure façon de rendre hommage au blues des origines est de s'intéresser à celui qui est né et s'est magnifiquement développé en Grande-Bretagne à partir des années 1950 et à quelques uns de ses formidables créateurs et interprètes. Le réalisateur (Stormy Monday dans lequel la musique, composée par le metteur en scène, joue un rôle important, Internal Affairs, Leaving Las Vegas) mais aussi pianiste Mike Figgis, second européen, après Wim Wenders, pouvait-il participer au projet collectif The Blues sans traiter ce sujet spécifique ? Ce sixième opus, qui porte haut les couleurs du pays qu'il évoque, a choisi le modèle du simple documentaire, mélangeant extraits d'interviews et images d'archives mais le résultat est, au moins pour trois raisons principales, réellement passionnant. D'abord, parce que Figgis a considéré, avec raison, que la "meilleure façon de filmer des musiciens est de les serrer de près" et il s'y tient, son film évitant ainsi le côté conventionnel et parfois lisse du genre. Ensuite, parce que l'on ne parle pas de la même manière et ne reçoit pas des réponses identiques lorsqu'on est soi-même musicien. Enfin, parce que Red, White & Blues est rythmé par une superbe session live réunissant quelques jolies pointures du blues anglais et une non-moins jolie découverte, la chanteuse écossaise Lulu.
Studios d'Abbey Road de Londres, du 11 au 13 mars 2002. Van Morrison, Tom Jones, Jeff Beck et quelques autres artistes sont réunis pour jouer, sans cérémonie, des titres du répertoire blues. C'est aussi l'occasion de les interroger sur l'histoire du blues au pays de sa gracieuse majesté. L'après-guerre : émergence des big bands et autres orchestres de danse des grands hôtels, héritage de Jelly Roll Morton et du jazz, opposition revival/be bop, rôle du trompettiste Ken Colyer et de Big Bill Broonzy. Skiffle & Lonnie Donegan : apparition et influence de ce folk britannique, inspiré du bluegrass américain crée par les anciens émigrants irlandais ou écossais. "Bad Penny Blues" : crée par le trompettiste Humphrey Lyttelton dont le boogie a "largement" inspiré le "Lady Madonna" des Beatles. Groupes en tournée : introduction de Ray Charles en Grande-Bretagne par Eddie Cochran, concerts de Muddy Waters, John Lee Hooker et d'autres maîtres du blues en Angleterre. Clubs : comme le "Flamingo" qui permet, notamment, aux musiciens du cru d'apprendre leur métier devant une population majoritairement antillaise mais fréquenté par les G.I. en week end et par un certain Otis Redding. Vinyl : les productions prisées des labels US Vee-Jay, Riverside ou Prestige et le rôle des radio militaires US en Europe. "Stormy Monday" : l'histoire d'un single né sous X ou C. Farlowe est-il Noir ? Guitars : leur première guitare, les suivantes et la technique des guitaristes. L'explosion des sixties : la révolution électrique initiée par Alexis Korner et Cyril Davies au "Marquee", Eric Clapton, Spencer Davis, l'influence blues sur les Beatles et les Stones, John Mayall et Cream Retour en Amérique : les groupes britanniques investissent les scènes et les studios d'enregistrement US et permettent une reconnaissance du blues par la population locale blanche, tentatives de définition du blues Portée du blues anglais ? une conclusion en forme de question.
Est-ce un paradoxe si l'un des meilleurs documentaires de la série The Blues est consacré au blues Blanc ? Non, car (cela a déjà été dit) les musiciens britanniques ont été ceux qui ont le mieux compris et servi ce genre universel né dans le sud des Etats-Unis. Et ils le prouvent encore devant les caméras de Mike Figgis qui a lui-même activement participé à la période dont il est question en jouant dans un groupe de blues, prémisse de Roxy Music, aux côtés de Bryan Ferry. Pour mettre le mieux en évidence et résumer le phénomène, il suffirait d'écouter l'édifiante et drôle anecdote de son prétendu homonyme racontée par Chris Farlowe dans le documentaire. Mais, derrière le minimalisme (une qualité à mettre à son crédit) du film, lequel alterne, grâce à un montage rapide mais intelligent, interviews, archives et prestations musicales qui se répondent les uns aux autres, c'est une page essentielle de l'histoire de la musique qui est brossée, le rôle pédagogique de ce travail étant un de ses atouts incontestables. Toutes les interventions ne sont, bien sûr, pas d'un intérêt équivalent et, curieusement, Clapton apporte une contribution de commentateur nettement inférieure à celle qu'il a eu en tant que musicien. Rassurez-vous, il y a assez d'excellents moments pour vous faire oublier cette faiblesse. Savourez notamment les prestations de Van Morrison et de Jeff Beck et découvrez, si ce n'est déjà fait, le talent de Lulu. Un regret, toutefois, en forme de question : pourquoi ne pas voir donné la parole à Jon Cleary, ce formidable pianiste-compositeur anglais installé à la Nouvelle-Orléans et fondateur des "Absolute Monster Gentlemen" ?

Intervenants : Humphrey Lyttelton*, Chris Barber, Lonnie Donegan*, George Melly, Eric Clapton, John Mayall, Albert Lee*, Bert Jansch, Eric Burdon, Stevie Winwood, Van Morrison*, Davy Graham, Georgie Fame*, Tom Jones*, Mick Fleetwood, Chris Farlowe*, John Porter, Peter Green, Jeff Beck*, B.B. King.

Archives : Big Bill Broonzy, Cream, Alexis Korner, Sonny Terry & Brownie McGhee, Rolling Stones, Sister Rosetta Tharpe, Muddy Waters, Lead Belly, B.B. King.
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*également interprètes auxquels s'ajoutent Peter King, Lulu et Jon Cleary.

The Stepford Wives (et l'homme créa la femme)


"Je peux faire mieux."

Les films adaptés des œuvres d'Ira Levin sont souvent plus connus, au moins chez nous, que les romans eux-mêmes. Le premier ouvrage, A Kiss Before Dying, publié alors que l'auteur a vingt-deux ans et porté à l'écran dès 1956, Rosemary's Baby, The Boys from Brazil ou même Deathtrap, tiré de la pièce de 1978 longtemps jouée à Broadway, ont connu d'importants succès publics au cinéma. Dans le cas de The Stepford Wives, on peut légitimement affirmer que le livre édité en 1972 a marqué les esprits dès sa parution au point de devenir une référence sociale et culturelle durable aux Etats-Unis... et pas seulement dans le Connecticut. Le film réalisé en 1975 par Bryan Forbes est venu renforcer cette influence. La version (plus que remake) de Frank Oz ne possède visiblement les mêmes ambitions satiriques et artistiques que celles de son prédécesseur. Cette pure comédie à tendance fantastique n'a d'ailleurs pas déchaîné les foules. Les seules entrées US n'ont, en effet, pas permis d'amortir son coût de production d'environ 90M$. C'est grâce à l'exploitation internationale du film que Dreamworks et Paramount sont parvenus à retrouver leur mise initiale. En France, The Stepford Wives (au titre français bien stupide) a connu une courte et décevante carrière.
Joanna Eberhart (Nicole Kidman), une brillante créatrice de reality shows sur une chaîne de télévision dont elle est la patronne, vient de se faire renvoyer après à un regrettable incident public. Profondément déprimée, elle est emmenée loin de New York par son ancien collaborateur de mari, Walter Kresby (Matthew Broderick). Ils s'installent, avec leur deux enfants, dans la petite localité de Stepford, sorte de monde parfait en réduction créé et animé par Claire & Mike Wellington (Glenn Close et Christopher Walken). Le couple Kresby n'est pas très solide, en raison notamment de l'autorité sans partage qu'exerce Joanna en permanence. Celle-ci se rend rapidement compte que sa personnalité castratrice tranche avec celle des dociles et artificielles épouses des familles de la communauté de Stepford. Avec d'autres excentriques, l'écrivain Bobbie Markowitz (Bette Midler) et l'architecte homosexuel Roger Bannister (Roger Bart), elle va tenter de découvrir ce que cache cet apparent havre de paix.
Ce qui caractérise cette adaptation de l'intéressant ouvrage d'Ira Levin, c'est son paradoxal manque de subtilité. Il est vrai qu'avec un scénario signé Paul Rudnick (Addams Family Values ou In & Out déjà avec Frank Oz), il ne fallait pas s'attendre à beaucoup de sobriété. Les amateurs de comédies délirantes (pas très drôles) sont servis. C'est d'autant plus dommage qu'il y avait probablement matière à actualiser la thématique satirique sur les relations homme-femme développée, il y a trente ans, par le roman. Le thriller de Bryan Forbes, avec sa troublante fin ouverte, respectait davantage l'esprit du livre. La comédie de Frank Oz, le réalisateur du tout juste moyen The Score, lui emprunte sa trame pour en faire totalement autre chose. C'est un choix respectable, mais, au vu du résultat, contestable. D'autant que celui qui donne sa voix à Yoda dans la saga Star Wars et à Fozzie Bear/Miss Piggy... dans The Muppet Show semble ne l'assumer qu'avec frilosité, comme lorsqu'il coupe la séquence, utilisant massivement les effets spéciaux, dans la cuisine de Bobbie. Sa mise en scène est un exemple de classicisme circonspect. Le casting est dominé par la présence énergique et radieuse de Glenn Close, une actrice toujours efficace quelques soient les conditions. Elle relègue l'omniprésente et omnipotente Kidman au rayon des accessoires, bien que le rôle contrasté de celle-ci, entre brune hystérique et poupée blonde et sotte, lui aille comme un gant. L'interprète de Suzanne Stone dans To Die For ne parvient pas à faire oublier la trop rare Katharine Ross, celle qui était la fille de Mrs. Robinson/Anne Bancroft dans The Graduate, actrice seulement aperçue, en 2001, dans le Donnie Darko de Richard Kelly. Le transparent Matthew Broderick donne peu d'épaisseur au personnage de Walter destiné au départ à John Cusack. La sœur de ce dernier, Joan Cusack, devait d'ailleurs apparaître dans le rôle de Bobbie, finalement dévolu à la prévisible Bette Midler. Au final, on peut donc nourrir quelques regrets lorsque l'on sait que Tim Burton a, un moment, été pressenti pour réaliser le film.