Feux rouges

"... Fallait que je sorte des rails."

Trois ans après Roberto Succo, Cédric Kahn s'intéresse à une autre adaptation d'un ouvrage, une fiction cette fois, signé Georges Simenon en 1953. Le prolifique auteur est surtout connu à l'écran (le petit en particulier) pour son personnage de Maigret, mais son œuvre a principalement marqué le cinéma pour les deux versions des "Fiançailles de M. Hire", celles de Julien Duvivier et de Patrice Leconte. Feux rouges s'inscrit dans le même esprit que ces dernières, mélange de drame, de suspense criminel et d'atmosphère étrange, abordant également le thème du couple déjà présent dans Le Chat, adapté par Pierre Granier-Deferre. Un projet de porter le roman à l'écran, à l'initiative du producteur Harold Hecht (Marty, Sweet Smell of Success), peu de temps après sa publication, avait finalement été abandonné. Le film de Cédric Kahn a été, cette année, candidat à l'"Ours d'or" du Festival de Berlin.

Paris, en juillet. Antoine Dunan (Jean-Pierre Darroussin) et son épouse Hélène (Carole Bouquet) doivent prendre la route pour aller chercher leurs deux enfants dans les Landes et passer ensuite avec eux deux semaines de vacances. Antoine est un employé d'assurance anonyme, Hélène est une avocate d'affaires réputée et appréciée par ses associés. En attendant celle-ci, car elle est en retard, dans le café où ils ont rendez-vous, Antoine consomme plusieurs bières. Peu après, prétextant préparer la voiture pendant que madame s'occupe des bagages, il ajoute un double scotch à son régime alcoolisé. Sur l'autoroute, le couple est pris dans les embouteillages des départs estivaux. L'atmosphère entre les deux époux est à l'orage. Antoine décide brusquement d'emprunter les routes secondaires pour sortir de leur avancée laborieuse, se trompe de direction, emballe la conduite et la conversation avec Hélène. La nuit est tombée. Après un premier arrêt ravitaillement alcoolique, Antoine stoppe à nouveau, cette fois devant une boîte de nuit, pour continuer sa tournée. Hélène lui déclare que s'il sort, elle continuera la route seule. Pour l'empêcher de partir avec la voiture, il emporte la clé du véhicule. Lorsqu'Antoine revient, Hélène n'est plus là. Un message laissé indique qu'elle a décidé de prendre le train. Plus tard, Antoine, n'ayant pas réussi à retrouver sa femme, prend en stop un individu inquiétant qui pourrait bien être le dangereux criminel échappé de prison et recherché par toutes les polices.

Plus que l'histoire, ce sont les ambiances et surtout le jeu de Jean-Pierre Darroussin qui font l'intérêt du film. Feux rouges évoque à la fois le road-movie, transposé, comme le roman, en France et la transgression. Entre réalité et illusions parfois fantasmatiques, l'intrigue emmène sûrement le spectateur vers... le doute et l'expectative. Cette vision trouble est assez bien traduite par la mise en scène de Cédric Kahn, même si l'on aurait aimé y trouver une dose supplémentaire d'angoisse et de tension. On est aussi un peu dérouté par la conclusion du film, dans son appréciation au premier degré. Mais, compte tenu des niveaux de lecture possibles, elle peut receler un sens moins trivial. Le film repose essentiellement sur l'interprétation de Darroussin qui a, intelligemment, su éviter les excès de l'ivresse pour composer un personnage "sobre" et nuancé sur le plan psychologique. Il incarne à merveille cet Antoine à la recherche d'une identité et de virilité auprès de sa brillante épouse, tout à la fois inquiet et heureux de devoir l'affronter dans un long huis clos routier, choisissant l'alcool comme expédiant à son appréhension. Il est intéressant de noter la double opposition entre les personnages et le jour et la nuit. Antoine, à l'inverse d'Hélène, est faible et vulnérable le jour, mais trouve, la nuit tombée, une force et une capacité de résistance que l'on imaginait pas chez lui. Soulignons enfin la qualité graphique de l'introduction du film et la présence insolite de la musique de Debussy dont la contribution à l'atmosphère est pourtant loin d'être anecdotique.