lundi 11 décembre 2006

Roberta


"What do you mean, 'strings'?"

 - film - 43992_12
Avant de devenir une production RKO, Roberta a d'abord été une comédie musicale jouée près de trois cents fois à Broadway, elle même tirée du récent roman publié en 1933, "Gowns by Roberta", d'Alice Duer Miller, auteur bien connu à Hollywood depuis les années 1920. C'est en assistant à l'une des représentations que le producteur Pandro S. Berman eut l'idée d'acquérir les droits d'adaptation également convoités par la MGM et la Paramount. La réalisation est confiée à William A. Seiter, un habitué des comédies pures, avec Laurel & Hardy notamment, romantiques ou musicales. Le quatuor Irene Dunne-Fred Astaire-Ginger Rogers-Randolph Scott y reprennent les rôles tenus sur scène respectivement par l'Ukrainienne Tamara Drasin, Bob Hope/George Murphy*, Lyda Roberti et Raymond E. Middleton**. Moins éclatant que Top Hat de Mark Sandrich, produit par le studio avec le même couple de danseurs en vedette et sorti quelques mois plus tard, Roberta est, en revanche, susceptible d'intéresser les amateurs de mode et de haute-couture.
 - film - 43992_15
Huck(leberry) Haines et son groupe de musiciens, les Indianians de Wabash, débarquent du paquebot arrivé au port du Havre. Alexander Petrovitch Moskovich Voyda, le directeur du club qui les a engagé venu à leur rencontre, découvre qu'il y a eu méprise. Il croyait avoir affaire avec de folkloriques indiens à plumes et non pas à de quelconques artistes originaires de l'Indiana. Haines décide d'emmener son orchestre à Paris, accompagnant le footballeur John Kent avec lequel ils ont effectué la traversée de l'Atlantique. Dans la capitale, celui-ci rend visite à sa tante Minnie, créatrice de la célèbre maison de couture "Roberta". Il y fait la connaissance de Stephanie, la modéliste et plus proche collaboratrice de sa chère parente qu'il sauve des griffes d'une impétueuse cliente, la comtesse Tanka Scharwenka. Il profite de son avantage auprès de cette chanteuse d'un cabaret chic, elle aussi sensible à son charme, pour placer ses amis musiciens. La jeune femme s'avère être, en réalité, une vieille connaissance, sans origine aristocratique, de Haines, lequel monnaie son silence contre un recrutement. Mais Mme Roberta décède bientôt, faisant de son neveu, sans compétence en matière de confection, son héritier.
 - film - 43992_17
Comme dans Flying Down to Rio, la première de leurs dix collaborations, Ginger Rogers et Fred Astaire ne tiennent dans Roberta que des rôles de soutien. Ce sont pourtant eux qui apportent l'essentiel de l'intérêt et de la vivacité du film. Dans cette intrigue romantique, chantée et dansée, qui réunit pêle-mêle mondanité et rusticité, Français, Etasuniens et Russes Blancs, la rivalité entre l'ex-fiancée prétentieuse de John Kent et la douce et bien-née Stephanie passe un peu au second plan au profit de la performance des danseurs et des chansons, "Yesterdays", "Smoke Gets in Your Eyes" et "Lovely to Look At"***, devenus depuis de véritables hits de la comédie musicale. Randolph Scott, nettement plus à l'aise dans le genre western, retrouvera néanmoins le duo Rogers et Astaire l'année suivante dans Follow the Fleet de Mark Sandrich.
___
*dans une combinaison des personnages interprétés par les deux comédiens. Hope reprendra son rôle pour un téléfilm diffusé sur NBC en 1962.
**Fred MacMurray, encore méconnu, apparaissait en jeune saxophoniste dans la pièce ; dans le film, on aperçoit brièvement Gene Sheldon en banjoïste maladroit.
***composée pour le film et sélectionnée aux Academy Awards 1936. Mervyn LeRoy donnera ce titre à sa propre version de la pièce dans une production MGM de 1952.

I Am a Fugitive from a Chain Gang (je suis un évadé)


"... Par le travail... ou la mort !"

 - film - 10353_6
Moins connu que le Scarface d'Howard Hawks sorti la même année, avec également Paul Muni en tête d'affiche, I Am a Fugitive from a Chain Gang lui est peut-être supérieur. Le polyvalent Mervyn LeRoy, venu de la comédie et qui œuvrera bientôt comme producteur au sein de la Warner puis pour la Metro-Goldwyn-Mayer, avait déjà montré sa capacité à diriger de solides polars tels que Little Caesar, Five Star Final ou Two Seconds. En plein âge d'or du cinéma fantastique à Hollywood, le cousin de Jesse L. Lasky, avec le récit autobiographique de Robert E. Burns, publié en plusieurs parties au début des années 1930 dans une revue du New Jersey, s'attaquait à un sujet nettement plus social* et politique. Le film n'a-t-il d'ailleurs pas contribué à influencer la réforme du régime carcéral en Géorgie ? Sélectionné aux Academy Awards 1934, I Am a Fugitive... permettait à son acteur vedette d'obtenir la deuxième de ses six nominations aux "Oscars".
 - film - 10353_9
Le sergent James Allen, démobilisé à la fin de la Première Guerre mondiale, retourne dans sa petite ville de Lynndale. Il y retrouve sa mère, son révérend de frère, Clint et, malgré sa réticence, un emploi dans l'usine de chaussures de M. Parker. Parce qu'il a participé, pendant le conflit, à quelques ouvrages de construction, Allen rêve de travailler dans le génie civil. Il quitte bientôt son poste et part à Boston. Mais la situation économique n'est guère favorable. Soumis au régime des emplois précaires, il est contraint de sillonner l'Est du pays sans pour autant éviter le chômage et la pauvreté. Un soir, il rencontre dans une pension un inconnu appelé Pete qui lui offre spontanément le dîner dans un snack voisin. En réalité, Allen est obligé, sous la menace d'un revolver, de l'aider à voler la modeste recette de l'établissement. Le braqueur est rapidement abattu par un policier, Allen est arrêté pour complicité et condamné à dix de travaux forcés dans un pénitencier. Les conditions de vie à l'intérieur de la prison se révèlent vite intolérables et l'innocent enchaîné commence à échafauder un plan d'évasion.
 - film - 10353_11
I Am a Fugitive from a Chain Gang n'est peut-être pas le premier film dépeignant l'univers carcéral, mais il en est certainement l'un des plus réussis. Son influence sur les productions ultérieures, en particulier The Defiant Ones de Stanley Kramer ou Cool Hand Luke et Brubaker de Stuart Rosenberg, est également manifeste. Mais il n'est pas que cela puisqu'il soulève l'épineux problème de la réinsertion (des anciens militaires et prisonniers) et stigmatise, sans ménagement, les défaillances, voire l'hypocrisie, du système judiciaire et gouvernemental étasunien. Une dénonciation qui a, malheureusement, gardé toute son actualité, pas seulement outre-Atlantique. L'acuité du scénario est évidemment renforcée par l'authenticité des faits relatés, prouvant une nouvelle fois l'affirmation de Mark Twain selon laquelle "la réalité dépasse la fiction..."** Le film de Mervyn LeRoy offre à Paul Muni l'occasion de mettre en évidence son talent et d'atteindre au cinéma un succès comparable à celui rencontré sur scène. A ses côtés apparaissent, trop fugitivement, un groupe de charmantes jeunes femmes, parmi lesquelles Glenda Farrell incarnant la venimeuse Marie Woods et le moins séduisant Edward Ellis, le futur Thin Man de W.S. Van Dyke et shérif du Fury de Fritz Lang. Daniel Mann adaptera, cinquante-cinq ans plus tard, pour la télévision l'ouvrage de Robert E. Burns sous le titre The Man Who Broke 1,000 Chains avec Val Kilmer dans le rôle principal.
___
*le film est probablement l'un de ceux qui ont forgé la réputation "sociale" du studio hollywoodien dans les années 1930.
**"... car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas de la réalité."