lundi 31 mai 2004

Errance

"Ca va aller."

Il y a des moments où l'autosuggestion ne suffit plus. Errance est le deuxième et avant-dernier film de Damien Odoul. Après plusieurs courts métrages, dont A L'Ouest de l'Orient, ("Prix spécial du jury" au Festival de Clermont-Ferrand et sélectionné à Cannes), Le Souffle, son premier long métrage pour le cinéma, obtient le "Prix de la critique internationale" à Venise. Errance constitue le troisième et dernier volet d'une trilogie débutée avec le téléfilm Morasseix!!! et continuée avec Le Souffle.
En trois époques et trois lieux (successivement Gevaudan, bord de la Méditerranée, la grande ville, de 1968 à 1973), un couple, Jacques (Benoît Magimel), alcoolique notoire (peut-être traumatisé par la guerre d'Algérie ?) et professionnellement nonchalant et Lou (Laetitia Casta), sans qualité particulière en dehors de son apparence, se déchire et se retrouve sous les yeux de son jeune fils César (Mattéo Tardito), né au début du récit. En cherchant à tout prix, mais sans fournir d'effort, le moyen de faire matériellement vivre sa petite famille, Jacques connaîtra un sort tragique.
Un problème de format ? On ne peut, décemment, pas dire qu'il se passe grand chose au cours du film. Les personnages changent de lieu, de silhouette mais restent fondamentalement les mêmes. D'ailleurs, la performance essentielle, pour Benoît Magimel, est de prendre une bedaine de buveur de bière ; pour Laetitia Casta, de se teindre en blonde. L'ex mannequin n'est d'ailleurs, après cinq films, toujours pas une actrice. Errance a des faux airs de 37°2 le matin mais sans l'arrogance et la folie de Dalle ni la provocation d'un Beineix. A part cela ? Rien, désespérément rien ! Ah si ! L'étrange mixture musicale composée du "You don't have to say you love me" (version anglaise de l'original "Io che non vivo senza te" de Pino Donaggio, immortalisé en français par Richard Anthony en 1966, "Jamais je ne vivrai sans toi") et de l'extrait des Rückert-lieder de Gustav Malher, "Ich bin der welt abhanden gekommen" (Je me suis retiré du monde)

dimanche 23 mai 2004

Kill Bill: Vol. 2 (kill bill volume 2)


"Peut-être ai-je exagéré !"

Le corps et l'âme. Voilà comment on pourrait distinguer et, en même temps, réunir les deux opus de ce diptyque tarantinien. Je n'étais pas spécialement bien intentionné avant de découvrir ce Kill Bill - vol.2 (dans quel esprit eus-je été après l'annonce du palmarès de Cannes ? Mais ne faut-il pas rester, en toute occasion, objectif !). Il suffit, pour s'en faire une idée, d'aller faire un tour sur le forum dédié au premier épisode. Si ce Volume 2 me réconcilie avec le film et le réalisateur, il reste une pomme de discorde avec ceux qui ont pris l'imbécile, la néfaste décision de scinder l'ouvrage en deux. Et le teasing de cent soixante treize jours en devient, a posteriori, encore plus insupportable. Voilà donc le contenu de l'enveloppe formelle, son souffle extatique sans lequel rien n'a de sens ni de vie. Bien sûr, la violence est toujours de mise, mais elle n'est plus sourde et muette.
Après avoir trucidé deux de ses adversaires dans le Volume 1, The Bride (Uma Thurman) est au prise avec ses trois plus dangereux (presque) ennemis : le vacher Budd (Michael Madsen), la borgne Elle Driver (Daryl Hannah) et le frère du premier, l'ultime étape de la vengeance, Bill (David Carradine). Elle devra, pour mettre toutes les chances de son côté, mettre à profit son difficile apprentissage de Pai Mei (Gordon Liu).
Difficile exercice de parler d'un film comme celui-là s'en en révéler les ressorts. Restons alors dans l'analytique. De toutes évidences, c'est le metteur en scène qui s'amuse le plus. Et il réussit le tour de force de nous en faire profiter largement. D'abord parce qu'il se joue (positivement) de ses personnages comme de son public. On ne sait où tout cela va le (nous) mener. On ne sait à quel(s) genre(s) on a affaire. Film noir (introduction-résumé), western-spaghetti ou film d'action asiatique. Les références sont nombreuses ; elles se croisent (et se décroisent) sans cesse. Et comme une âme se doit d'être belle, le film est, plastiquement, aussi une réussite. Dans cette phase d'explications (aux nombreux sens du terme), de nombreuse énigmes sont, évidemment, résolues. Parmi elles, le nom de l'héroïne et la raison pour laquelle le générique du Volume 1 était associé à la chanson de Nancy Sinatra, "Bang Bang". Curieusement, avec ce film, Tarantino, cet électron libre invétéré, renoue avec une tradition cinématographique que l'on croyait interrompue. On peut même dire, sans précaution oratoire, qu'il figure à présent comme le dernier maillon, et le plus fidèle, de la chaîne qui unissait Lubitsch, Wilder et Mankiewicz. Son art unique à mettre en scène la femme, en particulier une Uma Thurman étourdissante de beauté et de talents, le rapproche infiniment de ce dernier. Il n'y a plus qu'à attendre le Volume 3... lorsque la fille sera l'égale de la mère ! 

vendredi 21 mai 2004

Jackie Brown


"Espère qu'on le retrouve avant qu'il ne te retrouve."

Après la violence froide et formelle de Reservoir Dogs et Pulp Fiction, Jackie Brown joue sur un autre registre. C'est probablement ce qui fait son charme particulier et la raison pour laquelle il est l'un de mes films préférés du réalisateur. Ce registre, c'est celui de la nonchalance, une qualité tarantinienne assez peu exploitée dans ses autres oeuvres. Il ne s'agit pas d'épater par la fulgurance et l'accélération mais, à l'inverse, de séduire par une certaine lenteur (rythmée), voire une réelle inertie. L'autre intérêt du film, c'est la présence d'une femme dans le rôle principal et la composition d'une atmosphère qui fait adroitement revivre les années 70, notamment grâce à la bande originale sur laquelle il faut insiter. Enfin, Jackie Brown est, avec True Romance, l'autre seule authentique histoire d'amour de la filmographie de Quentin Tarantino.
Jackie Brown (Pam Grier) est hôtesse de l'air, avec déjà pas mal d'heures de vol au compteur, dans une compagnie aérienne mexicaine de troisième zone. Elle améliore ses fins de mois en transportant de l'argent pour le compte du trafiquant d'armes Ordell Robbie (Samuel L. Jackson). A l'arrivée d'un de ses voyages professionnels, elle est arrêtée par la police en possession de 50 000$ et d'une dose de cocaïne. Ordell Robbie demande alors à Max Cherry (Robert Forster), un prêteur sur cautions, de faire le nécessaire pour la libérer. Craignant d'être assassinée comme Beaumont, un autre "employé" d'Ordell, Jackie va mettre au point un stratagème destiné à faire croire à l'inspecteur fédéral Ray Nicolette (Michael Keaton) qu'elle coopère avec lui pour faire tomber Ordell, donner le change à ce dernier en lui promettant de rapatrier du Mexique son demi-million de dollars au nez et à la barbe de la police... et de mettre la main sur le magot avec la complicité de Max, secrètement amoureux d'elle.
Adapté du roman d'Elmore Leonard*, "Rum Punch" (punch créole)**, paru en 1992, le troisième film de Tarantino transpose l'action de Floride en Californie et, surtout, remplace une Jackie Burke blanche par une Jackie Brown noire. Ce choix n'est pas neutre puisque l'intention du réalisateur est de donner une "coloration" seventies à son film et de faire un clin d'oeil appuyé au Black Exploitation Movie de cette époque. Pam Grier en a été l'une des figures de proue, notamment dans Foxy Brown, auquel le titre et le personnage de Jackie Brown rendent une forme d'hommage. Autre "caution" au cinéma des années 60-70, la présence de Robert Forster(Reflections in a Golden Eye, Medium Cool). Les manies préférées de Tarantino sont toujours apparentes : la manipulation, la citation cinématographique, la caricature. Double manipulation des individus, dans une approche très scénique, presque lyrique ou chorégraphique ; citation (et autocitation) quasi permanente et caricature, proche de la bande dessinée, des personnages. Dans ce dernier compartiment, les personnages de Ray Nicolette, qui joue au flic et celui du presque débile ex-co-détenu et ami d'Ordell, Louis Gara (Robert De Niro), sont les plus réussis. Mais tous les acteurs sont fameux et apportent énormément à leur personnage, en particulier Robert Forster(sélectionné pour les Oscars 1998 dans la catégorie "meilleur second rôle", statuette décernée à Robin Williams pour Good Will Hunting)***.
Sur le plan de la mise en scène, travellings et panoramiques alternent avec de très gros plans. Ils placent, successivement, le spectateur dans une position de simple observateur ou de complice. Une des séquences les plus surprenantes est probablement celle du meurtre de Beaumont. D'abord filmée du coffre ouvert du véhicule, qui sera l'avant-dernière demeure du jeune noir, la caméra en sort pour accompagner Ordell au volant et, de l'extérieur, suivre son départ. Puis, avec un étrange et lent mouvement de travelling et d'ascension, le retrouve, à quelque mètre seulement, dans le terrain vague de l'autre côté de la palissade, d'où elle témoigne de l'exécution expéditive. Autres gimmicks visuels (pas innocents !) : un split screen, de nombreuses indications textuelles de lieux et de temps ou, encore, la mise en scène différée de la remise de l'argent, successivement vue par trois personnages différents, sont autant de preuves supplémentaires de la volonté de Tarantino de rompre avec la linéarité narrative.
Enfin, le film vaut également pour sa bande originale qui fait la part belle aux tubes des Bobby Womack (titre qui illustre le film de Barry Shear, Across 110th Street), The Supremes, Roy Ayers, Bill Withers, Isaac Hayes, Joe Sample, The Brothers Johnson et autre The Delfonics qui se conjuguent si bien avec l'histoire et les ambiances.
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*à qui l'on doit, entre autres aussi, 3:10 to Yuma de Delmer Daves avec Glenn Ford, Hombre de Martin Ritt avec Paul Newman et, plus récemment, Out of Sight de Steven Soderbergh, sorti six mois après Jackie Brown, avec George Clooney et dans lequel Michael Keaton reprend son personnage de R. Nicolette.
**qui faisait suite à "The Switch" (la joyeuse kidnappée) paru en 1978, avec lequel il partage les personnages d'Ordell Robbie et Louis Gara.
***voir anecdotes pour les autre nominations ou récompenses.