vendredi 7 mai 2004

1974, une partie de campagne


"C'est un amateur ou un professionnel ?"


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Le 2 avril 1974, à 21h, le président Pompidou meurt après seulement quatre ans et neuf mois de mandat. Le président du Sénat, Alain Poher, son adversaire à l'élection de 1969, assure l'intérim et l'on organise une présidentielle anticipée, fixée aux 5 et 19 mai 1974. Le contexte politique est l'inverse de celui de 1969 : une gauche unie sur un programme commun depuis 1972 qui se rassemble derrière F. Mitterrand, premier secrétaire du PS depuis 1971. Une droite fortement divisée. J. Chaban-Delmas, premier ministre de 1969 à 1972, est le candidat des gaullistes de l'UDR, mais une petite minorité emmenée par J. Chirac préfère soutenir le ministre des Finances, V. Giscard d'Estaing, représentant la droite centriste et libérale. La candidature(1) de J. Royer, maire de Tours, défenseur des valeurs traditionnelles et du petit commerce accentue la confusion à droite.
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Le ministre de l'Economie et des Finances des trois gouvernements Messmer confie au photographe de presse Raymond Depardon le soin de réaliser un document sur sa campagne électorale. « J'avais suivi avec beaucoup d'intérêt les campagnes présidentielles aux USA, et j'avais observé que les candidats se faisaient souvent accompagner de preneurs d'images pour réaliser un film sur leur campagne. Lorsque j'ai décidé de me présenter à la Présidence de la République en avril 1974, j'ai eu envie de faire en sorte que subsiste un document d'archive visuel sur la campagne que j'allais mener », explique-t-il.
Du 8 avril 1974, date de l'annonce de candidature depuis sa mairie de Chamalières (Puy-de-Dôme) jusqu'à son investiture officielle, le 24 mai suivant, le film montre, vue de l'intérieur, la campagne menée par le candidat VGE. Campagne officielle, interviews, meetings en province, conférences de presse, mais aussi les discussions avec ses collaborateurs sur la stratégie à adopter et préparation du face à face avec François Mitterrand, c'est le dispositif du "vrai président"(2), du "président de tous les français"(2) qui est passé en revue depuis les coulisses, parfois peut-être au-delà de ce que Giscard, celui que ses partisans voulaient voir "à la barre"(2), souhaitait montrer. Le film ne put, d'ailleurs, être vu par le public qu'en 2002(3), le nouveau puis l'ancien chef de l'exécutif français s'y opposant finalement. L'homme n'était, déjà, pas à un paradoxe près.
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Ce qui est passionnant avec ce documentaire, c'est qu'il s'agit déjà d'histoire, proche (trente ans) certes, mais d'histoire tout de même. Et, surtout, il témoigne de la naissance d'une nouvelle forme de communication politique, avec la montée en puissance de l'image, en particulier de la télévision. Cette image qui finit par l'emporter sur les idées. Peu de choses ont changé depuis cette campagne, sauf les moyens techniques et financiers, ces derniers étant encadrés depuis les lois de 1988, 1990, 1993 et 1995. Inutile de chercher de spectaculaire dans le film : pas de révélation, ni de propos croustillants, au sens figuré du terme. L'anecdotique côtoie la stratégie politique, et c'est la combinaison des deux qui est essentielle. A l'exemple de ces multiples séances de repeignage, de conduite personnelle de son véhicule ou de déclarations tautologiques (comme "la France a choisi son président", première phrase de l'élu) qui "cohabitent" avec cette intéressante séance de briefing après le premier tour. Tout contribue à dresser le portrait contrasté d'un candidat et futur vingtième président de la République plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Celui qui passe pour une froide et brillante mécanique intellectuelle, fier de son passage à Polytechnique, révèle, de ci de là, des sentiments et des émotions. Le film montre également le rôle déterminant de Michel Poniatowski, l'ami et collègue ministre de la Santé publique et de la Sécurité Sociale, parmi les membres de l'équipe de campagne réunies sous les ors de la République, dans les bureaux du ministère de l'Economie, encore situés dans ses bâtiments du Louvre.
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Tournée en 16mm, apparemment avec une certaine liberté de manoeuvre, la réalisation montre un candidat souvent pris de dos, ce qui accentue le caractère off, officieux du documentaire. Le montage, assez vivant, parfois alterné, incorpore des photographies en n&b, sorte de respiration et motif de fixation des événements. 1974, une partie de campagne(4) (qui ne doit rien à Renoir) est, aussi et enfin, une étonnante peinture de la France de cette époque.
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1. s'ajoutent celles d'Arlette Laguiller, René Dumont, Jean-Marie Le Pen, Émile Muller, Alain Krivine, Bertrand Renouvin, Jean-Claude Sebag et Guy Héraud, soient 12 candidats au premier tour, un record absolu.
2. slogans électoraux.
3. c'est la journaliste Christine Masson qui a convaincu VGE d'autoriser enfin la diffusion après du grand public. France 2 et France 3 ayant refusé le passage à une heure de grande écoute – demande express de l'ex-président –, il fut programmé par Arte le mercredi 20 février 2002. Simultanément, il sortait dans des salles "Art et Essai".
4. comment comprendre ce titre : élément d'un tout, plaidoyer, manche d'un combat/jeu (politique) ou simple divertissement ?

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