vendredi 21 mai 2004

Jackie Brown


"Espère qu'on le retrouve avant qu'il ne te retrouve."

Après la violence froide et formelle de Reservoir Dogs et Pulp Fiction, Jackie Brown joue sur un autre registre. C'est probablement ce qui fait son charme particulier et la raison pour laquelle il est l'un de mes films préférés du réalisateur. Ce registre, c'est celui de la nonchalance, une qualité tarantinienne assez peu exploitée dans ses autres oeuvres. Il ne s'agit pas d'épater par la fulgurance et l'accélération mais, à l'inverse, de séduire par une certaine lenteur (rythmée), voire une réelle inertie. L'autre intérêt du film, c'est la présence d'une femme dans le rôle principal et la composition d'une atmosphère qui fait adroitement revivre les années 70, notamment grâce à la bande originale sur laquelle il faut insiter. Enfin, Jackie Brown est, avec True Romance, l'autre seule authentique histoire d'amour de la filmographie de Quentin Tarantino.
Jackie Brown (Pam Grier) est hôtesse de l'air, avec déjà pas mal d'heures de vol au compteur, dans une compagnie aérienne mexicaine de troisième zone. Elle améliore ses fins de mois en transportant de l'argent pour le compte du trafiquant d'armes Ordell Robbie (Samuel L. Jackson). A l'arrivée d'un de ses voyages professionnels, elle est arrêtée par la police en possession de 50 000$ et d'une dose de cocaïne. Ordell Robbie demande alors à Max Cherry (Robert Forster), un prêteur sur cautions, de faire le nécessaire pour la libérer. Craignant d'être assassinée comme Beaumont, un autre "employé" d'Ordell, Jackie va mettre au point un stratagème destiné à faire croire à l'inspecteur fédéral Ray Nicolette (Michael Keaton) qu'elle coopère avec lui pour faire tomber Ordell, donner le change à ce dernier en lui promettant de rapatrier du Mexique son demi-million de dollars au nez et à la barbe de la police... et de mettre la main sur le magot avec la complicité de Max, secrètement amoureux d'elle.
Adapté du roman d'Elmore Leonard*, "Rum Punch" (punch créole)**, paru en 1992, le troisième film de Tarantino transpose l'action de Floride en Californie et, surtout, remplace une Jackie Burke blanche par une Jackie Brown noire. Ce choix n'est pas neutre puisque l'intention du réalisateur est de donner une "coloration" seventies à son film et de faire un clin d'oeil appuyé au Black Exploitation Movie de cette époque. Pam Grier en a été l'une des figures de proue, notamment dans Foxy Brown, auquel le titre et le personnage de Jackie Brown rendent une forme d'hommage. Autre "caution" au cinéma des années 60-70, la présence de Robert Forster(Reflections in a Golden Eye, Medium Cool). Les manies préférées de Tarantino sont toujours apparentes : la manipulation, la citation cinématographique, la caricature. Double manipulation des individus, dans une approche très scénique, presque lyrique ou chorégraphique ; citation (et autocitation) quasi permanente et caricature, proche de la bande dessinée, des personnages. Dans ce dernier compartiment, les personnages de Ray Nicolette, qui joue au flic et celui du presque débile ex-co-détenu et ami d'Ordell, Louis Gara (Robert De Niro), sont les plus réussis. Mais tous les acteurs sont fameux et apportent énormément à leur personnage, en particulier Robert Forster(sélectionné pour les Oscars 1998 dans la catégorie "meilleur second rôle", statuette décernée à Robin Williams pour Good Will Hunting)***.
Sur le plan de la mise en scène, travellings et panoramiques alternent avec de très gros plans. Ils placent, successivement, le spectateur dans une position de simple observateur ou de complice. Une des séquences les plus surprenantes est probablement celle du meurtre de Beaumont. D'abord filmée du coffre ouvert du véhicule, qui sera l'avant-dernière demeure du jeune noir, la caméra en sort pour accompagner Ordell au volant et, de l'extérieur, suivre son départ. Puis, avec un étrange et lent mouvement de travelling et d'ascension, le retrouve, à quelque mètre seulement, dans le terrain vague de l'autre côté de la palissade, d'où elle témoigne de l'exécution expéditive. Autres gimmicks visuels (pas innocents !) : un split screen, de nombreuses indications textuelles de lieux et de temps ou, encore, la mise en scène différée de la remise de l'argent, successivement vue par trois personnages différents, sont autant de preuves supplémentaires de la volonté de Tarantino de rompre avec la linéarité narrative.
Enfin, le film vaut également pour sa bande originale qui fait la part belle aux tubes des Bobby Womack (titre qui illustre le film de Barry Shear, Across 110th Street), The Supremes, Roy Ayers, Bill Withers, Isaac Hayes, Joe Sample, The Brothers Johnson et autre The Delfonics qui se conjuguent si bien avec l'histoire et les ambiances.
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*à qui l'on doit, entre autres aussi, 3:10 to Yuma de Delmer Daves avec Glenn Ford, Hombre de Martin Ritt avec Paul Newman et, plus récemment, Out of Sight de Steven Soderbergh, sorti six mois après Jackie Brown, avec George Clooney et dans lequel Michael Keaton reprend son personnage de R. Nicolette.
**qui faisait suite à "The Switch" (la joyeuse kidnappée) paru en 1978, avec lequel il partage les personnages d'Ordell Robbie et Louis Gara.
***voir anecdotes pour les autre nominations ou récompenses.



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