jeudi 31 mars 2011

Saddle the Wind (libre comme le vent)


"The use of it you may have got from me. But what about the love of it? Where you get the love of it, Tony?"

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Méconnu ou mésestimé, y compris dans son pays d'origine, Saddle the Wind vaut bien mieux que la falote réputation dont il est doté. Le second western et dernier des onze films produits par Armand Deutsch possède en effet des particularités aptes à susciter une immédiate curiosité. Il s'agit d'abord du premier authentique(1) scénario signé par Rod Serling pour le cinéma. Inattendu dans ce registre, le promoteur de la série The Twilight Zone(2), associé pour cette unique occasion à Thomas Thompson (Bonanza), enchâsse une douloureuse et intéressante étrangeté dans une trame narrative relativement simple. La distribution ensuite se distingue autour du solide Robert Taylor à l'affiche la même année de The Law and Jake Wade(3) de John Sturges et du pseudo polar Party Girl de Nicholas Ray.
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Un individu vindicatif et brutal s'installe dans le saloon encore fermé d'une petite localité. Après s'être approprié le déjeuner de l'un des employés et avoir réclamé à boire, l'homme s'enquiert de Steve Sinclair. Hors-la-loi repenti devenu chef de troupeau de Dennis Deneen puis éleveur grâce à celui-ci, Steve accueille son jeune frère Tony, parti céder à Jeweltown une partie de leur cheptel. Le cadet est accompagnée de Joan Blake, une jeune chanteuse appelée à devenir son épouse. Ce projet et l'acquisition d'un revolver particulièrement affûté n'enthousiasment guère Steve ; il ne cache d'ailleurs pas à Joanie sa désapprobation du mariage envisagé par son frère immature et impulsif qu'il a élevé seul et pour lequel il fait figure de héros. Le lendemain, Steve, Tony, Joanie et deux vachers se rendent en ville. Dans le saloon où ces derniers attendent leur patron, parti déposer à la banque le produit de la vente du bétail, se présente bientôt l'homme à la recherche de Steve. Tony l'interpelle, n'obtient qu'une railleuse indifférence et le provoque en duel. L'attention de son adversaire ayant été détournée par l'arrivée de Steve, Tony abat le nommé Larry Venables, une des plus fines gâchettes selon l'affirmation de son frère.
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"Steve! Was Venables faster than you?" La sécheresse de la séquence d'ouverture intrigue d'emblée. Curiosité peu après renforcée par cette surexcitation malsaine qui semble animer Tony Sinclair, elle-même ponctuée par un insolite suicide symbolique. Une espèce d'hystérie frénétique connotant de manière bien plus ambiguës les chaleureuses retrouvailles et relations (lien de dépendance) entre les deux frères. Concis, nerveux, le mal intitulé Saddle the Wind vise en effet moins le lyrisme qu'une terrestre, irrationnelle et funeste compétition fraternelle. Malgré la beauté des paysages naturels du Colorado, le film de Robert Parrish est étroitement ancré dans une réalité contingente, non idéalisée. Celle où le repentir n'efface pas la culpabilité, où il faut parfois accepter entre deux maux le moindre. La protection en est d'ailleurs le thème principal, lequel évolue et s'enrichit avec l'entrée en scène du personnage du propriétaire nordiste Clay Ellison, figure opposée aux traditionnels fermiers colons des années 1840-60 et carpetbaggers. A l'image de la réalisation de l'ancien figurant et monteur Parrish (assisté de John Sturges ?), Robert Taylor offre une prestation sobre et efficace, contrastant évidemment avec celle de John Cassavetes(4). La place dévolue à Julie London, future partenaire de Gary Cooper dans Man of the West, apparaît en revanche trop étroite, reléguée à un rôle de soutien parmi ceux tenus notamment par le vétéran Donald Crisp (How Green Was My Valley), Charles McGraw, Royal Dano (Bend of the River, Johnny Guitar) ou Douglas Spencer (Shane...). Saddle the Wind mérite vraiment d'être réévalué !
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1. celui de Patterns a d'abord été écrit pour la télévision.
2. ainsi que de la plus tardive et également westernienne The Loner.
3. où il est un shérif au passé non avoué de bandit.
4. dont Shadows, son premier film en tant que réalisateur, était alors en plein remaniement.

Mean Streets


"The pain in hell has two sides. The kind you can touch with your hand; the kind you can feel in your heart..."

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Pour repartir d'un bon pied, suite à l'incident de parcours (selon l'opinion de John Cassavetes) Boxcar Bertha, Martin Scorsese revient aux fondamentaux. A ses fondamentaux, ceux qui avaient déjà prévalu lors de la chaotique maturation de son premier long métrage de fiction, I Call First. Une narration largement inspirée de situations vécues et de lieux fréquentés par le trentenaire natif du Queens. Secondé par son camarade arménien Mardik Martin de la Tisch (avec lequel il a signé le court It's Not Just You, Murray!), Scorsese façonne avec Mean Streets(1), sans doute sans en être pleinement conscient, le style et la (bio)typologie (Robert De Niro tient ici le premier de ses huit rôles sous la direction du cinéaste) qui vont caractériser son cinéma jusqu'à la fin des années 1970. Proposé à Roger Corman, producteur de son précédent drame, le scénario est finalement financé par Jonathan Taplin, manager d'artistes folk-rock pour lequel il s'agit de la toute première expérience filmique(2). Mean Streets a été ajouté en 1997 au National Film Registry.
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Dans le bar détenu par Tony, le minable trafiquant Michael vient réclamer le montant dû par 'Johnny Boy' pour lequel Charlie s'est porté garant. Lorsque que celui-là se présente enfin, bien sapé et accompagné de deux jeunes femmes rencontrées au Village, il avance diverses excuses avant de s'engager à honorer sa dette la semaine suivante. Pour le compte de son oncle Giovanni, Charlie visite le restaurateur Oscar, en sérieuse difficulté depuis la disparition de Groppi son associé et incapable de régler ses échéances. Puis Joey Gatucci, lui aussi débiteur de sommes, dans le bar duquel éclate une bagarre causée par 'Johnny Boy' et interrompue par l'arrivée d'agents de police corruptibles.
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"Le quartier et mes potes, c'est tout ce qui compte." Une phrase qui résume assez bien Mean Streets. Plus qu'un récit structuré de façon classique, Martin Scorsese nous invite à partager de fugitifs "moments" de vie. Ceux de quatre (et quelques) individus présentés sommairement, par ordre d'importance croissante, dès le début du film. Foutraque, celui-ci l'est assurément ; et il semble vraisemblable que ce soit délibéré. Diffuse, la direction empruntée par le script, la mise en scène et le jeu en partie improvisé des acteurs dissimule en réalité un questionnement et un thème primordiaux. Existe-t-il une morale en dehors de la foi(3) ? Une interrogation qui sème la confusion dans l'esprit du personnage central, en réguliers "dialogues" avec le Seigneur/sa conscience. Mean Streets stigmatise également, comme d'autres productions de cette époque mais de manière singulière, la douloureuse sortie du rêve américain, illustrée le plus crûment par une des séquences a priori les plus anodines du film (celle où un clochard lave au feu rouge le pare-brise de la limousine de Tony).
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1. référence au romancier et essayiste Raymond Chandler.
2. l'organisateur du "Concert for Bangladesh" produira notamment ensuite The Last Waltz de Scorsese puis Under Fire.
3. les festivités religieuses automnales qui ponctuent le métrage servent d'ailleurs de contrepoint narratif. Rappelons au passage que la vocation initiale de Scorsese était d'être prêtre !