lundi 15 décembre 2003

Soylent Green (soleil vert)


"Il y avait un monde, autrefois."

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Le cinéma des années 1970 porte un regard sceptique, voire critique sur le monde. A Clockwork Orange de Stanley Kubrick a joué, de ce point de vue, un rôle de transition avec les années 1960 et influencé la décennie. Hollywood, dans un contexte nouveau de crise économique et sociale, connaît, dans le même temps, la mort, déjà annoncée, des studios et l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes qui va modifier la représentation de la société en insistant sur ses défaillances et ses contradictions. Le cinéma de science-fiction de cette époque, par vocation, accentue le trait. En 1971, Silent Running de Douglas Trumbull et ses scénaristes imaginent une Terre ravagée par une catastrophe atomique sur laquelle il n'y a plus ni animaux ni plantes (et une arche interplanétaire chargée de recréer la vie sur Saturne).
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Richard Fleischer, à partir du roman de Harry Harrison, "Make Room! Make Room!", anticipe, dans une vision malthusienne, des conséquences assez semblables mais liées à la pollution. Son New York de 2022, peuplé de 40 millions d'habitants, dont la moitié sans emploi, est une cité où règnent en permanence une température caniculaire, un brouillard ocre symptomatiques d'un écosystème déréglé et la sous-alimentation. Seule la présence d'une police d'Etat omniprésente peut empêcher le soulèvement de la population.
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Une minorité aisée bénéficie d'un traitement privilégié (logement décent et "meublé", eau courante, climatisation, alimentation fraîche). Les autres vivent dans la misère, légère ou profonde et s'alimentent de tablettes synthétiques ou naturelles fabriquées à partir de plancton par le monopole Soylent Corp. Un de ses dirigeants, William Simonson est assassiné pour des raisons mystérieuses. Le détective Robert Thorn est chargé de l'enquête. Avec son documentaliste Sol Roth, il va découvrir, malgré les obstacles et tentatives d'élimination commanditées par un politicien, un terrible secret concernant le processus de fabrication du dernier-né des produits Soylent.
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L'introduction du film est restée dans la mémoire de tous ses spectateurs : Fleischer y propose un diaporama chronologique de photographies commençant en 1900 avec la naissance de l'industrie, d'abord sur un rythme paisible, puis qui accélère pendant les images de la seconde moitié du siècle pour reprendre un tempo plus lent lorsque les effets de la pollution deviennent critiques. On peut, sans hésitation, affirmer que Soylent Green est, derrière l'intrigue policière futuriste, un manifeste écologique. Il joue en permanence sur la nostalgie d'un monde qui n'existe plus, celui dont témoigne le vieux Sol, nostalgie qui peut prendre un tour suicidaire (étonnante scène de la mort de celui-ci, dernière séance de cinéma d'un genre très particulier). Le message est très explicite : "réagissons avant d'en arriver là", avant de ne plus savoir ce qu'est une pomme ou un morceau de boeuf, avant que l'argument ultime d'une jolie femme pour séduire un homme ne soit de lui proposer de prendre une douche à l'eau chaude. Le réalisateur se moque d'un certain réalisme historique. Le temps semble s'être arrêté au cours des années 1970 : les vêtements, les téléviseurs ou les téléphones (filiaires !) sont d'époque. Et cela n'a, après tout, aucune importance et ne handicape pas le récit. C'est aussi une charge contre les politiciens sans scrupules (le film a été tourné en pleine affaire du Watergate) et leur capacité à faire à peu près n'importe quoi pour asseoir et conserver leur pouvoir. La révélation du secret de la mort de Simonson n'intervient que dans le dernier quart d'heure du film. Elle est étonnamment prophétique d'affaires qui ont récemment touché la filière alimentaire internationale.
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Soylent Green est la dernière apparition d'Edward G. Robinson à l'écran, décédé quelques mois avant sa sortie. Il y est très bon dans un second rôle essentiel pour l'impact narratif du film. Son partenaire, Charlton Heston, qui sortait de la réalisation de son premier film, apparaît dans un registre habituel pour lui, à la fois physique et psychologique, plutôt convaincant. Probable meilleur film dans la carrière toujours active de Leigh Taylor-Young dont l'argument principal est la plastique... Naturel pour un meuble (fourniture) !

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